Les migrations irrégulières sont un sujet de division politique majeure aux États-Unis, souvent utilisées comme levier lors des campagnes électorales. Si Donald Trump en a fait son cheval de bataille en 2024, sa nouvelle administration s’inscrira-t-elle dans la continuité des mesures antimigratoires de son premier mandat ? Faut-il s’attendre à un durcissement ?
En décembre 2023, les arrestations par les agents fédéraux étatsuniens d’environ 250 000 migrants à la frontière États-Unis/Mexique ont atteint un pic (1). Dès lors, et malgré la baisse drastique des arrestations le mois suivant, celles-ci ont contribué à enflammer les débats sur la politique intérieure et le futur des politiques migratoires étatsuniennes. Dans un contexte d’élections présidentielles où, selon les sondages, 77 % des Étatsuniens estimaient que la frontière États-Unis/Mexique était hors de contrôle et constituait un problème majeur (2), les mesures antimigratoires ont été durcies sous l’administration Biden, et le seront probablement davantage encore sous la nouvelle administration Trump.
Principaux flux migratoires et évolutions majeures
Actuellement, la population en situation irrégulière aux États-Unis est estimée à 11,3 millions (3), un chiffre relativement stable depuis 15 ans (4). En 2021, 46 % de cette population était d’origine mexicaine, contre 63 % en 2007, reflétant une diminution notable (5). La diminution du nombre de Mexicains a été contrebalancée par une augmentation de migrants originaires d’Amérique centrale, notamment du Guatémala, du Honduras et du Salvador (18 % pour ces trois pays) (6). Le nombre de migrants venant d’Amérique du Sud (Vénézuéla, Colombie) et des Caraïbes (Haïti, Cuba) a également augmenté ces dernières années, poussés par des crises économiques, des persécutions politiques, des violences de genre ou encore les changements climatiques. Le marché favorable de l’emploi aux États-Unis contribue également à attirer les migrants, puisqu’on y comptait deux postes vacants pour un travailleur en 2024 (7).
Le système de contrôle migratoire, historiquement conçu pour gérer des flux d’hommes mexicains célibataires à la recherche de travail, doit aujourd’hui s’adapter à de nouvelles dynamiques. Depuis une dizaine d’années, davantage de familles, d’enfants mineurs non accompagnés et de personnes LGBT se déplacent vers les États-Unis. En 2022, 149 000 mineurs non accompagnés venus d’Amérique centrale ont été arrêtés par la patrouille, un chiffre record (8).
Depuis 2021, une autre tendance émerge. Un nombre croissant de migrants en provenance de régions en dehors de l’hémisphère occidental tentent la traversée de la frontière États-Unis/Mexique. Parmi eux se trouvent des ressortissants d’Inde, de Russie, de Turquie ou du Cameroun, élargissant ainsi le profil des flux migratoires. Ces évolutions ont alimenté les débats sur l’avenir des politiques migratoires, devenu un enjeu central de la campagne présidentielle et poussant les candidats à durcir ces politiques.
Les stratégies multifacettes de l’administration Biden
Entre 2021 et 2024, l’administration Biden a permis de naturaliser un nombre record de près de 3,5 millions de personnes (9) et a ouvert la possibilité à des personnes originaires de Cuba, d’Haïti, et du Vénézuéla de bénéficier d’un programme de mesures d’exceptions humanitaires leur offrant un statut légal et l’accès au marché du travail. Toutefois, elle a globalement durci sa politique migratoire.
Sur le plan intérieur, malgré les promesses de défaire les politiques antimigratoires de Donald Trump, des mesures comme les Protocoles de Protection des Migrants (qui forçaient les demandeurs d’asile à attendre du côté mexicain de la frontière que leur dossier soit examiné) ou encore le Titre 42 (une mesure de santé publique utilisée lors de la pandémie de Covid-19, qui permettait d’expulser immédiatement les migrants en situation irrégulière sans que leur dossier n’ait été traité), n’ont été abrogées qu’en 2022 et 2023 respectivement. En mai 2024, une nouvelle réglementation (Circumvention of Lawful Pathways) restreignant les critères d’éligibilité à l’asile a été introduite, contrevenant à la Convention contre la Torture et limitant les droits de demander l’asile alors même qu’il s’agit d’un droit international (10). Le mois suivant, Joe Biden a signé un décret exécutif permettant de suspendre les possibilités de demander l’asile quand le nombre d’entrées irrégulières quotidiennes dépasse 1500 personnes (11).
À l’échelle régionale, de par la nature de plus en plus hémisphérique des migrations ces dernières années, l’administration Biden s’est davantage appuyée sur des accords avec ses pays voisins que les administrations précédentes pour freiner les migrations avant l’arrivée aux États-Unis. Elle a renforcé la pression sur le Mexique, principal point d’accès aux États-Unis, pour que l’administration d’Andrés Manuel López Obrador déploie 32 000 soldats et membres de la Garde nationale (soit 11 % de ses effectifs) pour stopper les migrants (mexicains ou non) en route vers les États-Unis (12) et les reconduire vers les villes de transit que sont Tapachula (Chiapas) et Villahermosa (Tabasco), dans le Sud du Mexique. Ces efforts, qui ont pour but de désorienter et dissuader les migrants de recommencer la traversée, ont permis de réduire les arrestations aux États-Unis de 40 % entre décembre 2023 et janvier 2024 (13). Tapachula, historiquement un point de passage clé pour les migrants qui vont vers les États-Unis, est perçue comme une « ville prison » (14) et est l’un des épicentres des problèmes migratoires où les personnes en mouvement restent bloquées, avec un accès limité aux services.
Les États-Unis délèguent également la gestion de leur frontière sud au-delà du Mexique. La Déclaration de Los Angeles sur les migrations et les protections, adoptée en 2022, a conduit à un accord trilatéral avec le Panama et la Colombie en 2024 pour contrôler les mouvements de migrants dans la région du Darién, une route clé extrêmement dangereuse pour les migrants venant d’Amérique du Sud. D’autres accords ont été conclus avec des pays comme la Colombie, le Costa Rica et l’Équateur, pour accorder un statut légal à des millions de Vénézuéliens et éviter qu’ils ne migrent vers les États-Unis. Le Salvador, quant à lui, a commencé en novembre 2023 à sanctionner les migrants transitant par ses aéroports pour aller aux États-Unis (15).
Traditionnellement perçue comme une question de politique intérieure relevant de la souveraineté des États, la gestion de l’immigration et de la frontière États-Unis/Mexique est désormais au cœur de négociations régionales. Les États-Unis délèguent une partie de cette responsabilité aux pays latino-américains, faisant de l’immigration un enjeu partagé à l’échelle hémisphérique. Qu’en sera-t-il sous la nouvelle administration Trump ?
Trump 2.0 : continuité et durcissement des mesures antimigratoires ?
Lors de cette campagne électorale, Donald Trump a repris sa rhétorique des campagnes de 2016 et 2020, présentant les migrants comme des criminels et allant jusqu’à les accuser de manger des animaux domestiques (16). Il a également continué d’affirmer qu’une « invasion » à la frontière États-Unis/Mexique menaçait la sécurité du pays (17).
Après avoir largement contribué au rejet par le Congrès début 2024 d’une loi bipartisane proposée par Joe Biden visant à fermer la frontière États-Unis/Mexique, Donald Trump a dévoilé en octobre son plan pour lancer la plus grande opération de reconduites à la frontière de l’histoire des États-Unis. Élu président en novembre, il prépare sa mise en œuvre prévue pour sa prise de fonctions en janvier 2025. Parmi ses premières mesures, il a nommé Tom Homan « tsar des frontières ». Ancien directeur de l’agence de contrôle des frontières et de police douanière (ICE – Immigration and Customs Enforcement) sous les administrations Trump et Obama, Tom Homan est connu pour avoir conçu la politique de zéro tolérance et de séparation des familles entre 2017 et 2018. En 2022, il a rejoint le Projet 2025, un programme conservateur proposant des arrestations massives et des expulsions, mesures adoptées par Trump pour sa nouvelle administration (18). Bien que ce plan ne soit pas nouveau mais s’inspire de mesures développées par des administrations précédentes, il se distingue par son ambition en termes d’ampleur et de volume. Lors de son premier mandat, Donald Trump a fait expulser 1,5 million de personnes, un chiffre comparable aux 1,49 million d’expulsions sous Biden, mais inférieur aux 2,9 millions sous la première administration Obama (19). Cependant, la logistique et les ressources nécessaires posent des défis importants, impliquant le potentiel recours à la Garde nationale, aux forces de police locales ou à d’autres entités qui ne sont pas censées appliquer les lois migratoires, ou encore la déclaration d’un état d’urgence. La nouvelle administration Trump pourrait également durcir davantage les possibilités de demander l’asile à la frontière, et rétablir les Protocoles de Protection des Migrants (20). Les programmes de mesures exceptionnelles et de protection pour certains ressortissants, ainsi que DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), un programme qui protège les migrants arrivés aux États-Unis quand ils étaient enfants, risquent d’être supprimés.
Les voies légales d’immigration sont également remises en question. Le Projet 2025 propose de restreindre les visas étudiants pour les Chinois, de réintroduire l’interdiction d’entrée de citoyens de pays majoritairement musulmans, ou encore de diminuer le nombre de naturalisations, qui avait atteint un record sous Biden (21).
L’administration Trump mettra probablement en avant ces mesures antimigratoires dès les 100 premiers jours, afin de susciter un climat de peur et d’incertitude au sein des communautés migrantes, tout en ralentissant les processus bureaucratiques liés à l’immigration et en limitant les arrivées aux États-Unis. Cependant, ces mesures pourraient avoir des répercussions négatives sur l’économie des États-Unis, en particulier dans des secteurs comme l’hôtellerie, l’agriculture et la construction, qui dépendent largement de la main-d’œuvre migrante. Sur le plan humain, plus de 4 millions d’enfants ayant un parent en situation irrégulière pourraient se retrouver affectés par ces mesures antimigratoires, sans compter le traumatisme que cela engendrerait au sein des communautés migrantes (22). De plus, les mesures antimigratoires ne permettent pas de stopper les migrations. Au contraire, elles contribuent à rediriger les migrants vers des régions plus dangereuses et difficiles d’accès, faisant de la frontière États-Unis/Mexique l’une des frontières terrestres les plus dangereuses au monde (23).
Notes
(1) Colleen Putzel-Kavanaugh et al., « With New Strategies At and Beyond the U.S. Border, Migrant Encounters Plunge », Migration Policy, 22 octobre 2024 (https://www.migrationpolicy.org/news/fy2024-us-border-encounters-plunge).
(2) Gallup Inc, « Immigration », Gallup.com, juin 2024 (https://news.gallup.com/poll/1660/Immigration.aspx) ; Muzaffar Chishti et al., « Biden’s Mixed Immigration Legacy: Border Challenges Overshadowed Modernization Advances », Migration Policy, 4 décembre 2024 (https://www.migrationpolicy.org/article/biden-immigration-legacy).
(3) Chishti, op. cit.
(4) Jennifer Van Hook et al., « A Turning Point for the Unauthorized Immigrant Population in the United States », Migration Policy, 13 septembre 2023 (https://www.migrationpolicy.org/news/turning-point-us-unauthorized-immigrant-population).
(5) Ibid.
(6) Jeffrey S. Passel et al., « What We Know about Unauthorized Immigrants Living in the U.S. », Pew Research Center (blog), 22 juillet 2024 (https://www.pewresearch.org/short-reads/2024/07/22/what-we-know-about-unauthorized-immigrants-living-in-the-us/).
(7) Rob Garver, « Huge Number of Migrants Highlights Border Crisis », Voice of America, 3 janvier 2024 (https://www.voanews.com/a/huge-number-of-migrants-highlights-border-crisis/7424665.html).
(8) Chishti, op. cit.
(9) Chishti, op. cit.
(10) Alexandra Villarreal, « Q&A: What to Know About the Biden Administration’s New Asylum Restrictions », National Immigration Forum, 11 mai 2023 (https://immigrationforum.org/article/qa-what-to-know-about-the-biden-administrations-new-asylum-restrictions/).
(11) Chishti, op. cit.
(12) Valérie Gonzalez, « Mexican Officials Clear Border Camp as US Pressure Mounts to Limit Migrant Crossings », AP News, 28 décembre 2023 (https://apnews.com/article/mexico-us-immigration-meeting-blinken-migrant-tent-camp-14e034375dd0c58ffc2698cae4d017e3).
(13) Adam Isacson, « Five Migration and Security Trends at the U.S.-Mexico Border », WOLA, 12 novembre 2024 (https://www.wola.org/analysis/five-migration-and-security-trends-at-the-u-s-mexico-border/).
(14) Andrew R. Arthur, « AP: 2,000 Migrants Heading to U.S. from Southern Mexico », CIS.org, 22 octobre 2024 (https://cis.org/Arthur/AP-2000-Migrants-Heading-US-Southern-Mexico).
(15) Putzel-Kavanaugh, op. cit.
(16) Merlyn Thomas et al., « Donald Trump Repeats Baseless Claim about Haitian Immigrants Eating Cats and Dogs in Springfield, Ohio », BBC, 15 septembre 2024 (https://www.bbc.com/news/articles/c77l28myezko).
(17) Agence France-Presse, « Bahamas Rejects Trump Proposal to Take Deported Migrants », 5 décembre 2024.
(18) Ximena Bustillo, « Trump’s Border Czar Will Be in White House, Not an Agency. Here’s Why That Matters », NPR, 9 décembre 2024 (https://www.npr.org/2024/12/09/nx-s1-5206376/what-to-know-about-tom-homan-border-czar).
(19) Priscilla Alvarez, « Some Parts of Trump’s Deportation Plan May Be ‘Obama-Esque.’ There’s a Reason for That », CNN, 18 décembre 2024 (https://www.cnn.com/2024/12/18/politics/tom-homan-donald-trump-barack-obama-deportation/index.html).
(20) Tara Watson et al., « What to Expect on Immigration Policy from a Trump White House », Brookings, 19 décembre 2024 (https://www.brookings.edu/articles/what-to-expect-on-immigration-policy-from-a-trump-white-house/).
(21) Chishti, op. cit.
(22) Watson, op. cit.
(23) IOM, « US-Mexico Border, ‘World’s Deadliest’ Overland Migration Route », 12 septembre 2023 (https://news.un.org/en/story/2023/09/1140622).
Cléa Fortuné
