Il régnait une ambiance de colonie de vacances à l'apéritif organisé au Palais fédéral après l'élection de Martin Pfister au Conseil fédéral. Alors que le monde autour de nous est secoué par des bouleversements géopolitiques – Trump lance l'escalade des guerres commerciales, l'Europe s'arme face à la Russie –, la Suisse politique se fête dans un salon douillet.
Heureusement, la Suisse ne connaît pas de campagne électorale pleine de poison et de fiel comme l'Allemagne ou même les Etats-Unis. Mais c'est là que réside également le problème: celui qui se sent trop à l'aise ne voit pas le danger. Et dans un ordre mondial en pleine mutation, la Suisse n'a pas de stratégie. Qu'en est-il réellement? Qui va le payer? Analyse.
Les limites de Martin Pfister
Martin Pfister est confronté à «l'emploi politique le plus difficile de Suisse». Le Zougois reprend un département en crise: une armée à réformer et bientôt sans direction, le chaos dans l'acquisition d'armement, pas de stratégie de défense claire et une Suisse assise entre plusieurs chaises en matière de politique de sécurité.
Martin Pfister ne bénéficie pas d'un délai de grâce, bien qu'il soit nouveau au Conseil fédéral. Mais même s'il répondait aux attentes, il ne pourra rien faire tout seul. La politique de sécurité est la tâche de l'ensemble du Conseil fédéral. Une évidence, mais la réalité est tout autre.
Crise gouvernementale et quatre questions clés
Le mot «crise gouvernementale» est déjà prononcé au Parlement. Pourtant, le système suisse de concordance ne connaît pas de coalitions susceptibles de se briser. Cela assure la stabilité, mais a un prix: les responsabilités sont diluées jusqu'à ce que plus personne ne se sente concerné.
Le gouvernement doit profiter de la place nette laissée au DDPS pour élaborer enfin une stratégie de sécurité claire. Quatre questions clés ne sont pas résolues:
- La Suisse doit-elle se rapprocher de l'OTAN ou d'une alliance européenne de sécurité?
- Restons-nous des resquilleurs en espérant ne pas être largués par le train de l'armement de l'Europe qui s'accélère?
- Devons-nous continuer à exporter des armes, mais interdire leur transmission, par exemple à l'Ukraine?
- Pour quoi et comment l'armée doit-elle s'équiper?
Le débat tourne autour de la part du produit intérieur brut (PIB) consacrée à la défense: elle devrait passer de 0,7% à 1%. Mais pourquoi le budget militaire devrait-il dépendre de la croissance économique? L'état de la menace ne change pas en fonction de la conjoncture. Il faut d'abord clarifier ce que l'armée doit fournir, puis ce que cela coûte.
Les contradictions des partis
Les partis sont également pleins de contradictions dans leur politique de sécurité.
- L'Union démocratique du Centre veut une armée forte et indépendante et rejette les coopérations internationales. Mais sans partenaire, la Suisse devrait également acquérir, entretenir et payer elle-même tous les systèmes de sécurité.
- Le Parti socialiste pense que l'armée doit être supprimée. Sur le plan de la politique, il s'oppose au réarmement, mais exige une coopération avec l'Europe. Sans investissements propres, cela reste une exigence vide.
- Le Parti libéral-radical veut un réarmement rapide et important ainsi qu'une plus grande coopération internationale. Mais comment financer les investissements de plusieurs milliards si l'augmentation des impôts et le frein à l'endettement restent tabous?
- Le Centre a soutenu Viola Amherd mais a déjà échoué au sein du parti sur la question du financement. L'idée d'assouplir le frein à l'endettement pour l'armée et l'aide à l'Ukraine a été rapidement abandonnée.
Pfister, Conseil fédéral, Parlement: à vous de jouer!
Martin Pfister doit réorganiser le DDPS, le Conseil fédéral doit enfin fournir une stratégie de sécurité cohérente et les partis doivent présenter des plans de financement cohérents pour leurs concepts de défense.
Reconnaître le changement d'époque, mais faire comme s'il ne nous concernait pas, n'est pas une stratégie. La Suisse est un îlot de stabilité, mais pas un univers parallèle. Elle ne peut pas se retrancher éternellement dans le confort de la salle d'apéro bernoise.
Rolf Cavalli