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vendredi 14 février 2025

Démanteler l’USAID : le cadeau en or de Donald Trump à Xi Jinping

 

En supprimant d’un trait de plume la totalité du programme USAID d’aides américaines au développement, le 47è président américain Donald Trump se tire une balle dans le pied en offrant un cadeau en or à son homologue chinois Xi Jinping à qui il ouvre la voie pour relancer à bon compte une vaste opération de séduction auprès des pays pauvres mis en difficulté.

USAID, l’Agence des États-Unis pour le développement International, créée en 1961, est l’organisme du gouvernement américain chargé du soutien aux pays pauvres et de l’aide humanitaire dans le monde. Ses financements représentent les deux-tiers de l’aide publique au développement américaine, soit quelque 43 milliards de dollars en 2024 versés pour soutenir les populations de 120 pays et régions tels que l’Ukraine, Gaza, le Soudan, l’Afghanistan, le Bangladesh ou le Pakistan. USAID centre ses actions sur l’aide humanitaire et représente 42% des financements publics mondiaux dans ce domaine.

La fermeture de ces milliers de programmes d’aide à travers la planète non seulement met en danger des vies humaines mais elle va sans nul doute porter un coup terrible à l’image des États-Unis et à son soft power, déjà sérieusement mis à mal par les extravagances de Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier dernier.

Un « nid de vipères marxistes »

Le démantèlement d’USAID représente « l’une des pires et plus coûteuses bourdes de politique étrangère de l’histoire américaine », a réagi, dans la presse américaine, son ex-cheffe Samantha Power. Pis, cela mettrait « en péril des millions de vie, des milliers d’emplois aux États-Unis (…) et compromet gravement notre sécurité nationale et notre influence dans le monde – et pendant ce temps les [dirigeants] extrémistes et autoritaires se réjouissent », dit-elle.

Sitôt nommé à la tête du département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), Elon Musk a accusé l’agence d’être une « organisation criminelle » et « un nid de vipères marxistes qui détestent l’Amérique […] qui doit mourir », tout en prédisant sa fermeture prochaine. Chose faite le 7 février.

Les médias anglo-saxons regorgent de critiques acerbes contre cette annonce. Certains analystes réputés soulignent que Washington joue contre son camp au profit de la Chine qui ne manquera pas d’en profiter pour redoubler de critiques contre l’égoïsme américain et surtout marquer des points sur la scène internationale. « Les Etats-Unis cèdent du terrain à la Chine en s’infligeant une blessure à eux-mêmes » car « la suspension soudaine des fonds pour le développement représente pour Pékin une opportunité parfaite pour s’emparer du vide ainsi créé et renforcer son soft-power », souligne le 7 février le quotidien britannique The Guardian.

L’annonce de Donald Trump prévoit la suspension pour une période initiale de 90 jours de l’USAID et son rattachement ultérieur aux services du département d’État qui gèrera lui-même au cas par cas les aides étrangères en fonction des intérêts du pays. Cette suspension a semé la confusion avec la mise à pied immédiate de ses employés et le chaos dans certains pays où des populations font face désormais à la famine ou la mort faute de soins désormais non financés.

Un cadeau livré à la Chine sur un plateau d’argent

Les États-Unis livrent « sur un plateau d’argent à la Chine une opportunité parfaite pour étendre leur influence à un moment où l’économie chinoise ne va pas très bien », estime Huang Yanzhong, professeur expert de la santé dans le monde au Council on Foreign Relations, un think tank américain sans couleur politique ayant pour but d’analyser la politique étrangère américaine et la situation politique mondiale. « Ce que fait Trump est en réalité de donner à la Chine une opportunité pour repenser et rénover ses projets de soft power et revenir ainsi sur les rails de son leadership global », ajoute-t-il, cité par le journal.

Très largement distancée par les Etats-Unis dans le domaine de l’aide au développement, Pékin a créé en 2018 une agence, la China International Development Cooperation Agency, dont l’objectif est de coordonner ses programmes d’aide au développement qui se traduisent surtout par des investissements et des prêts dans le cadre de son programme pharaonique des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI). Le montant de ses aides au développement demeure confidentiel mais elles se concrétisent surtout sous la forme de prêts. Une étude du William & Mary’s Global Research Institute estime que la Chine a prêté quelque 1 300 milliards de dollars entre 2000 et 2021 à des pays émergents ou en développement, la plus grande partie des pays signataires de la BRI.

Les « Gardes rouges technocrates » du gouvernement fédéral

La charge contre la décision américaine est beaucoup plus forte dans la bouche de Huang Yasheng (黄亚生), un professeur renommé d’origine chinoise membre de la International School du Massachusetts Institute of Technology (MIT). « L’Amérique est désormais plongée dans une situation plus périlleuse que jamais. Oubliez la croissance économique ou l’inflation ; elles ne sont plus que secondaires. La sécurité de l’Amérique est en ce moment sabotée par un hubris qu’elle s’inflige à elle-même devant nous », dit-il sur X (ex-Twitter).

« Oui, il y a des problèmes, des inconvénients, un formalisme qui ne plaît pas à tout le monde et des déchets. Nous devrions toujours réfléchir sur la façon d’améliorer notre gouvernement. Mais tout ceci ne représente que des bugs et non des fondamentaux qui sont le prix que nous payons pour éviter que les avions ne tombent du ciel, que les virus ne se répandent pas partout ou que des produits chimiques ne contaminent pas nos eaux », ajoute ce professeur très respecté, ancien étudiant de Harvard.

« Ce que font ces Gardes rouges technocrates au gouvernement fédéral [américain] revient à éviscérer les fonctions du gouvernement, des fonctions que nous avons tous pris pour argent comptant mais qui auront des conséquences horribles », estime-t-il, reprenant le nom donné à l’époque par Mao Zedong à ses jeunes partisans fanatiques pendant la Révolution culturelle (1966-1976), sans jamais citer nommément Donald Trump ou Elon Musk.

Tom Wang, directeur général de l’ONG basée à Manille People of Asia for Climate Solutions spécialisée sur le changement climatique, met en garde contre un narratif « simpliste » qui se bornerait à présenter une Chine qui remplacerait les Etats-Unis en une nuit. « Il ne s’agit pas seulement de la disparition d’argent mais celle de l’expérience », explique-t-il dans le même quotidien. « Le plus gros impact [de la décision de Donald Trump] est l’anxiété ». « D’un seul coup, vous ne pouvez plus continuer votre travail […] en tant qu’activiste d’une ONG pour le climat, cela fait très peur », souligne-t-il.

Mais pour George Ingram, chercheur au Brookings Institution Centre for Sustainable Development, l’un des plus anciens think tanks américains spécialisé dans la recherche scientifique, et ancien responsable de USAID, « Les États-Unis et l’Europe, le Canada, l’Australie, le Japon, nous observons un grand intérêt pour le fait de vivre dans un monde de démocraties et d’économies libérales ». « La Chine tout comme la Russie s’efforcent de mettre en avant un monde autoritaire. C’est l’exact contraire de nos intérêts », souligne-t-il, cité par The Guardian.

Une initiative à l’opposé du slogan « Rendre sa grandeur à l’Amérique »

Non sans ironie, le Nikkei Asia souligne, quant à lui, que « la mise à mort de l’USAID » va « accélérer le retrait de l’Amérique », une politique pourtant à l’opposé du slogan de Trump « Rendre sa grandeur à l’Amérique » (MAGA : Make America Great Again). Dien Luong, expert des médias et chercheur associé dans une université de Singapour, explique dans les colonnes du journal le 7 février que le risque induit par le démantèlement de l’USAID est de mettre à bas des décennies de confiance des pays de l’Asie du Sud-Est envers les États-Unis, en particulier le Vietnam.

« Le retrait brutal de Washington sabote ses engagements souscrits après la guerre [du Vietnam] dans le Partenariat global stratégique [signé récemment] avec le Vietnam. C’est également un signal éclatant du fait que les assurances de l’Amérique s’effacent au moment où Hanoi demeure l’un des rares pays d’Asie du Sud-Est encore en faveur d’un alignement avec Washington plutôt qu’avec Pékin », écrit-il.

« Cette crise s’étend bien au-delà du Vietnam. A travers l’Asie, ce précédent suscite une inquiétude plus profonde : la confiance envers les Etats-Unis disparaît rapidement. Et des signes montrent déjà que Pékin agit vite pour combler le vide », ajoute cet expert vietnamien. « En retirant le soutien américain, l’administration [Trump] ne fait pas que s’aliéner ses partenaires clé ; elle donne à la Chine sur un plateau d’argent la possibilité de renforcer sa présence en Asie » écrit encore cet expert.

Le bimestriel américain Foreign Affairs n’est pas plus tendre en titrant le 6 février : « La stratégie chinoise de Trump : Pékin se prépare à tirer avantage du chaos ».

La Chine s’est préparée à contrer la politique de Donald Trump

Yun Sun, directeur du China Program au Stimson Center, un autre think tank américain non partisan qui analyse les questions liées à la paix mondiale, explique que les stratèges chinois s’activent depuis des mois déjà pour préparer leur pays face à une politique américaine qu’ils anticipaient plus dure encore avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Raison pour laquelle, la Chine a pris ces derniers mois des mesures d’apaisement avec ses voisins, en particulier l’Inde, le Japon et l’Australie.

Mais « les dirigeants chinois restent confiants dans le fait que même si l’économie de leur pays souffre [des sanctions américaines], quatre ans de Trump ne vont probablement pas plonger [la Chine] dans une crise ouverte », écrit-il dans la revue américaine. « Ils s’attendent à ce que si Trump applique les politiques qu’il a annoncées, telles que celles sur le commerce et l’expansion territoriale, il pourrait bien causer un tort grave à la crédibilité des États-Unis et son leadership global. Pékin voit de ce fait le second mandat de Trump comme une opportunité potentielle pour la Chine d’étendre son influence plus loin et plus vite encore », souligne-t-il.

Des conséquences directes pour la sécurité nationale américaine

Pour The Hill, média américain numérique basé à Washington spécialisé dans les relations internationales et la politique américaine, USAID a été l’un des instruments les plus puissants pour servir son influence dans le monde et un outil précieux pour contrer les ambitions chinoises, dont tout particulièrement son programme des Nouvelles Routes de la soie.

« En détruisant l’USAID, les Etats-Unis donnent à Pékin la chance d’étendre sans frein sa domination économique et politique », affirme le journal en ligne très influent au sein des élites américaines. « Avec le démantèlement de l’USAID, la capacité de la Chine d’imposer son rayonnement économique va s’accélérer. Les pays qui jusque-là avaient le choix entre un développement soutenu par l’Amérique et les prêts chinois n’auront plus qu’une option : Pékin », ajoute-t-il. « Ceci n’est pas qu’une inquiétude concernant la politique étrangère – cette question aura des conséquences directes pour la sécurité nationale des États-Unis. A fur et à mesure que la Chine prendra davantage le contrôle les routes commerciales mondiales, elle pourra renforcer la domination de ses infrastructures dans les conflits à venir », poursuit le journal en ligne.

« Une Chine plus enhardie, dotée de leviers économiques et militaires sur des dizaines de pays, rendra pour les Etats-Unis plus difficile de contrer l’assurance de Pékin en mer de Chine du Sud, à Taïwan et au-delà », explique encore The Hill. « La fermeture de USAID est plus qu’une décision budgétaire : elle marque le retrait de l’Amérique du leadership mondial », souligne The Hill, car « l’aide étrangère a été depuis longtemps un outil pour un engagement diplomatique, permettant aux États-Unis de forger des alliances, mettre en avant la bonne volonté, promouvoir la stabilité dans des régions vulnérables aux influences autoritaires ».

« Désormais, le message au monde est clair : l’Amérique se retire et la Chine est prête à combler le vide. La décision de Trump de fermer USAID n’est pas seulement une mesure pour réduire les coûts ; il s’agit d’un changement fondamental de la posture de l’Amérique. En l’absence d’une alternative conduite par les Etats-Unis, la diplomatie coercitive de Pékin va s’étendre sans entrave, laissant les nations vulnérables devant les pièges de la dette, les empiètements militaires et l’influence autoritaire », conclut le journal en ligne.

Un signe qui ne trompe pas : des millions d’internautes chinois ont, ces derniers jours, applaudi sur les réseaux sociaux les commentaires d’Elon Musk sur USAID et la décision de Donald Trump de démanteler l’organisation. Même le South China Morning Post, quotidien anglophone de Hong Kong aujourd’hui inféodé à Pékin n’a pas manqué de souligner dans son édition du 4 février que la décision de Donald Trump « pourrait permettre à la Chine de combler le vide grâce à la BRI ».

La Chine en sortira gagnante

A l’appui de ce commentaire, le journal cite le professeur Christopher Barret de l’université américaine Cornell pour qui « La Chine sera la gagnante » de la fermeture de USAID car elle s’efforce « d’accéder aux ressources vitales à l’étranger » et tente de « construire des alliances qui ne sont pas dans l’intérêt des États-Unis ». « Couper soudainement des projets essentiels pour sauver des vies est une bonne façon de provoquer un retour de bâton anti-américain. Un tel retrait du plus grand fournisseur mondial d’aides étrangères va entraîner un retrait similaire d’autres nations riches », ajoute ce professeur, cité aussi par le quotidien Financial Times dans son édition du 4 février.

A ceci s’ajoutent également les annonces spectaculaires sinon grotesques de Donald Trump sur son intention de transformer la bande de Gaza en une station balnéaire et de la vider de sa population palestinienne, de rebaptiser le Golfe du Mexique « Golfe de l’Amérique », de s’emparer du Groenland et du Canal de Panama, sans oublier le retrait de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l’Accord de Paris sur le Climat.

« Avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine dirigés par des hommes aux ambitions expansionnistes, les implications sont sombres pour le système international actuel. Le monde pourrait bien passer d’une ère où les petits pays pouvaient demander une protection de la loi internationale à une autre où, comme le disait Thucydide, les puissants peuvent faire ce qu’ils veulent et les faibles souffrir comme ils le doivent », juge mardi 11 février le Financial Times dans un article intitulé « Trump, Poutine et Xi : le nouvel âge des empires » signé de son éditorialiste Gideon Rachman.

« Trump, Musk et leurs mignons de MAGA ont lancé une guerre idéologique contre l’ensemble de l’alliance démocratique avec des conséquences graves pour des milliers d’hommes et de femmes à travers le monde qui, chaque jour, mettent leur vie au service de la défense de la liberté, des droits humains et de la décence », déplore lundi 10 février Michael Cole, Senior Fellow au Macdonald-Laurier Institute, un think tank canadien pour la recherche, et au Global Taiwan Institute, autre think tank basé à Washington. « Cet assaut n’a jamais concerné la réduction des coûts ; il est idéologique. Aujourd’hui, les despotes à travers le monde se frottent les mains. Préparez-vous les amis : nous sommes sur le point d’entrer dans une ère sombre où les régimes répressifs vont s’en trouver confortés », ajoute ce géopoliticien.

Autant d’initiatives en effet, rocambolesques mais lourdes de conséquences, prises en quelques semaines à peine depuis l’investiture de Donald Trump qui ont tout lieu de réjouir le pouvoir communiste qui, probablement, n’en attendait pas tant. Ce dernier n’a maintenant plus qu’à attendre puisqu’elles risquent fort d’antagoniser une bonne partie du monde contre l’Amérique. Loin de se présenter comme le phare de la démocratie mondiale, celle-ci donne de plus en plus l’image d’un nouvel empire de l’argent haïssable dont la politique cardinale est celle de la loi du plus fort, laissant le champ libre à Pékin pour en tirer le plus grand profit possible.

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com