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lundi 1 décembre 2025

Les désastres causés au Sénégal par l’élevage intensif du Saumon

 

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La France est le pays d’Europe où l’on consomme le plus de saumons. En serait-il de même si chacun savait comment ils sont élevés, comment leur production est un défi au bienêtre animal (densité, maladies) ? Si l’on avait idée de la façon dont travaillent les multinationales qui possèdent l’essentiel des « fermes » salmonicoles, des fjords norvégiens au Chili, en passant par les lochs écossais ? Il est loin le temps où les saumons sauvages s’ébrouaient dans nos rivières et dans les mers. Dans ce livre, dense et fouillé, Maxime Carsel nous dévoile la face cachée de ces élevages où pesticides, hormones et manipulations génétiques se cumulent.

Sans compter les effets nocifs induits pour les nourrir : de la pêche intensive au large des côtes du Sénégal – au détriment des populations locales – de crustacés et petits poissons pour fabriquer la farine animale avec laquelle sont nourris les saumons d’élevage, à l’utilisation intensive de soja, l’une des causes de la déforestation en Amazonie…

Maxime Carsel est un documentariste spécialisé en environnement et société. Journaliste free-lance, il a travaillé pour M6 et a signé plusieurs films documentaires pour Arte, Public Sénat ou France 3 et des reportages dans l’émission La Terre au carré sur France Inter. Il a également écrit pour Siné Mensuel, Blast et Reporterre.

On connaissait l’accaparement des terres, mais il existe aussi l’accaparement des mers. En Afrique, certains pays maritimes en payent le prix fort. C’est le cas du Sénégal où la pêche est pratiquée par plusieurs communautés. Plus qu’une activité économique, c’est une tradition héritée et transmise aux nouvelles générations. La pêche est la première activité du pays.

A l’horizon, flottant sous drapeaux étrangers, les chalutiers se comptent par dizaine. Ils pillent les côtes sénégalaises et expédient leur chargements vers les marchés étrangers. Pourtant 600000 sénégalais, soit 20% de la population, vivent du poisson qui fournit 70% des protéines du pays à lui seul. La petite sardine appelée yaboye vient chaque année se reproduire et pondre au large de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie. Aujourd’hui ce poisson est surexploité. Les pêcheurs traditionnels rentrent les filets vides et regardent au loin les chalutiers dévorer la mer. Leur pays est passé de la pêche de consommation à la pêche de commercialisation.

Un « détournement de poisson »

 

Un rapport dénonce les impacts du chalutage de fond sur la pêche artisanale au Sénégal La flotte sénégalaise de chalutiers de fond, l’une des plus importantes d’Afrique de l’ouest avec un total de 99 navires titulaires d’une licence de pêche en 2019, est essentiellement contrôlée par des acteurs étrangers provenant de l’UE et de la Chine, par le biais d’accords de sociétés mixtes jugés opaques 


Pour l’ONG Greenpeace Afrique, il s’agit d’un « détournement de poisson » (stolen fish). « Chaque année, les grandes entreprises volent plus d’un demi-million de tonnes de poisson aux populations d’Afrique de l’Ouest. Cela suffit à nourrir 33 millions de personnes. Mais au lieu de cela, ce poisson est transformé et donné à manger aux animaux en Asie et en Europe. Les scientifiques prédisent que les stocks de poissons au large de l’Afrique de l’Ouest seront bientôt définitivement détruits. » écrit l’association dans une pétition en ligne[1] qui n’a rapporté que 10 000 signatures. Sans poisson, c’est la famine qui se profile. En seulement dix ans, les prises de petits pélagiques est passée de 18 kg par personne et par an à 9 kilos ![2]

Depuis 2019, la Mauritanie s’est engagée dans l’Initiative pour la Transparence des Pêches (FiTi) pour accroître la transparence dans le cadre d’une gestion plus durable des pêches. Le Sénégal n’y est pas. Les bacchanales peuvent donc continuer.

Alors, courageux et bien décidés à se défendre, les pêcheurs artisanaux sénégalais vont, à bord de leurs 17 000 pirogues à moteur, chercher le poisson bien au-delà de la frange des six milles nautiques que la loi de 1970 leur réserve. Dans une zone entre le Sénégal et le Cap vert, ils tentent de grappiller ce que les chaluts ont bien voulu leur laisser. Mais les prises restent faméliques et la misère s’installe. « La consommation de poissons au Sénégal seul a diminué de 50 % au cours de la décennie 2009-2018, en raison d’une réduction de la disponibilité de petits poissons pélagiques », reprend le rapport de l’ONG française Seastemik[3]. Cette cohabitation forcée provoque des accidents et les trois quarts des pêcheurs indiquent que leurs lignes ou leurs filets ont été endommagés par un chalutier.

Comble de la malchance, plusieurs centaines d’entre eux ont été touchés par « la maladie des pêcheurs » en 2021 après avoir manipulé des filets dérivants. Ils ont développé des inflammations et des lésions cutanées aux mains, avant-bras et même sur les jambes. En cause, une algue toxique qui a proliféré à cause notamment du dérèglement climatique mais aussi du fait de de l’accroissement des flux liés au transport maritime ![4] Les chalutiers endossent donc ici une double responsabilité.

Les migrations des pêcheurs

Bon nombre de pêcheurs du Sénégal, de Gambie ou de Guinée désœuvrés et impuissants décident finalement de fuir cet enfer pour rejoindre l’Europe. En juillet 2023, un bateau transportant 150 personnes s’est perdu dans les eaux bleues foncées de l’océan Atlantique. Parmi elles, 50 pêcheurs sénégalais originaires de la ville de Fass Boye. Un mois plus tard, le bateau a été retrouvé au large du Cap-Vert avec à son bord la moitié des personnes mortes de faim et de soif, dont plusieurs enfants. [5]

Parmi les « pilleurs de mer », plusieurs entreprises mondiales sont aux manettes : EWOS/Cargill (USA), Olvea (France), BioMar (Danemark) et Skretting (Norvège). Leur objectif est simple, pêcher le plus possible. Cinq tonnes de poissons sont nécessaires pour produire une seule tonne de farine.

Depuis novembre 2024, le Sénégal n’autorise plus les bateaux-usines de l’Union Européenne de pêcher dans leurs eaux.

« Le navire de l’enfer »

Parmi eux, « le navire de l’enfer », le plus gros chalutier du monde qui mesure plus de 145 mètres de long. Il peut stocker 7000 tonnes poissons à son bord en pêchant 400 tonnes de poissons par jour[6].  Son nom : L’Annelies Ilena. Propriété française de la Compagnie des pêches de Saint-Malo depuis 2024, il ne peut pas rentrer dans le port de la ville à cause de sa taille imposante. Aujourd’hui il racle le Golfe de Gascogne à la recherche de merlans bleu pour la fabrication de surimis.

Si les bateaux de l’UE ont été priés de rentrer chez eux, il reste sur place les nombreux bateaux chinois qui détiennent le record mondial de la pêche non-réglementée selon la Global Initiative Against Transnational Organized Crime[7]. La Chine et le Sénégal n’ont signé aucun accord. Pour se servir discrètement, les chinois ont plusieurs techniques dont celle de renommer leurs bateaux avec des noms locaux. « À chaque fois qu’on est en mer, on voit des Chinois dans des bateaux » s’est insurgé Mor Mbengue, le Président du Comité Local des Pêches Artisanales de Kayar[8], ville côtière située à 50 kilomètres au nord de la capitale. Pour la première fois, l’ensemble de la flotte chinoise de pêche lointaine chinoise a été localisé et identifié[9] dans un rapport. Les auteurs sont tombés sur le chiffre colossal de 16 966 navires sillonnant le monde, qu’ils pensent même en-dessous de la réalité. Le long des côtes d’Afrique de l’Ouest, de Gibraltar au Cap, le pays du Milieu disposerait à lui seul une flotte de six cents bateaux.

Si les autorités parviennent parfois à stopper les chalutiers chinois comme en 2017 lorsque sept navires ont été arraisonnés alors qu’ils pêchaient sans autorisation dans les eaux sénégalaises[10], chacun tente, avec ses moyens, de stopper l’hémorragie. C’est le cas de Nyang Njie, un citoyen gambien qui envoie régulièrement des photos et des vidéos stupéfiantes sur sa page FaceBook[11] où l’on voit les bateaux de pêches chinois foncer sur les pirogues des petits pêcheurs trop curieux.

La farine sera vendue pour les saumons mais aussi les animaux terrestre ou utilisée également comme engrais grâce à sa forte concentration en azote et phosphore.

Des tonnes de petits poissons

De retour sur Terre, les pirogues déchargent leur contenu. Dans les filets, outre la sardinelle on y trouve des tonnes de bongas, petit poisson riche en acide gras que les pêcheurs appellent Cobo ou Fassou caba en dialecte Wolof. Il est très présent dans les eaux océaniques en bordure d’Afrique de l’Ouest et représente un ingrédient idéal dans la recette pour fabriquer la précieuse farine et les huiles animales. Une fois capturés et triés, ces bongas partiront sans doute dans l’une des huit usines de fabrication de farine du Sénégal ou des trois de Gambie voire des trente-cinq situées en Mauritanie. Parmi elles, Omega Fishing basée à Joal-Fadiouth au Sénégal, ville natale du poète et ancien président Léopold Sédar Senghor, et qui abrite le plus grand centre de transformation de produits halieutiques. En d’autres termes, Joal-Fadiouth est la capitale sénégalaise du poisson.

Installée au cœur de la commune, l’usine Oméga fait grincer des dents. Un collectif d’habitant s’est formé et dénonce « l’odeur de mort » qui est répandue dans toute la ville. Leur revendication est simple : faire sortir l’usine loin de la ville. Le collectif a rejoint la Coalition nationale contre l’implantation des usines de farine et d’huile de poissons qui demandent, entre autres, d’appliquer les recommandations issues des concertations sur la problématique des usines de farine et d’huile de poisson en octobre 2019 et de fermer toutes les usines de farine et d’huile de poisson ouvertes après ces concertations[12].

Un rapport[13] explosif du la Direction des Industries de Transformation des Pêches du Sénégal en  2022 a démontré que les exportations de farine de poisson ont augmenté de 86 % et celles d’huile de poisson de 129% sur une seule année. Le pays est devenu le deuxième fabricant de farine d’Afrique de l’Ouest après la Mauritanie. Le gouvernement de jeune président Diomaye Faye encourage «la production d’aliments pour poissons au niveau local par la création d’unités industrielles ». Pour l’Association pour la promotion et la responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale maritime (APRAPAM), c’est absurde car il faut d’abord nourrir les populations locales au lieu de les donner à mange aux poissons d’élevage des pays riches[14].

Examen de conscience 

Ce livre est un plaidoyer pour un changement de modèle, une prise de conscience urgente sur l’avenir des écosystèmes aquatiques, et un examen de conscience sur notre rapport à la consommation.

[1]« Protect the Oceans – Protect fishing communities »  https://pages.greenpeaceafrica.org/protect-west-africa-fish

[2]«Mise en marché des petits pélagiques côtiers au Sénégal : Formes de valorisation et enjeux autour de la ressource » University of Portsmouth, El Hadj Bara Deme, Moustapha Dème. 12/2021

[3]https://seastemik.org

[4]«La mystérieuse maladie des pécheurs sénégalais la coupable es une microalgue marine toxique » IRD.fr. 13/02/2025

[5]« Sénégal : le village de Fass Boye pleure ses fils morts en mer » AfricaNews.com, 13/08/2023

[6]«« Le navire de l’enfer”, le plus grand chalutier du monde » La Charente Libre, 31/01/2024

[7]https://globalinitiative.net

[8]«Le Sénégal publie une liste de 151 bateaux de pêche agréés, polémique sur les équipages étrangers » RFI, 08/05/2024

[9]«China Distant Water Fishing Fleet – Scale, impact and governance » Overseas Development Institute, Miren Gutierrez, Alfonso Daniels, Guy Jobbins, Guillermo Gutierrez Almazor, Cesar Montenegro, 06/2020

[10]« Pêche illégale : sept chalutiers chinois aux mains de la marine sénégalaise » AfricaNews.com, 13/08/2017.

[11]https://www.facebook.com/Daddy.Njie

[12]« Coalition contre les usines de farine de poisson : Memorandum contre les usines de farine et d’huile de poissons », maritimafrica.com, 07/06/2024

[13]«Rapport statistique annuel des exportations de produits de la pêche année 2022 » Direction des Industries de Transformation de la Pêche

[14]«Senegal’s exports of fishmeal and fish oil « explode » » Coalition For Fair Fisheries Arrangments. 13/06/2024

Nicolas Beau 

mondafrique.com