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samedi 6 décembre 2025

La nouvelle NSS américaine : quelques remarques

 


Publiée le 4 décembre, la nouvelle National Security Strategy (NSS) américaine clarifie la position de Washington à l’international, laquelle faisait toujours l’objet de débats internes dans l’administration Trump. C’est un vrai document de grande stratégie au sens américain du terme. On y retrouve la vision du monde prônée et une définition des objectifs poursuivis. Un ordre des priorités stratégiques est établi : l’« hémisphère ouest », incluant l’Amérique latine (et un retour à la doctrine Monroe) ; la zone Pacifique ; l’Europe ; le Moyen-Orient et enfin l’Afrique. La lecture du monde est aussi très américaine : les pièces d’un puzzle déclaratoire qui pouvait sembler incohérent sont assemblées. La lecture est ici très américaine mais aussi profondément marquée par un narcissisme politique : jamais sans doute une NSS n’aura été aussi « personnalisée », le nom du président étant cité à 26 reprises.

Pour ce qui concerne l’Europe, la caractérisation américaine revient d’abord sur les thématiques d’un déclin économique, démocratique et civilisationnel souvent mis en avant par la Maison Blanche et qui sonnent en écho au discours de J.D. Vance à Munich, en février 2025. L’Europe reste certes « vitale » pour les Etats-Unis mais la liste de leurs priorités augure d’une plus grande ingérence américaine dans les affaires européennes, dans un contexte d’une relation apparaissant comme fondamentalement asymétrique. Si l’on peut se rallier à l’objectif de « Permettre à l’Europe de devenir autonome et d’agir comme un groupe de nations souveraines alignées, notamment en assumant la responsabilité principale de sa propre défense, sans être dominée par une puissance adverse », la suite prête à réflexion, dès lors qu’il s’agit de « Cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe au sein des nations européennes » ou encore d’« Ouvrir les marchés européens aux biens et services américains et garantir un traitement équitable des travailleurs et des entreprises américains ».

L’Union européenne et d’« autres organes transnationaux » reçoivent un traitement peu susceptible d’aider à l’approche transactionnelle qu’affectionne l’Administration Trump. Ainsi, leurs activités font partie des « plus grands problèmes » qui « sapent la liberté politique et la souveraineté, des politiques migratoires qui transforment le continent et créent des conflits, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, l’effondrement des taux de natalité et la perte des identités nationales et de la confiance en soi » (p. 25). In fine, il est paradoxal de voir une critique des institutions européennes là où les Etats européens semblent compris comme une masse monolithique et ramenés à la terminologie d’« Europe » ou des « Européens ». En fait, seules l’Irlande et le Royaume-Uni sont cités en tant que tels, mais n’échappent pas à l’impératif d’un alignement sur les autres Etats.

Le rapport à l’OTAN est également intéressant. D’une part, il s’agit à la fois de mettre fin son expansion – ce qui implique que la Moldavie ou l’Ukraine ne pourront y adhérer – et ce, au risque de se placer en porte-à-faux avec les statuts de l’organisation. Mais, d’autre part, Washington considère également que l’alliance aurait in fine et dans le long terme, une majorité de membres… non-européens. En Europe centrale et orientale, il s’agit par ailleurs de « Consolider la prospérité des nations d’Europe centrale, orientale et méridionale par le biais de liens commerciaux, de ventes d’armes, d’une collaboration politique et d’échanges culturels et éducatifs ». Si l’on retrouve des échos de la distinction opérée sous l’Administration Bush Jr. entre « ancienne » et « nouvelle » Europe, il faut aussi constater l’approche se fait volontiers prédatrice économiquement et intrusive politiquement. 

Derrière la question otanienne, il y a également celle de la Russie, citée à neuf reprises – et uniquement dans le cadre européen. Ici, l’approche est centrée sur la recherche d’une « stabilité stratégique » qui n’est pas réellement définie : s’entend-elle comme la recherche, compétitive, d’une parité marquée par une dissuasion mutuelle ? Ou comme l’évitement d’un conflit avec la Russie ? Ainsi, « les relations entre l’Europe et la Russie sont aujourd’hui fortement détériorées, et de nombreux Européens considèrent la Russie comme une menace existentielle. La gestion des relations européennes avec la Russie exigera un engagement diplomatique américain significatif, à la fois pour rétablir les conditions d’une stabilité stratégique sur l’ensemble de la masse eurasienne et pour atténuer le risque de conflit entre la Russie et les États européens ».

La position américaine à l’égard de l’Ukraine est également clarifiée. Elle est ainsi citée à quatre reprises pour être présentée comme un facteur de blocage au rétablissement de ce que Washington perçoit comme la stabilité stratégique des relations avec la Russie. Son avenir au-delà de la guerre est considéré, mais comme devant permettre sa reconstruction et son maintien en tant qu’Etat viable. Cette position a minima implique qu’il est « dans l’intérêt fondamental des États-Unis de négocier une cessation rapide des hostilités » – d’ailleurs, en premier lieu, pour « stabiliser les économies européennes ». Or, l’Ukraine est particulièrement dépendante des promesses américaines de livraison d’armement, qu’elles aient été faites sous l’Administration Biden, ou achetées par plusieurs Etats européens sous l’Administration Trump. Il reste donc à voir si ces achats européens ne se retourneront pas contre Kiev, en devenant des leviers, coercitifs, de négociation. 

Joseph Henrotin

areion24.news