Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 20 juin 2025

Mutations stratégiques en Europe. Conséquences opérationnelles pour les armées françaises

 

Le bellicisme assumé de la Russie et les nouvelles incertitudes qui pèsent sur les formes de l’engagement futur des États-Unis en Europe placent les alliés européens dans la perspective, esquissée par les réunions au sommet de Paris et de Londres en février et en mars de cette année, de devoir assumer une responsabilité collective beaucoup plus grande pour leur sécurité. Même si le pourtour stratégique de cette situation nouvelle reste encore à préciser, il est possible, d’ores et déjà, d’en esquisser les conséquences opérationnelles pour les armées françaises, à court et à moyen terme, aussi bien sur le plan des capacités et des structures de forces que sur celui des coopérations bilatérales et multilatérales.

Depuis le milieu des années 1960, la politique de sécurité et la posture de défense de la France reposent sur trois piliers complémentaires et durables :

• une capacité nucléaire, conventionnelle et spatiale indépendante ;

• l’appartenance à l’Alliance atlantique ;

• une aspiration à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.

Dans ce schéma, la position géographique de la France en Europe, avec deux façades maritimes, et son statut de puissance nucléaire lui avaient permis d’adopter une posture stratégique en retrait du dispositif de l’OTAN et de réserve opérationnelle de l’Alliance. La réunification de l’Allemagne en 1990, l’élargissement de l’Union européenne et une présence militaire américaine réduite ont rendu cette posture en retrait caduque et motivé son aménagement. Celui-ci s’est traduit, notamment, par la réintégration de la structure de commandement de l’OTAN en 2009 et la mise à la disposition de l’Alliance d’états – majors de forces aérien, terrestre et naval de haute disponibilité. Par la suite, le besoin de réassurer les Alliés et de renforcer la dissuasion, dans le sillage des agressions russes contre l’Ukraine en 2014 et en 2022, ont motivé un engagement au sol en Estonie (opération « Lynx ») et en Roumanie (opération « Aigle ») et une contribution conséquente aux activités de vigilance renforcée de l’Alliance, à la mer et dans les airs (1).

Une nouvelle donne stratégique

Les mutations stratégiques en cours en Europe résultant du bellicisme durable de la Russie et des incertitudes créées par le positionnement nouveau des États-Unis requièrent maintenant une adaptation plus profonde et affichée de la posture de défense de la France vers l’avant, en appui des pays européens alliés. Cette posture de « haute visibilité » devra balayer un arc de cercle continental reliant le Grand Nord à la mer Égée, en passant par la Pologne et la Roumanie, pour faire face aux capacités conventionnelles et nucléaires de la Russie. Ce premier arc de cercle devra s’appuyer sur un deuxième arc, maritime celui-là, reliant la mer de Norvège à l’archipel du Cap-Vert. Ce deuxième arc aura pour but, notamment, de contrer la menace que représentent les sous – marins nucléaires d’attaque russes de la classe Yasen, armés de missiles de croisière mer-sol à double capacité conventionnelle et nucléaire, et les sous – marins de poche conçus pour des opérations clandestines contre les installations portuaires et les câbles sous – marins (2). La menace russe contre l’Europe, notamment celle représentée par les missiles de croisière mer-sol Kalibr (SS‑N‑30 Sagaris) et sol-sol Iskander‑K (SSC‑8 Screwdriver), sera durablement omnidirectionnelle (3).

Les capacités et les coopérations opérationnelles futures des armées françaises devront refléter cette nouvelle ambition stratégique, en direction du Grand Nord, de la mer Baltique, de la mer Noire et de la Méditerranée orientale, afin que la France puisse peser de tout son poids contre toute tentative de la part de la Russie de contourner la dissuasion par des prises de gage territoriales et des manœuvres d’intimidation nucléaire à l’encontre de pays européens alliés. À l’inverse de la tendance lourde depuis la fin de la guerre froide de dissocier la dissuasion nucléaire des forces conventionnelles, un couplage plus marqué des deux sera nécessaire, afin que la manœuvre conventionnelle puisse bénéficier de l’apport des capacités nucléaires et prolonger leur effet dissuasif, et, ainsi, dissuader toute menace ou tentation d’escalade.

Cette démarche devra privilégier, partout où cela sera possible et utile, les conditions suivantes :

• s’appuyer sur le cadre familier que représente l’OTAN, afin de maintenir la continuité opérationnelle, de bénéficier de l’interopérabilité des procédures, des tactiques et des transmissions et d’éviter des redondances nuisibles ;

• renforcer les coopérations et les partenariats opérationnels déjà en place, par exemple avec l’Allemagne dans le cadre de la brigade, de l’escadron de transport et de la force navale franco – allemande, et avec le Royaume-Uni dans celui de la Combined joint expeditionary force (CJEF). Ce renforcement devrait viser à mettre un terme à la plus grande source de faiblesse militaire de l’Europe, qui est le morcellement de ses capacités militaires en « petits paquets », à mutualiser les moyens des uns et des autres et à diminuer la dépendance des Européens vis-à‑vis de la contribution américaine, qui est, de longue date, un poids excessif pour les États-Unis ;

• rechercher la coopération et l’interopérabilité avec les forces américaines, en Europe et dans le monde.

L’articulation des armées dans cette perspective nouvelle devra privilégier trois fonctions :

• la présence, d’une manière beaucoup plus soutenue et continue, en Europe et autour, dans un but de vigilance et de dissuasion renforcées ;

• la protection, en développant une capacité interarmées à maintenir des contingents déployés sur la durée et durcis, dans une mission de bouclier, à l’avant, en Estonie et en Roumanie, ainsi que, probablement, à l’avenir, en Pologne, et de manière plus épisodique, dans le Grand Nord ;

• la projection, par la recherche d’une capacité multinationale de frappe conventionnelle dans la profondeur combinant des composantes air-sol, mer-sol et sol-sol, selon les préférences et les capacités des uns et des autres.

Les trois fonctions sont complémentaires : la fonction présence renseigne la protection et la projection, tandis que la projection vient renforcer la protection, soit en dissuadant l’agression par une menace sur les arrières de l’adversaire, soit en prolongeant les effets de la défense dans la manœuvre de contre – offensive.

Un format de forces durci et amplifié

Ces ambitions rehaussées par rapport aux circonstances présentes exigeront une adaptation de la capacité et du format des trois armées, en visant une disponibilité des matériels plus haute et un volume de forces amplifié. Sans rechercher la masse, densifier les moyens et les effets participera d’une volonté d’intégrer les leçons de la guerre en Ukraine, particulièrement celle de prévenir un conflit long et nécessairement dévastateur.

Armée de Terre

Depuis 2016, l’armée de Terre a entrepris une importante remontée en puissance. Les principales étapes ont été :

• la transformation en 2016 des états – majors de force de Besançon et de Marseille en 1re et 3e divisions et l’activation de la 4e brigade d’aérocombat ;

• la mise sur pied en 2023 d’un Commandement du combat futur et, séparément, d’un Commandement terre Europe (CTE) au sein d’un Commandement de la force et des opérations terrestres reformé à Lille ;

• la certification en 2024 du Corps de réaction rapide-France de Lille au standard OTAN de War-fighting corps (WFC) ;

• la réactivation, en 2024 aussi, de la 19e brigade d’artillerie et de la brigade du génie ;

• la création, enfin, de quatre commandements spécialisés dans les domaines des actions spéciales, du renseignement, de l’appui logistique et de l’appui numérique et cyber.

Ces réformes devront être complétées utilement par des mesures supplémentaires :

• la transformation du CTE en un commandement du niveau de l’armée apte à exercer le contrôle opérationnel sur deux ou trois corps d’armée français et alliés. L’Allemagne et la Pologne seraient amenées à créer des commandements d’armée correspondants ;

• la mise sur pied d’un troisième état – major de division, en complément des 1re et 3e divisions, pour amplifier la voilure de la Force opérationnelle terrestre (FOT) et permettre un renforcement simultané des partenariats divisionnaires avec les armées de terre allemande et britannique ;

• le renforcement de la 19e brigade d’artillerie avec des capacités de reconnaissance et de frappe de précision dans la profondeur, sous la forme de drones d’attaque, de lance – roquettes multiples modernisés et de missiles sol-sol de longue portée, ainsi que de moyens sol-air étoffés.

La troisième division envisagée pourrait être stationnée en Picardie et orientée vers les opérations combinées en Europe du Nord, de l’Estonie au nord de la Finlande, en partenariat avec le Royaume-Uni, tandis que la 1re division se concentrerait sur les opérations multinationales dans un arc de cercle s’étendant de la Lettonie à la Roumanie, en coopération avec l’Allemagne. La densification de la FOT avec une troisième division, y compris par le recours à une réserve opérationnelle plus étoffée, donnerait à celle-ci la voilure nécessaire, en temps de paix, pour assurer une rotation des forces plus souple aux avant – postes et pour faire face, en temps de guerre, à l’hypothèse d’agressions simultanées sur plusieurs points du front européen, même si elles étaient de volume et de rythmes différents. Ce renforcement pourrait s’accompagner utilement de l’ouverture d’un site de transit et de soutien logistique en Allemagne, comparable au camp britannique de Sennelager.

Le renforcement de la FOT devrait impliquer aussi la mise sur pied d’une troisième Brigade légère blindée (BLB), la mise à disposition de la brigade motorisée belge (à l’instar de l’intégration des brigades néerlandaises aux divisions de la Bundeswehr), une fois qu’elle sera au standard SCORPION, et la transformation de la Brigade franco – allemande (BFA) en brigade blindée, avec le remplacement du régiment blindé léger français par un régiment de chars allemand. Il serait aussi souhaitable qu’un régiment d’infanterie dans chacune des trois brigades blindées (2e et 7e brigades blindées et BFA) échange ses Véhicules blindés de combat de l’infanterie (VBCI) à roues pour des VBCI à chenilles achetés sur étagère, afin de combler une lacune importante dans la capacité de combat interarmes de l’armée de Terre. Les AMX‑10RC et les VBCI à roues libérés pourraient être reversés à la nouvelle BLB.

Les nouveaux moyens de frappe dans la profondeur permettraient à la FOT d’amplifier les effets de rupture des forces de mêlée, tout en exploitant les nouvelles technologies de ciblage et de précision. La prise en compte de l’irruption des drones de tous types dans la troisième dimension rappellerait l’avènement de l’aéromobilité de combat à l’occasion des exercices « REFORGER 76 » américain et « Moselle 83 » français.

Armée de l’Air et de l’Espace

Trois des réformes les plus importantes dans l’armée de l’Air et de l’Espace de ces dix dernières années ont été le rétablissement des escadres à partir de 2014, la mise sur pied du Commandement de l’espace en 2019 et, enfin, la fusion des commandements opérationnel et organique au sein du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes et la dissolution du Commandement des forces aériennes en 2023, afin de renforcer la réactivité des unités. Cette réorganisation ouvre la porte à une coopération plus poussée entre le Joint force air component commander (JFACC) français et ses homologues allemand, britannique et italien dans le but d’accroître la capacité des forces aériennes européennes à conduire en commun des opérations de grande envergure et de haute intensité, avec un appui spatial et cyber amplifié.

Ces mesures devront s’appuyer sur une accélération de la transition de l’aviation de chasse vers le binôme Rafale F5/avions de combat futurs pilotés et non pilotés. Cette transformation devra viser à renforcer la défense aérienne, aussi bien les escadres de chasse stationnées à Orange et à Luxeuil que les moyens sol-air contre les missiles de croisière et hypersoniques. Elle devra aussi s’atteler à développer une capacité aéroportée de frappe conventionnelle dans la profondeur, y compris sur la base des retours d’expérience de l’emploi du missile air-sol SCALP. Cette capacité de frappe accrue devra être accompagnée d’un renforcement des moyens de supériorité aérienne (offensive counter – air), de combat électronique aéroporté et de suppression et destruction des défenses aériennes ennemies (suppression and destruction of enemy air defenses).

Marine nationale

La Marine nationale a entrepris un effort important de mise à niveau de ses moyens, avec l’entrée en service des frégates FREMM et des sous – marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren et la montée en puissance du Groupe aéronaval, notamment au travers de sa certification au standard carrier strike force (FRSTRIKEFOR), qui a été actée en 2023.

Ces transformations ont préparé le terrain pour envisager un renforcement important des coopérations bilatérales de la Marine nationale avec la Royal Navy et la Marina Militare en vue de créer deux flottes européennes permanentes en Atlantique (European standing fleet, Atlantic ou ESFLant) et en Méditerranée (ESFMed) bâties autour des états – majors de conduite et des groupes aéronavals français, britannique, italien et espagnol. Ces coopérations croisées permettront une meilleure coordination européenne de l’emploi des navires d’escorte, des sous – marins d’attaque et des aéronefs de patrouille maritime, mais devraient être complétées par la commande par la Marine nationale de frégates supplémentaires au standard « FREMM-Plus » pour assurer une présence maritime plus soutenue dans l’Arctique et, au-delà de l’Europe, dans la vaste région indo – pacifique.

Dissuasion nucléaire

Comme souligné plus tôt, la dissuasion nucléaire et les capacités conventionnelles se complètent mutuellement, empêchant un agresseur potentiel d’identifier des failles dans une armure qui doit tenir d’un bloc. Une densification des capacités conventionnelles françaises devra donc s’accompagner de mesures destinées à renforcer la crédibilité de la dissuasion, notamment par une co-

opération nucléaire approfondie avec le Royaume – Uni, dans le fil des déclarations d’Ottawa de juin 1974 et de Chequers d’octobre 1995, et des traités de Lancaster House de novembre 2010. Cette coopération pourrait prendre la forme d’une intégration d’équipages de la Royal Air Force – pilotes et navigateurs – au sein de la 4e escadre de chasse de Saint – Dizier, qui met en œuvre le missile ASMP‑A, et d’une mutualisation de l’emploi des avions – citernes A330 français et britanniques en soutien des exercices « Poker ». Ces deux mesures viseraient à donner à un tir français d’ultime avertissement une dimension franco – britannique affichée, sans préjuger de la nature d’une riposte stratégique de la France et du Royaume-Uni, et à développer un socle commun en soutien d’un projet de dissuasion concertée et élargie.

Contraintes et volontarisme

Dans cette remontée en puissance, la France rencontrera plusieurs contraintes de nature démographique, budgétaire et capacitaire, que l’on retrouve, à des degrés divers, chez ses partenaires européens. Un défi commun est l’héritage des réductions du budget de la défense et du volume des forces associés aux « dividendes de la paix » qui ont suivi la fin de la guerre froide. Ces réductions, conduites de bonne foi, à la lumière de la fin de la confrontation Est-Ouest, mais avec peu de clairvoyance, limiteront nécessairement l’ambition de cette remontée.

Le rétrécissement extraordinaire du format des forces de manœuvre s’est accompagné d’une réduction marquée ou de l’abandon des capacités organiques des niveaux du corps d’armée et de la division, comme l’artillerie antiaérienne et le génie. Mécaniquement, ces réductions ont été répercutées dans le domaine de l’infrastructure, avec la fermeture de casernes, de dépôts de munitions, de champs de tir et de bases aériennes avec leurs abris à avions durcis, obérant les possibilités de disposer d’une infrastructure adaptée à un format des forces élargi et de recourir à la dispersion face à une menace de frappe russe accrue par rapport à son équivalent soviétique des années 1980 (4). Cette vulnérabilité stratégique est de nature à affaiblir la dissuasion en temps de crise si elle n’est pas compensée par une plus grande capacité européenne de défense antimissile, de frappe conventionnelle dans la profondeur et de lutte anti – sous – marine.

La mise à niveau du format des armées françaises préconisée ici devra s’accompagner, pour être pleinement efficace, d’efforts de nature comparable chez les principaux partenaires européens de la France. Elle devra aussi s’appuyer sur une adaptation de la structure de commandement de l’OTAN, destinée à conforter les ambitions européennes, tout en préservant l’articulation avec les forces américaines. Dans cette perspective, les trois états – majors interarmées alliés situés aux Pays-Bas, en Italie et à Norfolk (Virginie), aux États-Unis, pourraient revenir aux alliés européens. Dans le cadre de cette structure de commandement adaptée, l’état-major interarmées de Norfolk pourrait utilement être relocalisé au Royaume – Uni, pour couvrir l’Atlantique nord et le Grand Nord à partir d’un site géographiquement plus proche (5). En parallèle, la 2e Flotte de l’US Navy basée à Norfolk pourrait devenir un commandement naval expéditionnaire allié.

L’Europe est à un tournant. Il pourrait être salutaire. Les pistes proposées ci-dessus offrent une panoplie de perspectives et de propositions à même de donner une assise opérationnelle forte aux ambitions et aux besoins portés par la France et par ses partenaires dans le contexte stratégique mouvant dans lequel se trouve l’Europe aujourd’hui.

Notes

(1) Diego Ruiz Palmer, « “Air shielding” : le bouclier aérien de l’OTAN », Air Fan, no 497, février-mars 2025.

(2) Benjamin Gravisse, « Yasen-M : le renouveau de la flotte d’attaque sous-marine russe », Défense & Sécurité Internationale, no 159, mai-juin 2022.

(3) Les missiles SS-N-30 et SSC-8 représentent des développements des missiles de croisière soviétiques SS-N-21 Samson et SSC-X-4 Slingshot des années 1980. Ils illustrent la capacité technique de l’industrie de défense russe à maintenir en place, sur des décennies, des équipes d’ingénieurs de haut vol, notamment dans le vaste domaine des missiles qui, dans la pensée militaire soviétique et russe, sont les « armes-miracle » par excellence, du fait de leur réactivité, de leur vitesse, de leur portée et, de plus en plus, de leur précision.

(4) Dans les années 1980, seuls les missiles balistiques tactiques soviétiques SS-21 Scarab et SS-23 Spider avaient une capacité conventionnelle, en complément de leur capacité de frappe nucléaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité des missiles balistiques et de croisière non stratégiques russes ont cette double capacité, avec une précision plus élevée.

(5) Après la fin de la guerre froide, la base aérienne de RAF High Wycombe a accueilli, entre 1994 et 2000, l’état-major interarmées des Forces alliées du nord-ouest de l’Europe (AFNORTHWEST).

Diego Ruiz Palmer

areion24.news

jeudi 19 juin 2025

Iran-Israël: Moscou « met en garde » Washington

 

« Nous tenons à mettre en garde Washington contre toute intervention militaire dans cette situation, ce qui constituerait une mesure extrêmement dangereuse avec des conséquences négatives réellement imprévisibles », a déclaré la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, lors d’un point presse à Saint-Pétersbourg.

Le président américain Donald Trump n’a pas exclu une entrée en guerre de son pays, allié d’Israël, pour briser le programme nucléaire de l’Iran, accusé malgré ses démentis, de chercher à fabriquer l’arme atomique.

Si la Russie entretient historiquement de bonnes relations avec Israël, ces liens ont été affectés depuis le début de l’offensive russe en Ukraine et de la guerre menée par Israël à Gaza.

A l’inverse, Moscou s’est largement rapproché de Téhéran ces dernières années. Les deux pays ont signé en janvier un traité de partenariat stratégique global, visant à renforcer leurs liens, notamment militaires, qui ne comprend néanmoins pas de pacte de défense mutuelle.

Jeudi, Vladimir Poutine a assuré que Téhéran n’avait « pas demandé » d’aide militaire à Moscou face à l’escalade militaire avec Israël.

Vladimir Poutine, qui a perdu un allié clé dans la région avec la chute de l’ex-président syrien Bachar-al-Assad en décembre, a refusé de commenter les menaces de certains dirigeants israéliens à l’encontre du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.

« Promouvoir le cessez-le-feu »

Jeudi, M. Poutine et son homologue chinois Xi Jinping se sont entretenus au téléphone pendant environ une heure, a indiqué le Kremlin, « condamnant » les frappes israéliennes en Iran.

« Moscou et Pékin partent tous deux du principe que le règlement de la situation actuelle (…) ne peut pas être trouvé par la force et que ce règlement peut et doit être obtenu exclusivement par des moyens politiques et diplomatiques », a dit, lors d’un point presse, le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov.

« La première priorité est de promouvoir le cessez-le-feu et l’arrêt des hostilités. La force n’est pas la bonne manière de résoudre les différends internationaux », a déclaré Xi Jinping lors de cet appel, selon l’agence de presse officielle chinoise Xinhua.

Le président chinois a par ailleurs exhorté toutes les parties au conflit, « en particulier Israël », à « cesser le feu dès que possible afin d’éviter une escalade répétée de la situation et empêcher résolument la propagation de la guerre », a rapporté Xinhua.

Moscou et Pékin « ont des approches identiques », a affirmé, de son côté, le conseiller de M. Poutine, Iouri Ouchakov.

Au sujet du conflit entre l’Iran et Israël, Vladimir Poutine avait rapidement proposé sa médiation.

« Le dirigeant chinois s’est prononcé en faveur d’une telle médiation, estimant qu’elle pourrait contribuer à désamorcer la situation actuelle », a affirmé jeudi M. Ouchakov.

Mais cette proposition de jouer le rôle d’intermédiaire est loin de faire l’unanimité, critiquée notamment par l’Union européenne ou encore le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron.

Donald Trump, qui s’était d’abord dit « ouvert » à l’idée d’une médiation russe, a changé de ton mercredi, exhortant Vladimir Poutine à se concentrer « d’abord » sur l’Ukraine avant d’endosser le rôle d’intermédiaire au Moyen-Orient.

« Ce n’est pas à Trump d’accepter ou de refuser ces services de médiation », a réagi jeudi, auprès des agences russes, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, estimant que cette décision devait revenir aux pays « directement impliqués dans le conflit ».

ATS

Plus de 40'000 signatures contre l'achat des avions de combat américains F-35

 

L'Alliance Stop-F35 demande au Conseil fédéral d'interrompre immédiatement l'achat de l'avion de combat américain. Elle a remis une pétition forte de 42'500 signatures alors que le Parlement, qui doit se prononcer prochainement sur des demandes similaires, peut faire le premier pas.

Il n'est pas trop tard pour prendre la bonne décision, écrit mardi l'alliance dans laquelle on trouve le PS, les Vert-e-s, Campax et le GSsA. Et de dénoncer "la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis que nous avons contractée avec l'achat de ce jet; elle est et reste indécente", précise l'Alliance Stop-F35, qui dit représenter une majorité de la population.

Berne a signé en 2022 un contrat d'achat de 36 jets de combat de type F-35 A avec le constructeur américain Lockheed Martin pour un peu plus de six milliards de francs. Les avions doivent être livrés à partir de 2027 jusqu'en 2030 et remplacer la flotte actuelle de F/A-18 Hornet et de F-5 Tiger.

rts.ch

Affaire du petit Grégory: la grand-tante entendue par la justice

 

La justice a ordonné mercredi un nouvel interrogatoire de la grand-tante du petit Grégory Villemin, tué en 1984, en vue de sa possible mise en examen pour «association de malfaiteur criminelle», a indiqué le procureur général de la Cour d'appel de Dijon.

La convocation de Jacqueline Jacob, qu'une expertise en graphologie a désigné comme l'auteur d'une lettre anonyme menaçante adressée en 1983 aux parents du petit Grégory, «ne devrait pas intervenir avant quelques mois», précise Philippe Astruc dans un communiqué. Elle avait déjà été mise en examen en 2017 pour «enlèvement et séquestration suivie de mort», avec son époux Marcel. Mais les poursuites les visant avaient été annulées pour vice de forme.

Mis en examen possible

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon, qui supervise le dossier depuis sa réouverture en 2008, a listé en début d'année les «éléments qui concernent Jacqueline Jacob», rapporte le procureur général, sans donner de détails. Le parquet général a estimé que ces éléments «ne suffisaient pas» à la poursuivre pénalement, précise-t-il.

Mais, suite à une audience le 9 avril, la chambre de l'instruction a rendu mercredi un arrêt demandant à son président de «procéder à l'interrogatoire» de Mme Jacqueline Jacob et «envisager sa mise en examen sous la qualification d'association de malfaiteur criminelle», selon son communiqué.

Mort en 1984

Grégory Villemin, 4 ans, a été retrouvé noyé et ligoté le 16 octobre 1984 dans une rivière des Vosges. Le jour-même, une lettre anonyme est adressée au père par un «corbeau» qui harcèle depuis plusieurs années la famille.

Bernard Laroche, un cousin du père, est rapidement mis en cause sur la base d'accusations de sa belle-fille, une adolescente de 15 ans, qui reviendra ensuite sur ses propos. Il est relâché mais Jean-Marie Villemin, convaincu de sa culpabilité, le tue en mars 1985.

AFP

Regain de tensions dans la péninsule coréenne ?

 

L’année 2024 a été marquée par un accroissement très notable des tensions entre Pyongyang et Séoul. Alors qu’en janvier dernier, Kim Jong-un faisait modifier la constitution pour faire de la Corée du Sud le « premier pays hostile », supprimant tous les symboles de réconciliation et de coopération entre les deux Corées, le régime nord-coréen a multiplié au cours de l’année 2024 les tirs de missiles. Comment expliquer cette tension croissante entre les deux pays ?

Il faut d’abord faire le constat que la fameuse zone démilitarisée (demilitarized zone), qui coupe la Corée en deux depuis soixante-dix ans, est bien le symbole d’une nation et de familles qui ont été séparées et dont le parcours a été profondément différent, humainement, socialement et politiquement. Aujourd’hui, nous avons des régimes diamétralement opposés, une dictature héréditaire et nucléaire au Nord, une démocratie libérale hyper-développée accueillant 30 000 soldats américains au Sud. Le sentiment d’identité nationale et d’appartenance à un même peuple — les Coréens parlent d’ethnie —, ou d’histoire commune, ne fait plus consensus. La thématique de la réunification à l’allemande longtemps mise en avant par le Sud n’est plus aussi mobilisatrice que dans les années qui ont suivi la sunshine policy (ou politique de rapprochement avec le Nord) lancée en 1997 par le président progressiste Kim Dae-jung. On notera d’ailleurs le caractère cyclique des relations intercoréennes qui dépendent en grande partie des efforts d’ouverture et de la ténacité du gouvernement du Sud à lancer ou relancer le dialogue avec le Nord. Les grands moments de rapprochement sont le fait de présidents progressistes, dont l’implication personnelle et les croyances religieuses sont fortes. Le dernier exemple en date est le président Moon Jae-in. Ses efforts se sont heurtés à la question nucléaire nord-coréenne (dont bien sûr je ne nie pas l’importance déterminante dans toutes les discussions sur la stabilité stratégique de la péninsule) et à l’intransigeance américaine sur l’organisation des négociations et le préalable d’un désarmement complet, vérifiable, irréversible et définitif (CVID) de la Corée du Nord. Les rencontres entre Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour en 2018 et Hanoï en 2019 n’ont même pas permis aux deux Corées de signer un traité de paix. Elles sont donc techniquement toujours en guerre.

La brutalité calculée et méthodique de Kim Jong-un, lorsqu’il détruit tous les symboles des relations intercoréennes, est l’expression d’un dépit face au peu de résultats des négociations engagées à l’initiative du président Moon et plus largement d’un refus du principe de réunification des deux pays, ou alors, si l’on s’en tient à sa logique belliqueuse, d’une réunification qu’il entendrait réaliser par la force.

À cette lecture de fond et de la frustration qui en découle s’ajoute l’arrivée à Séoul en 2022 d’un président conservateur, Yoon Suk-yeol, qui va rapidement adopter un langage très dur voire menaçant à l’égard de la Corée du Nord et de ses essais de missiles balistiques intercontinentaux. Dans un premier temps, Yoon Suk-yeol a demandé des garanties américaines supplémentaires sur la dissuasion nucléaire élargie au profit de la Corée du Sud. Il a d’ailleurs obtenu la reprise d’escales de bombardiers stratégiques et de sous-marins nucléaires d’attaque américains en Corée du Sud. On notera par ailleurs que dans le Livre blanc de 2023, Séoul qualifie la Corée du Nord d’« ennemi ».

Où en est la situation aujourd’hui, après une année 2024 qui a vu la Corée du Nord se rapprocher fortement de Moscou, et la Corée du Sud des États-Unis, du Japon et de l’OTAN ? Quelles sont les perspectives sur l’évolution des relations entre ces deux pays ?

Il est à craindre que les relations restent extrêmement tendues car il ne s’agit pas uniquement des deux Corées, mais aussi de leur environnement régional et des superpuissances qui en font partie au gré des alliances et des coalitions. C’est d’ailleurs historiquement la malédiction de la Corée : jusqu’au XIXe siècle, elle a été intégrée au système tributaire chinois ; au début du XXe, elle a subi plus de trente ans de colonisation japonaise pour devenir, à partir de 1945, otage de la guerre froide et des rivalités d’influence idéologique entre deux blocs et subir le traumatisme de la division, sans oublier la guerre de Corée, et son niveau de destruction, qui va figer l’ensemble des protagonistes dans la configuration que l’on connait aujourd’hui.

Cette trajectoire historique inédite est une réalité politique qui apparait aujourd’hui immuable. Les systèmes sociopolitiques entre les « deux » Corées sont diamétralement opposés et les grands protecteurs sont toujours là et continuent à peser de tout leur poids. Il y a d’un côté la Corée du Nord, la Chine et la Russie avec certains aléas dans leurs relations, sans que l’on puisse parler d’alliance militaire au sens strict, et de l’autre coté la Corée du Sud et son allié stratégique américain avec des troupes et des équipements militaires déployés. Le rapprochement de la Corée du Sud avec le Japon parait encore très fragile. Il est en partie dû au volontarisme du président Yoon, ce qui a été très critiqué par l’opposition qui a un discours très antijaponais et qui instrumentalise les questions mémorielles au moins autant que le fait la Chine. De la même façon, les relations du Japon et de la Corée du Sud avec l’OTAN tiennent davantage du dialogue politique — un dialogue en partie centré sur la Chine — que de la coopération militaire. Mais, bien sûr, cela sert le narratif chinois qui dénonce la constitution d’une « OTAN asiatique ». Des formats comme le QUAD, dont la Corée du Sud ne fait pas partie, et surtout l’AUKUS, que Séoul et Tokyo pourraient soutenir sur le pilier technologique, sont beaucoup plus opérationnels.

Dans quelle mesure le théâtre ukrainien est-il en train de se transformer en guerre par procuration entre les deux Corées ?

Je pense que l’on peut parler de guerre de Corée à front inversé puisque l’on se retrouve avec les principaux protagonistes de ce conflit emblématique de la guerre froide mais sur le sol européen, avec une Corée du Nord qui a pris le risque d’adopter une posture de cobelligérance mais qui a gagné une exposition internationale de premier plan, ce que souhaitait Kim Jong-un, qui a obtenu de facto une alliance militaire avec la Russie — pendant, dans son esprit, à l’alliance américano-sud-coréenne.

La Corée du Sud, quant à elle, s’est montrée très active dès le début de l’agression russe en procurant une aide humanitaire et économique massive à l’Ukraine, notamment dans le domaine médical, mais aussi en matière de transfert d’équipement défensif, à l’instar du Japon. Le président Yoon et sa femme se sont d’ailleurs rendus en Ukraine. Se pose toutefois la question de la livraison éventuelle d’armes en réponse à l’implication nord-coréenne dans le conflit. La Corée du Sud est le neuvième exportateur d’armement mondial. Elle a déjà transféré de grandes quantités de munitions et de missiles aux États-Unis, mais aussi des chars et des obusiers à la Pologne, de façon à recompléter les stocks de ces deux pays. Jusqu’à présent, la Corée du Sud a hésité sur le principe d’un transfert direct d’équipements à l’Ukraine en se disant que cela ne serait pas sans conséquence tant vis-à-vis de Pyongyang que de Moscou. Toutefois, le pays est confronté à une crise intérieure, le sort du président Yoon restant incertain en raison de la procédure d’examen de sa destitution, ce qui empêche Séoul et son président par intérim de vraiment se projeter sur le front des affaires internationales.

Nous avons assisté ces dernières années à un rapprochement entre Séoul et Tokyo. Si les relations ont parfois été compliquées avec le Japon par le passé, quid de l’état actuel des relations entre la Corée du Sud et le Japon ?

Les relations entre la Corée du Sud et le Japon ont longtemps été dépendantes des questions mémorielles et de l’incapacité des deux pays à avancer en mettant de côté les questions du passé comme la France et l’Allemagne ont su le faire. Il est vrai que le président Yoon, dès son élection à la tête de la Corée du Sud en 2022, a souhaité se rapprocher du Japon alors que son prédécesseur avait créé une nouvelle crise en revenant sur la signature d’un accord sur le sujet éminemment délicat des femmes de réconfort.

Objectivement pourtant, les deux pays, qui sont les deux principaux alliés des États-Unis, et qui sont en butte à un environnement très incertain, devraient davantage dialoguer sur les sujets de sécurité, notamment concernant les activités de la Corée du Nord, échanger du renseignement sur ce sujet et davantage se coordonner dans l’optique de l’éclatement d’une crise sur la péninsule coréenne. Lors de la rencontre entre le président Yoon et l’ancien Premier ministre japonais Fumio Kishida en mars 2023 — la première à ce niveau depuis douze ans —, ces sujets ont d’ailleurs été abordés. Plus décisif, un sommet trilatéral a été organisé à Camp David à l’été 2023 incluant cette fois les États-Unis et débouchant sur l’engagement des trois pays à institutionnaliser une coopération trilatérale avec l’organisation de sommets de haut niveau et de réunions de travail entre diplomates et militaires.

On notera que face à ce rapprochement, très bien orchestré par l’administration Biden, la Chine a tenté de reprendre l’initiative en s’efforçant elle aussi de resusciter un format de rencontre trilatéral Chine-Japon-Corée du Sud. Les trois pays ont des relations économiques et commerciales importantes mais leur divergences politiques restent fortes : vu de Séoul, le soutien sans faille de Pékin à la Corée du Nord bloque le développement de relations de confiance ; quant au Japon, il fait face à une agressivité grandissante de Pékin concernant les litiges maritimes sur les iles Senkaku. De fait avec le renforcement de la coopération militaire entre la Russie et la Corée du Nord et la proximité de la Chine avec ces deux pays bellicistes, le Japon et la Corée du Sud devraient poursuivre leur rapprochement.

Si l’arrivée de Joe Biden au pouvoir avait été une source de rapprochement avec Washington, qu’est-ce que la Corée du Sud doit attendre d’une présidence Trump 2.0 alors que Séoul s’inquiète d’une éventuelle tentative de Donald Trump de renouer le dialogue avec Kim Jong-un ?

Le retour de l’administration Trump fait craindre à la plupart des alliés des États-Unis une remise à plat de la relation bilatérale, notamment sur ses aspects financiers. Le Japon et la Corée du Sud n’y échapperont pas et devront de surcroit faire face à l’impact de la polarisation de la relation entre les États-Unis et la Chine. Cela ne devrait pas leur laisser une grande marge d’autonomie stratégique et ils devront plus ou moins s’aligner sur la politique chinoise de leur grand allié. La Corée du Sud possède peut-être l’avantage de pouvoir mettre en avant son niveau d’excellence dans des secteurs à haute valeur technologique intéressant les États-Unis comme les semi-conducteurs ou les batteries, mais elle devra cependant accepter de relocaliser ses entreprises produisant des puces mémoires de Chine vers les États-Unis.

Séoul redoute particulièrement une nouvelle initiative en direction de la Corée du Nord. On notera cependant que celle-ci n’a pratiquement pas été mentionnée dans les discours de campagne de Donald Trump. D’ailleurs, depuis l’échec des rencontres de Singapour et de Hanoï, Kim Jong-un a fait son autocritique et a pris ses distances tant avec les États-Unis qu’avec Séoul. Son rapprochement avec la Russie et son rôle dans le conflit ukrainien lui confèrent par ailleurs une position internationale plus forte qui ne l’incitera pas à rechercher un dialogue quelconque avec Trump.

Face à l’accroissement des tensions internationales et des rapports de force entre puissances, la Corée du Sud pourrait-elle être tentée d’acquérir l’arme nucléaire comme cela a été évoqué par l’ancien président en janvier 2023 ?

On peut constater que le débat, qui est loin d’être tabou comme au Japon par exemple, est plus que jamais d’actualité. Ces deux dernières années, le président Yoon s’est exprimé sans détour sur le sujet en expliquant que son pays pourrait recourir au nucléaire en raison de l’accroissement de la menace nord-coréenne. Il est soutenu en cela par une opinion publique tout à la fois inquiète devant le nouveau bellicisme nord-coréen et sceptique sur la permanence de l’engagement de sécurité des États-Unis et les garanties du « parapluie nucléaire » américain. L’idée fait donc son chemin au sein de la population et de la classe politique sud-coréenne et un relatif consensus existe sur le fait que le pays doit se doter de ses propres capacités atomiques et ainsi ne plus dépendre exclusivement de l’allié américain.

La réélection de Trump semble renforcer cette idée, d’autant que Séoul n’exclue pas une nouvelle initiative du président américain en direction de la Corée du Nord. On peut observer dès maintenant combien ce dernier s’est rapproché de Vladimir Poutine, dont il a quasiment épousé la vision d’un plan de paix avec l’Ukraine, très favorable aux intérêts russes. Dans ces conditions, pourquoi ne pas imaginer que Trump puisse se rapprocher une nouvelle fois de Kim Jong-un en demandant à Poutine de jouer les bons offices ? On a vu combien l’Ukraine et les Européens ont été marginalisés dans les discussions, et Séoul ne doit pas s’attendre à être mieux traitée en cas de reprise des discussions américano-nord-coréennes.

Une autre hypothèse verrait la Russie aider Pyongyang à améliorer son programme d’armes et acquérir une capacité de seconde frappe crédible. En l’état, la Corée du Sud, dont la capitale est à portée de l’artillerie et des missiles de courte portée nord-coréens, est déjà très vulnérable face à son imprévisible voisin. Séoul a largement investi dans la défense antimissile, au grand dam de la Chine qui estime que le système est dirigé contre elle. Mais, face à un adversaire nucléarisé et désinhibé comme Kim Jong-un, est-ce suffisant ?

L’administration Biden a accepté de renouveler les garanties américaines concernant la dissuasion nucléaire élargie et a créé un dialogue spécifique sur ce sujet avec la partie coréenne. Mais le retour de Trump a relancé les inquiétudes sud-coréennes sur l’évolution de l’alliance ainsi que sur ce que pourrait être la politique nord-coréenne des États-Unis. Par ailleurs, quelles seraient les réactions du président américain face à la décision sud-coréenne d’acquérir des capacités nucléaires autonomes ? La logique transactionnelle qui domine chez Trump pourrait porter sur les économies en hommes et en argent que cette décision impliquerait pour les États-Unis — le président américain s’en trouverait satisfait.

Enfin, dans quelle mesure la crise politique que traverse actuellement la Corée du Sud peut-elle avoir une influence sur la politique étrangère du pays et les enjeux de sécurité dans la région ?

La crise politique provoquée par le président conservateur Yoon depuis décembre 2024, avec sa tentative brouillonne d’imposer la loi martiale en Corée du Sud, a ramené le pays aux pires heures de son passé, dont la dictature des généraux Park Chung-hee et Chun Doo-hwan. Elle a donné un avantage politique au clan progressiste, c’est-à-dire au Parti démocrate (PD) et à son chef Lee Jae-myung en cas d’élection présidentielle, si la destitution du président Yoon était confirmée. Mais la situation chaotique que connait le pays n’est pas sans conséquence en matière de politique étrangère. Comme nous l’avons vu, le président Yoon a encouragé la reprise du dialogue avec le Japon. Il a renforcé la posture et l’influence de son pays au sein du triangle stratégique États-Unis / Japon / Corée du Sud, alors que le PD restait a contrario très réservé voire hostile à un rapprochement avec le Japon, réservé également sur la coopération militaire avec l’allié américain, tout en se montrant plus ouvert sur la relation avec la Chine mais aussi avec la Corée du Nord. On se souvient que la relation entre les présidents Moon et Trump étaient restées distantes. Moon n’avait pas endossé la stratégie indo-pacifique qui avait la faveur de Trump, la jugeant trop « antichinoise ». Le président Yoon a su au contraire développer une relation assez forte voire amicale avec le président Biden et son secrétaire d’État Antony Blinken. De fait, au-delà de la crise politique en Corée du Sud, la fragilité parlementaire du Premier ministre Shigeru Ishiba au Japon peut déboucher sur une période de plus grande instabilité dans les relations avec les États-Unis de Trump, à la fois entre les trois pays et de manière bilatérale entre eux. Cela est une aubaine pour les régimes autoritaires voisins qui se sont fortement rapprochés et qui sont solidement en place à Pékin, Moscou et Pyongyang.

Thomas Delage 

Marianne Peron-Doise

areion24.news