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mardi 15 avril 2025

Pourquoi Trump est en train de perdre sa guerre commerciale avec la Chine

 

La surenchère sur les droits de douane engagée depuis le 9 avril entre les Etats-Unis et la Chine commence à être remise en cause dès le 13 avril. La Maison Blanche vient d’exempter tous les produits électroniques chinois de droits de douane. D’autres mesures vont probablement suivre et la pression pour trouver au moins un compromis partiel va devenir extrêmement forte.

« C’était une erreur pour la Chine de pratiquer des rétorsions. Quand l’Amérique prend un coup, elle rend un coup encore plus fort, et c’est la raison pour laquelle nous appliquerons 104% de droits de douane supplémentaires » déclare Karoline Leavitt, porte-parole du gouvernement américain, dans son point de presse du 8 avril. Les annonces successives des deux côtés portent à 145% côté américain et 125% côté chinois le niveau des droits de douane dès le 11 avril.

Aucune déclaration à la presse n’accompagne la volte- face du 13 avril sur les produits électroniques chinois. Les smartphones, ordinateurs, écrans plats, disques durs, tablettes, équipements pour semi-conducteurs, échappent désormais aux rétorsions visant la Chine. L’« executive order » de la Maison Blanche liste la quinzaine de positions douanières concernées qui représentent collectivement un peu plus de 100 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine, soit 18% des importations totales. Le porte-parole du ministère du commerce chinois qualifie cette décision de « petit pas ». Il s’agit en fait d’un grand trou dans la raquette protectionniste américaine. Donald Trump rétorque que cette mesure est temporaire et que des taxes sur les semi-conducteurs seront bientôt décidées.

Le piège inflationniste

Parmi les nombreuses erreurs commises par les stratèges de la politique commerciale américaine figure l’idée selon laquelle les Etats-Unis ont moins à perdre que la Chine car le niveau de leurs exportations vers ce pays est beaucoup plus faible que celui des exportations chinoises. C’est un calcul qui ne tient pas compte de plusieurs pièges, dont le premier est celui de l’inflation.

Si Donald Trump renonce à taxer les exportations électroniques chinoises, ce n’est pas pour faire un geste vis-à-vis de Pékin. C’est parce que la big tech américaine et les grands distributeurs lui ont fait comprendre que l’impact inflationniste des sanctions sera particulièrement fort dans ce secteur.

Prenons l’exemple de l’iPhone, qui représente à lui seul 51 milliards d’importations en provenance de Chine en 2024 selon les données de l’International Trade Center. Une taxation à 145% des iPhones en provenance de Chine ferait monter leur prix sur le marché intérieur américain d’au moins 90%, d’après les experts du secteur, même si Apple réduit ses marges aux Etats-Unis et les augmente ailleurs. On passerait à partir du mois de juin, une fois les stocks épuisés, de 1 200 dollars à 2 300 dollars, ce qui constituerait une magnifique opportunité pour Samsung, le principal concurrent d’Apple. Comme 85% des iPhones sont assemblés en Chine, relocaliser la production dans d’autres pays n’est pas jouable dans des délais raisonnables. Localiser aux États-Unis le serait encore moins car le coût d’un iPhone produit sur le marché américain pourrait atteindre 3000 dollars. Au-delà des iPhones, la Chine fournit beaucoup d’ordinateurs (36 milliards de dollars en 2024) et de produits électroniques à bas prix. Là encore l’impact inflationniste des taxes est immédiat et puissant. Un sondage auprès d’un panel de consommateurs américains publié le 10 avril par l’Université du Michigan montre que l’anticipation moyenne des hausses des prix est de 6,7% sur les douze prochains mois. Le président de la Banque Fédérale de New-York prévoit pour sa part un rythme d’inflation à hauteur de 4% en 2025 alors que la cible d’inflation de la FED est de 2%.

La Chine court en revanche nettement moins de risques inflationnistes. Ses importations en provenance des États-Unis représentent moins de 1% de son PIB. Par ailleurs l’économie chinoise est actuellement en déflation et une hausse des prix importés ne présente pas de risque majeur pour l’équilibre macro-économique du pays.

Et l’inflation n’est pas le seul piège dans lequel Donald Trump est tombé.

La Chine gagnante au jeu des dépendances réciproques

Taxer les produits chinois à 145% veut dire deux choses : qu’on peut trouver d’autres débouchés aux produits américains (taxés à 125% sur le marché chinois) et que l’on peut se passer des produits chinois. Commençons par la question des débouchés avec quelques exemples.

La Chine est de très loin le premier marché des exportateurs de soja américains ; 12,8 milliards de dollars en 2024, soit plus de 50% du total. Le second marché d’exportation est l’Union européenne, avec seulement 2,4 milliards de dollars. On voit mal l’UE multiplier par cinq ou six ses importations de soja pour permettre aux exportateurs de soja américains de compenser la perte du marché chinois. La Chine en revanche n’importe que 21% de son soja des Etats-Unis, loin derrière le Brésil et un peu devant l’Argentine. Pékin peut renforcer ses partenariats latino-américains et se passer du soja américain.

Ce qui est vrai pour le soja l’est aussi pour le coton. Le marché chinois est également le premier client du coton américain, avec 35% des exportations américaines. Les États-Unis sont aussi le premier fournisseur de la Chine. Mais seulement un quart du coton vendu en Chine est importé, et le choc produit par les taxes énormes sur les exportations de textile-habillement chinois vers les Etats-Unis vont faire chuter la demande de coton. Entre chute de la demande et diversification des fournisseurs, la Chine peut faire face.

Les exportateurs de soja et de coton américain sont situés en majorité dans des États qui votent républicain comme l’Iowa, l’Indiana ou le Nebraska pour le soja, le Texas, le Mississippi ou l’Arkansas pour le coton. Les lobbies agricoles de ces États vont exercer une pression maximale sur Washington pour négocier avec Pékin.

Sur la question « peut-on se passer des produits chinois ? », un exemple emblématique est celui des jouets, où la Chine représente 60% des importations américaines. Imagine-t-on des fêtes de fin d’année aux Etats-Unis où les jouets coûteraient deux fois plus cher ou seraient indisponibles ? Quelle alternative est possible alors que le Vietnam, deuxième fournisseur, est lui-même menacé de 46% de droits de douane ?

Un autre exemple, plus stratégique pour les industries de pointe américaines, est celui des terres rares. La Chine produit 70% des terres rares mondiales et raffine 90% des métaux qui en sont issus. Elle fournit 70% des importations américaines de terres rares. Or en réponse aux surtaxes américaines, elle vient de mettre sur une liste d’exportations de matériels à double usage (civil et militaire) sept éléments de terres rares dits « lourds », qui sont utilisés dans l’aéronautique civile et militaire (les missiles par exemple) et dans des composants utilisés par les serveurs d’intelligence artificielle. Ces restrictions se traduisent par un arrêt de facto des exportations vers le monde entier jusqu’à ce qu’un dispositif de traçage complet soit mis en place. Elles font suite à l’interdiction d’exportation vers le marché américain du germanium et du gallium décidée en décembre 2024. Même si Washington dispose certainement de réserves pour les métaux les plus sensibles, l’étau se resserre et la pression pour une négociation va s’accroître.

Il y a bien sûr des secteurs où la dépendance réciproque est moins favorable à la Chine. Dans le domaine du textile-habillement , elle représente un quart des importations américaines. C’est beaucoup. Mais d’autres fournisseurs asiatiques pourraient prendre une partie des places perdues par les exportateurs chinois. Ceci suppose que ces autres fournisseurs, en particulier le Vietnam, l’Inde, le Bangladesh, ne soient pas eux-mêmes lourdement taxés dans 90 jours. On peut donc s’attendre à des « deals » avec les concurrents de la Chine permettant de diminuer la pression sur les prix intérieurs aux Etats-Unis.

Contrairement à Donald Trump, Xi Jinping n’a rien promis

Un autre élément sous-estimé par la Maison Blanche est la bataille de la communication et, derrière elle, la capacité de chacune des opinions publiques à résister au choc de la guerre commerciale. Trump s’est beaucoup engagé vis-à-vis des électeurs américains pour réduire l’inflation, créer des emplois et enrichir le pays, promettant un nouvel eldorado comme on n’en a jamais vu. Or ce qui se produit – hausse des prix, panique des consommateurs et des entreprises, crise boursière – va exactement en sens contraire de ses promesses. La presse américaine est (encore) libre et fait bien son travail pour souligner toutes les incohérences de l’administration et tous les risques qu’elle fait peser sur l’économie du pays.

Xi Jinping n’a rien promis. Il s’est présenté – aux yeux du peuple chinois et de l’opinion publique mondiale – comme le garant de l’ordre international et du respect des règles. Et il l’a fait avec de solides arguments. Son porte-parole qualifie de « farce » l’accumulation réciproque de sanctions commerciales. Le Parti communiste chinois contrôle entièrement la presse et les réseaux sociaux du pays et peut bâtir tranquillement un narratif mettant sur le compte de l’agression américaine une grosse part des difficultés de l’économie chinoise présente et à venir.

Le slogan « se battre jusqu’au bout » est simple et efficace, au moins à court terme. Dans quelques mois les dégâts économiques seront tels de part et d’autre – on évoque déjà une récession américaine et une croissance chinoise divisée par deux – que la recherche d’un compromis devrait s’imposer. Sur le terrain financier, la menace agitée par la Maison Blanche d’une sortie de la cote des entreprises chinoises sur les bourses américaines pourrait avoir un coût de 2 500 milliards de dollars, selon la banque d’affaires Goldman Sachs.

L’Impossible accord global

Si l’on fait un bref rappel historique, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ont connu trois grandes phases. La première, en 2018-2019, portait sur une première série de sanctions concernant plus de la moitié des exportations chinoises. Après une négociation qui a duré 18 mois, les deux pays sont parvenus à un accord dit de « première phase » en janvier 2020. Les tensions se déplacent ensuite sur le terrain technologique, avec l’élimination de Huawei et d’autres entreprises de la high-tech chinoise du marché américain. Par ailleurs Washington orchestre une campagne globale pour bloquer les exportations vers la Chine des semi-conducteurs de dernière génération et des équipements permettant de les fabriquer. Cette campagne a été surtout menée par l’administration Biden. Nous entrons depuis janvier 2025 dans une troisième phase qui est celle d’un découplage forcé et quasi-total entre les deux économies.

L’accord de « première phase » avait donné quelques résultats. La Chine a sensiblement renforcé son dispositif légal de protection de la propriété intellectuelle et de lutte contre les transferts technologiques forcés. Elle a davantage ouvert le marché chinois aux produits agricoles, aux produits énergétiques et aux services financiers américains. Mais la progression des exportations américaines est restée très en deçà de l’objectif ambitieux qui avait été fixé (200 milliards de dollars d’exportations supplémentaires, soit plus qu’un doublement des exportations américaines) et la pandémie a fortement perturbé les échanges bilatéraux.

Il paraît difficile pour Washington et pour Pékin de simplement revenir à la logique de l’accord dit de « première phase ». Sur le chapitre agricole par exemple, le potentiel d’exportations américain n’est pas extensible à l’infini. Tous les pays avec lesquels Washington négocie actuellement vont sans doute faire quelques concessions agricoles pour obtenir un « deal ». On ne voit pas très bien ce qui restera à négocier avec la Chine dans quelques mois. Sur le terrain des services financiers, il s’agit surtout d’éviter pour le moment une nouvelle crise avec la menace d’une sortie de la cote des entreprises chinoises sur les bourses américaines qui se traduirait par d’inévitables rétorsions chinoises avec en arrière-plan la menace qui pèse sur les bons du trésor américains.

Alors que la stratégie de Biden sur les semi-conducteurs était construite, ciblée et fondée sur des accords avec les partenaires occidentaux du pays, celle de Trump est particulièrement brouillonne puisque le projet de taxation des semi-conducteurs s’appliquerait au monde entier, avec l’espoir vain de relocaliser la production aux Etats-Unis.

La désescalade avec Pékin prendra sans doute d’abord des formes « simplistes », avec des exemptions supplémentaires là où la pression devient trop forte d’un côté comme de l’autre, ou une réduction concertée du niveau des sanctions réciproques. Une stratégie de négociation plus sophistiquée reste entièrement à inventer côté américain.

Hubert Testard

asialyst.com