L’attentat terroriste qui a fait de nombreuses victimes pourrait amener les deux puissances nucléaires au bord d’un nouvel affrontement.
Fallait-il y voir un élément annonciateur du chaos qui allait s’abattre la semaine suivante dans la partie de l’ancienne principauté du Cachemire administrée par New Delhi ? Le 16 avril dernier à Islamabad, la capitale pakistanaise, le très influent chef des armées du « pays des purs », le général Asim Munir, prononçait lors d’une allocution à la Overseas Pakistani Convention des propos pour le moins incisifs. « Notre position est absolument claire, (le Cachemire) c’était notre artère vitale, cela restera notre artère vitale, nous ne l’oublierons pas. Nous n’abandonnerons pas nos frères cachemiris dans leur lutte héroïque (…). Vous devez raconter l’histoire du Pakistan à vos enfants afin qu’ils n’oublient pas que nos ancêtres pensaient que nous étions différents des hindous dans tous les aspects de la vie. Nos religions sont différentes, nos coutumes sont différentes, nos traditions sont différentes, nos pensées sont différentes, nos ambitions sont différentes. C’était le fondement de la théorie des deux nations qui a été établie là-bas. Nous sommes deux nations, nous ne sommes pas une seule nation ».
Une intervention fracassante immédiatement condamnée par la diplomatie indienne en des termes tout aussi éloquents : « Comment quelque chose d’étranger peut-il se trouver dans une veine jugulaire ? Ce territoire [le Jammu-et-Cachemire] est un territoire de l’Union indienne. Son seul lien avec le Pakistan est la vacance de territoires illégalement occupés par ce pays » (Hindustan Times, 17 avril 2025). Et le ministère indien des Affaires extérieures de renchérir : « Le Pakistan peut faire tous les efforts possibles, mais sa réputation d’épicentre du terrorisme mondial ne s’en trouvera pas diminuée » (The Economic Times, 17 avril 2025). Six jours après cette réponse rhétorique musclée, la violence aveugle foudroyait la Baisaran Valley, la « petite Suisse » du Cachemire, habituellement paisible et prisée des touristes, à quelques kilomètres de Pahalgam, une centaine de km à l’Est de la cité de Srinagar et de son iconique Lac Dal.
Le mardi 22 avril, au lendemain de l’arrivée sur le sol indien du nouveau vice-président américain JD Vance, un commando terroriste d’une demi-douzaine d’hommes affublés d’uniformes de l’Indian Army a émergé de la forêt puis ouvert le feu sur une foule de touristes (indiens pour la plupart), tuant au moins vingt-six personnes et en blessant de nombreuses autres. Aussitôt, l’armée indienne, la Central Reserve Police Force et la Jammu and Kashmir police se sont déployées en nombre pour boucler cette zone montagneuse et tenter de retrouver les assaillants. Les spécialistes du sous-continent indien se souviendront sûrement qu’un quart de siècle plus tôt, en mars 2000, alors que le chef de l’Etat américain d’alors Bill Clinton était attendu dans la patrie de Nehru et du Mahatma Gandhi, un commando affilié au groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba (LeT) assassinait au Cachemire indien une quarantaine de Sikhs dans le village de Chittisinghpura.
Diplomates expulsés, frontières fermées
Les condoléances adressées les jours suivants par les autorités pakistanaises à leurs homologues indiennes et aux familles des disparus n’ont pas suffi à calmer le jeu, crispant une fois encore la très ténue relation indo-pakistanaise. Le gouvernement indien a ordonné notamment dès le 23 avril l’expulsion de diplomates pakistanais et la fermeture d’un des très rares points de passages frontaliers entre les deux pays. Tout en se réservant la possibilité de mener dans un second temps des actions plus marquantes, les ministres de l’Intérieur et de la Défense ont promis à tour de rôle de ne pas laisser cet acte odieux impuni, de sanctionner ses exécutants et de ne pas épargner ses commanditaires, quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent.
Au nom de la loi du talion, certains commentateurs et éditorialistes ont pressé New Delhi de répondre à cette énième provocation du voisin occidental avec détermination, quitte à prendre quelques risques. L’opinion est majoritairement rangée derrière ses dirigeants, éreintée par les attaques, attentats, infiltrations diverses et variées portant la signature, qu’elle soit militante, radicale, institutionnelle ou militaire, du voisin. A Kolkata, Mumbai, Srinagar ou Bengaluru, nombre d’Indiens considèrent que les récentes saillies enfiévrées du patron de la Pakistan Army, autorité ultime du pouvoir dans cette République islamique à la démocratie contrariée, pourraient avoir « encouragé » la direction du LeT à porter à nouveau la terreur sur le sol indien, alors même que le n°2 de l’administration Trump 2.0 venait tout juste de s’y poser…
Et certains de relever que le jour de l’attaque, le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif, alors à Ankara pour s’entretenir avec le chef de l’Etat turc, avait évoqué avec son hôte entre autres thématiques la question du Cachemire lors d’une conférence de presse conjointe.
Révocation de l’autonomie du Cachemire
A défaut de revendication parfaitement identifiée, un groupe militant peu connu, The Resistance Front ou TRF, aurait revendiqué cet attentat sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une branche du groupe terroriste Lashkar-e-Taiba, LeT, un mouvement islamiste pakistanais armé placé sur la liste des organisations terroristes du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Ce groupe serait « courroucé » par l’afflux de population « non-cachemirie » (comprendre hindoue / non-musulmane) dans la région. Le TRF est apparu en octobre 2019, peu après la révocation par New Delhi du statut spécial du Cachemire en tant que région semi-autonome intervenue quelques mois plus tôt. L’État du Jammu et Cachemire avait alors été divisé en deux « territoires administrés » par la capitale indienne : le Jammu-et-Cachemire et le Ladakh. Depuis cette décision politico-administrative qui avait fait débat dans la société indienne, les violences militantes avaient significativement diminué, et la région avait progressivement recouvré une certaine normalité au niveau de l’activité économique, touristique et de la vie quotidienne. Il est à craindre que cette dynamique positive dont profitait jusqu’alors la population cachemirie ne subisse un coup d’arrêt brutal avec la barbarie de ces derniers jours.
De fait, l’attaque de Pahalgam est la plus meurtrière visant des civils en Inde depuis les attentats / prises d’otages de Mumbai en novembre 2008 qui avaient fait 166 morts. Pour rappel, plus récemment, en juin 2024, une dizaine de personnes avaient perdu la vie et une trentaine d’autres avaient été blessées après qu’une attaque militante dans la région de Reasi à 100 km au nord de Jammu eût provoqué la chute dans un ravin d’un bus transportant des pèlerins hindous. Cet attentat portait là encore la signature assumée du Lashkar-e-Taiba, lequel revendiqua cette action meurtrière, tout comme le TRF.
Certains observateurs des affaires sud-asiatiques contemporaines relèvent par ailleurs que ce renouveau de violence terroriste au Cachemire indien intervient alors que le gouvernement central de New Delhi s’emploie à nouer plus avant ses relations avec des « global partners » : « Cette (dernière) attaque est un signal envoyé à la communauté internationale pour lui faire comprendre que la question du Cachemire n’est pas résolue », insiste le South China Morning Post (23 avril 2025).
Rien d’étonnant si le chef du gouvernement Narendra Modi, qui veut faire de l’Inde une grande puissance ambitieuse, ouverte sur les partenariats internationaux et la multipolarité, a réagi avec émotion et colère. « L’Inde identifiera, traquera et punira tous les terroristes et leurs soutiens, a-t-il affirmé, nous les poursuivrons jusqu’au bout du monde. L’esprit de l’Inde ne sera jamais brisé par le terrorisme » (Hindustan Times, 24 avril 2025).
Les accords de partage des eaux suspendus
Alors bien évidemment, même si le gouvernement civil pakistanais semble a priori peu enclin à une escalade avec son voisin indien, la pléthorique presse indienne et sa kyrielle d’éditorialistes s’interrogent sur les contours que doit adopter la réponse de New Delhi et sa nécessaire fermeté. Parmi les premières mesures, le ministère indien des Affaires extérieures a annoncé le jeudi 24 avril la suspension « avec effet immédiat des services de visa aux ressortissants pakistanais. Tous les ressortissants pakistanais actuellement en Inde doivent quitter le pays avant l’expiration de leur visa, tel que modifié », le 29 avril étant la date limite fixée pour ce départ.
En parallèle, les autorités indiennes ont décrété pour la première fois en l’espace de trois générations la suspension du jusqu’alors très résilient Traité des eaux de l’Indus de 1960 conclu après une décennie d’âpres négociations avec l’aide décisive de la Banque Mondiale dans la foulée du premier conflit indo-pakistanais sur le Cachemire (1947-1948). Cet instrument juridique contraignant établit notamment un mécanisme de partage de l’eau et d’échange d’informations entre l’Inde et le Pakistan pour l’utilisation des eaux de l’Indus et de ses cinq affluents, le Sutlej, le Beas, le Ravi, le Jhelum et le Chenab.
Tout en fermant son espace aérien aux compagnies indiennes en réaction à la décision de New Delhi de suspendre ledit traité, la République islamique du Pakistan, dépendante pour ses besoins en énergie hydroélectrique et en irrigation de l’eau s’écoulant depuis l’Inde en aval de ce réseau fluvial, a immédiatement « rejeté avec véhémence » cette suspension historique et déclaré que toute tentative de détourner l’eau de l’Indus du territoire pakistanais serait assimilée à un « acte de guerre et il y serait répondu avec toute la force de la puissance nationale ». D’ores et déjà, quelques échanges de tirs ont eu lieu le long de la frontière entre les deux pays.
Le fait que le concert des nations ait dans la foulée de ces tragiques événements au Cachemire majoritairement affiché son empathie pour les proches des disparus et partagé la douleur de la « plus grande démocratie du monde » n’autorise pas pour autant toute forme de représailles. Les autorités indiennes devront nécessairement opérer un paramétrage sensible et délicat. Quoi qu’il en soit, même en considérant qu’il faille raison garder à New Delhi comme à Islamabad et à Rawalpindi, le QG de l’armée pakistanaise, des nuages sombres et inquiétants s’amoncèlent au-dessus des deux plus grands pays du sous-continent indien. Une situation préoccupante à maints égards qui ne doit en aucun cas laisser indifférente la communauté internationale, aussi accaparée soit-elle déjà par d’autres maux, de l’invasion russe en Ukraine à la situation volatile au Moyen-Orient en passant par les ondes de choc tous azimuts de la politique agressive de l’administration Trump.
Olivier Guillard