C’est un travail qui s’est opéré en toute discrétion au cours des deux dernières années. D’après les informations du quotidien américain The New York Times, la CIA a développé un chatbot qui permet à ses analystes de dialoguer avec des versions virtuelles de présidents et premiers ministres étrangers dans le but de « prédire leurs comportements ». Boosté à l’intelligence artificielle, cet outil façonne des doubles numériques de dirigeants du monde entier en se nourrissant des renseignements obtenus par la CIA, que ce soit en open source ou par le biais de ses espions. Les employés de l’agence de renseignement américaine peuvent ensuite échanger avec ces doubles virtuels pour analyser leurs réactions lors de mises en situation et, in fine, élaborer des scénarios prospectifs.
L’intérêt est double pour la CIA. Non seulement le chabot aide les analystes à « digérer l’avalanche d’informations » recueillies par ses services en un rien de temps, mais il lui permet aussi de rester compétitive face aux services secrets chinois qui ont d’ores et déjà investi dans l’IA.
Bien que l’on ne dispose pas d’informations supplémentaires concernant les conditions du déploiement de ce chatbot ou les personnes impliquées dans sa conception, la CIA semble plus que ravie de sa création. « C’est un exemple fantastique d’une application que nous avons pu déployer rapidement et mettre en production de manière moins coûteuse et plus rapide », s’est réjoui le directeur de la technologie Nand Mulchandani, dans les colonnes du New York Times.
Une alliance d’un nouveau genre avec le privé
Il faut dire que la révélation de l’existence de ce chatbot tombe au moment opportun pour la CIA : l’agence de renseignement cherche à nouer de nouveaux partenariats avec des entreprises privées pour moderniser ses outils technologiques. Et elle le fait savoir. « La CIA a longtemps cru qu’elle pouvait tout faire elle-même, relate le journaliste Julian Barnes dans son article paru le 18 janvier sur le site du New York Times. L’agence a dû s’adapter et accepter l’idée qu’une partie de la technologie dont elle avait besoin avait été développée par le secteur privé ».
Sous l’impulsion de son ancien directeur William J. Burns, la CIA a fait de l’acquisition de nouvelles technologies une priorité. Nommé par le président Donald Trump, le nouveau directeur de l’agence, John Ratcliffe, compte poursuivre les efforts de son prédécesseur, se disant certain que « la nation qui gagnera la course aux technologies émergentes d’aujourd’hui dominera le monde de demain ». Une ligne qu’il partage avec le nouveau président des États-Unis qui a présenté ce mardi les contours du fameux projet Stargate, qui vise à investir 500 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle au cours des quatre prochaines années.
Mais plusieurs obstacles, notamment bureaucratiques, empêchent l’agence de renseignement américaine de nouer des contrats avec les start-ups du monde de la tech. D’une part, il est difficile pour les entreprises de proposer des produits ou services à la CIA sans connaître précisément ses besoins, puisque ceux-ci sont confidentiels. D’autre part, le processus d’approbation pour obtenir un contrat avec cette agence – qui, rappelons-le, est indépendante du gouvernement américain d’un point de vue juridique – comporte moultes étapes, ce qui ralentit considérablement les démarches.
Consciente de ces freins, « la CIA est en train de revoir et d’élaguer ces règles, rapporte Julian Barnes. Elle essaie aussi d’être plus transparente avec les entreprises technologiques concernant ses besoins ». Elle a ainsi déclassifié certains documents pour « dévoiler un petit peu » la nature des problèmes qu’elle souhaite surmonter par le biais de la technologie, afin que les entreprises puissent lui proposer des solutions adaptées. « Plus nous partagerons d’informations sur la façon dont nous utilisons la technologie, dont nous l’achetons, et sur ce que nous allons en faire, plus les entreprises voudront travailler avec nous et s’associer à nous », a déclaré Juliane Gallina, directrice de l’innovation numérique de la CIA.
« Un morceau de Silicon Valley »
Une chose est sûre : l’agence de renseignement semble bien partie pour resserrer ses liens avec le monde de la tech, et en particulier avec la Silicon Valley. Depuis vingt-cinq ans, la CIA soutient discrètement des start-ups made in Califonie par l’entremise de son fonds de capital-risque In-Q-Tel, contribuant notamment à la fortune de Palantir, une société spécialisée dans l’analyse de données sensibles.
Jusqu’ici caché, son lien avec la Silicon Valley est beaucoup plus affirmé depuis que Nand Mulchandani a intégré l’agence de renseignement au poste de directeur de la technologie, il y a deux ans. Fort d’une expérience de plus de 25 ans dans la Silicon Valley, il a co-fondé et dirigé plusieurs startups à succès, dont Oblix, Determina, OpenDNS et ScaleXtreme. Depuis, toutes ont été rachetée par un titan de la technologie (respectivement Oracle, VMware, Cisco et Citrix).
Lorsqu’il est arrivé au siège de la CIA, Nand Mulchandani a d’ailleurs tenu à rénover tout son espace de travail en s’inspirant des bureaux de la Silicon Valley. « Cet espace sera le moteur de notre culture, une culture de la discussion, a-t-il affirmé. Un morceau de la Silicon Valley, au septième étage. »
Emilie Echaroux