Serait-on sur le point d’entrer dans une nouvelle ère des interactions humaines, où celles-ci seront de plus en plus réduites au strict minimum ? Certains signaux faibles peuvent le laisser penser. Ainsi de ces entreprises japonaises – salons de coiffure, magasins, restaurants et autres taxis – qui proposent désormais à leurs clients de bénéficier de leurs services sans avoir besoin d’échanger un seul mot. Une « formule silence » qu’il convient tout de même d’activer à haute voix dans un premier temps… à moins que.
« Ask for me »
Car le géant américain Google vient de faire une annonce qui pourrait radicaliser encore un peu plus ce genre d’expérience – et en faciliter beaucoup d’autres. Dans un message posté sur ses réseaux sociaux le 30 janvier dernier, la cheffe de produit Rose Yao a en effet indiqué qu’un outil baptisé « Ask for me » (« Demande pour moi » en français) était en cours d’expérimentation du côté de la firme californienne. Le principe tient sur un post-it : plutôt que de passer soi-même des appels à des entreprises locales pour prendre rendez-vous, vous pouvez missionner une intelligence artificielle (IA) personnalisée pour le faire à votre place.
Techniquement, « Ask for me » repose sur la même technologie que l’assistant Google Duplex, lancé sur le même principe (appliqué aux réservations de restaurant) en 2018 mais plus ou moins tombé dans l’oubli depuis, du moins côté grand public. Aux Etats-Unis, le nouvel outil peut dès aujourd’hui être activé dans le smartphone de n’importe quel utilisateur grâce à Google Search Labs, un programme (pas disponible en France) permettant d’expérimenter certaines « expériences de recherches » made in Google en avant-première.
Concrètement, comme l’indique le média spécialisé The Verge, l’utilisateur doit dans un premier temps répondre à quelques questions simples sur le service souhaité, ses coordonnées et ses disponibilités. L’IA procède alors à l’appel et, une fois que son interlocuteur répond, elle informe aussitôt ce dernier qu’il s’agit d’un système automatisé représentant Google au nom d’un utilisateur. Une fois les informations collectées et le rendez-vous (éventuellement) pris, l’IA revient vers l’utilisateur pour l’en informer.
Selon Craig Ewer, un porte-parole de Google contacté par The Verge, les entreprises concernées peuvent cependant choisir de ne pas recevoir ce type d’appels, moyennant quelques clics sur l’application Google My Business… ou en refusant carrément en direct auprès de l’IA.
Risque de dérives
Comme dans le cas de Duplex, le dispositif pourrait donner lieu à quelques dérives en matière de protection des données (celles recueillies par l’IA pouvant apparemment « être utilisées pour répondre à des demandes similaires d’autres utilisateurs ») et autant de scènes cocasses, notamment si une entreprise a elle-même recours à un service automatisé pour traiter les appels (quoi de plus laborieux que deux IA tentant de se comprendre ?). Raison pour laquelle Rose Yao invite avec enthousiasme sa communauté à lui « dire ce [qu’elle] pense ! » du dispositif, qui n’est encore qu’en phase expérimentale.
Précision qui a son importance : pour l’instant, « Ask for me » ne peut toutefois être utilisé que pour prendre rendez-vous dans des salons de manucure ou des garages. Manière pour les ingénieurs de Google de continuer à « tester » la technologie (avant de l’étendre à d’autres types de commerces), mais aussi d’évaluer dans quelle mesure les utilisateurs eux-mêmes choisiront d’y avoir recours. Indirectement, le dispositif pourrait peut-être permettre une meilleure compréhension de la téléphonophobie, phénomène très sérieux désignant la peur de passer des appels, à propos duquel il existe encore très peu de chiffres…
Pablo Maillé