Vous avez intitulé votre ouvrage Dans la forge du monde : comment le choc des puissances façonne l’Europe (Fayard, 2024). D’après vous, depuis 2022, les Européens font face à un électrochoc qui les force aujourd’hui à innover et à se réinventer. Pouvez-vous nous expliquer comment l’Union européenne (UE) est aujourd’hui « forgée » de l’extérieur par le réveil géopolitique du monde ?
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer cette situation. Il y a tout d’abord la question de l’impérialisme russe qui met les Européens face à une guerre de haute intensité qui nécessite d’importants besoins matériels et de mobilisation industrielle. Dans le même temps, on observe une évolution des États-Unis qui, depuis 2018, ont annoncé que leur priorité numéro un était l’Asie. Cela s’est confirmé depuis à chaque administration américaine. Nous ne sommes donc plus dans un logiciel traditionnel de type guerre froide, l’Europe n’étant plus la priorité mondiale de Washington. Enfin, il existe un troisième facteur qui a une influence sur la sécurité des États membres de l’UE : l’effondrement des missions traditionnelles européennes en Afrique, qui ne s’explique pas uniquement par l’activisme russe dans la région.
Le résultat de ces trois facteurs est que l’on assiste à une forme de pivot européen vers l’Europe. En effet, lorsqu’elle était en paix, profitant du parapluie protecteur américain, l’Europe n’était paradoxalement pas la priorité pour les armées européennes. Elle l’était pour les pays du flanc est, mais pas pour un pays comme la France, qui s’est toujours vu comme un acteur majeur de la sécurité européenne mais qui s’employait essentiellement à mener des missions expéditionnaires en Afrique ou au Moyen-Orient. Par ailleurs, la question de la défense s’envisageait plutôt sous la forme d’opérations de gestion de crise ou d’opérations légères. Outre la France, c’était aussi le cas de l’UE qui menait des missions de formation dans le sillage des interventions françaises, souvent en Afrique. Aujourd’hui, la principale mission de l’UE consiste à former des soldats ukrainiens en Europe. Nous assistons également à un pivot capacitaire et industriel. La mission principale de l’UE n’est plus tellement de faire de la gestion de crise mais plutôt de faire de la mobilisation budgétaire et industrielle pour trouver des capacités afin de s’adapter à cette guerre qui demande beaucoup d’équipements. Les États-Unis, la Russie et l’Afrique transforment donc aujourd’hui les missions de sécurité de l’Europe.
Enfin, n’oublions pas un dernier élément qui est monté en puissance ces dernières années : la Chine, dont l’Europe a pris conscience qu’elle ne joue pas le jeu d’une mondialisation libérale. Pékin n’entretient pas une relation très équitable avec ses partenaires, menant un jeu géopolitique au travers de l’influence économique. Cette situation a également donné lieu à un mouvement européen depuis 2019, qui consiste à transformer une politique économique traditionnellement néolibérale tournée vers le libre-échange en une politique davantage géoéconomique, tournée vers le contrôle des échanges et la réduction des risques et des vulnérabilités.
Alors que l’Europe n’était pas forcément armée pour la compétition de puissance, elle doit commencer à développer des instruments sous l’influence des puissances extérieures.
L’Europe est aujourd’hui affaiblie sur la scène internationale. Quelles sont ses faiblesses majeures qui l’empêchent de peser face à la concurrence ?
La faiblesse majeure de l’UE est qu’elle n’a pas été équipée pour être un acteur géopolitique. Elle ne fait que répondre aux crises.
La nouvelle Commission européenne vient d’intégrer un commissaire à la Défense. Cela constitue un signal pour montrer qu’elle se préoccupe de ce sujet. Mais la Commission européenne n’a traditionnellement aucune compétence en matière de défense. Ce n’est qu’à partir de 2017 qu’elle a utilisé des instruments économiques civils, en matière de recherche et d’industrie, pour commencer à faire de la politique de défense. C’est toujours en partie la philosophie de l’actuelle Commission.
De la même façon, le tournant géoéconomique a globalement pris au dépourvu une Europe qui était jusque-là très habituée à valoriser le libre-échange, l’interdépendance commerciale, à la fois comme façon de réguler les relations entre pays européens et comme une façon de projeter de la paix et de la stabilité vers l’extérieur. Pendant longtemps, l’argument principal des Européens dans le monde était de dire que nous n’étions pas là pour être une puissance dure traditionnelle, mais pour être une puissance normative et un exemple pour le reste du monde. L’Europe appelait à faire du commerce, de l’interdépendance, de la coopération et des échanges culturels avec elle et entre pays, pour faire bénéficier le monde du miracle européen. Or, alors que la logique actuelle va plutôt vers l’établissement de barrières ou de remparts sécuritaires, militaires et économiques, l’Europe est prise à contre-pied.
Enfin, il ne faut pas oublier l’aspect institutionnel. L’UE est une union d’États qui n’est pas forcément bien équipée pour prendre des décisions audacieuses et rapides. Or, lorsque l’on devient une union géopolitique, on ne peut plus se permettre de raisonner comme un marché commun. Cela pose d’ailleurs la question de l’élargissement. Ainsi, l’Ukraine marque une nouvelle génération d’élargissement avec des débats qui sont totalement différents par rapport à ceux qui pouvaient avoir lieu au début des années 2000, concernant notamment la Turquie, où l’UE se présentait comme une puissance normative afin de créer des ponts avec l’Asie et le Moyen-Orient. L’élargissement à l’Ukraine va plutôt dans le sens inverse : élargir pour fermer. C’est-à-dire solidifier le rempart vis-à-vis d’une puissance extérieure, la Russie, qui veut utiliser les moindres zones grises pour affaiblir et diviser l’Europe.
L’élargissement à l’Ukraine sera nécessairement géopolitique et il faudra que l’Europe réfléchisse à la pertinence de la règle de l’unanimité qui peut poser problème. On le voit aujourd’hui avec la Hongrie qui cristallise ce problème autour de la question du soutien à l’Ukraine. C’est un problème qui pourrait être récurrent et l’UE ne peut pas fonctionner avec une unanimité à 27 membres. Elle doit s’adapter.
Justement, un élargissement à l’Ukraine n’appelle-t-il pas à une réforme en profondeur du fonctionnement de l’UE ?
Bien évidemment, adapter, c’est réformer. Il n’y a aucune raison d’envisager une UE élargie avec les règles d’aujourd’hui. Ce sera un processus compliqué et progressif.
L’année dernière, j’avais suggéré que l’on fasse l’élargissement à l’Ukraine comme on avait fait l’intégration européenne, c’est-à-dire de façon sectorielle. Il ne faut pas oublier que l’Europe a commencé par le charbon et l’acier entre la France et l’Allemagne. Avec l’Ukraine, nous pourrions commencer par la défense. C’est la politique que suit l’UE qui a voulu intégrer le pays dès maintenant à ses politiques industrielles de défense. Mais il faudra également une vraie volonté politique, car sinon, cela sera exploité par nos adversaires pour diviser et démoraliser les Européens.
Cela dit, l’Europe est en train de changer. C’est déjà en cours et ça ne pourra que s’accentuer. La compétition de puissances mondiales transforme l’UE.
Quels sont les principaux atouts dont dispose l’Europe qui peuvent être une source d’optimisme pour l’avenir ?
L’Europe bénéficie d’un atout historique car c’est l’une des grandes régions où s’est jouée l’histoire de l’humanité. Dans mon livre, j’explique que le monde forge l’Europe, mais il ne faut pas oublier que c’est aussi l’Europe qui a forgé et façonné le monde. Il y a donc une grande proximité entre l’histoire mondiale et l’histoire européenne. Ni pour les Européens ni pour le reste du monde on ne peut imaginer une histoire de l’humanité qui se fasse sans les Européens ou avec des Européens qui ne seraient que spectateurs ou marginalisés. Même si le passé de l’Europe est aussi lourd d’héritage difficile à porter, le reste du monde considère malgré tout que le Vieux Continent a un rôle à jouer dans le monde et qu’il a une légitimité.
Par ailleurs, bien des choses seraient simplifiées si l’UE était capable de prendre conscience de la nécessité de se regrouper et d’avoir une volonté affirmée. D’un point de vue matériel, géographique, démographique et économique, l’Europe représente encore quelque chose d’important. Mais il faut qu’elle arrive à bien prendre le tournant que lui imposent les évènements pour forger les instruments qui lui permettent d’agir. Elle en a le potentiel. Ce n’est pas une région ravagée et sans ressources. Reste à conduire l’aventure politique pour transformer ses ressources en politique intelligente.
Est-ce que les dirigeants européens actuels sont en mesure de mener cette politique intelligente et d’exploiter le potentiel ?
Je pense qu’il ne s’agit pas que de la mission des dirigeants mais aussi de la population européenne. Par ailleurs, les dirigeants européens peuvent s’adapter.
À ce titre, il est intéressant d’analyser l’évolution du président français Emmanuel Macron. Au début, il a été beaucoup critiqué par rapport à ses propos vis-à-vis de la Russie. Lorsqu’il s’est rendu compte que ça ne menait à rien, avec un Vladimir Poutine qui ne voulait pas jouer ce jeu, il a engagé, à partir du discours de Bratislava en 2023, un rapprochement avec les pays du flanc est pour essayer de trouver une vision commune de ce que pourrait être la défense européenne. Cela a ouvert des pistes de politiques qui pourraient être menées à l’avenir.
En septembre dernier, le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne a remis un certain nombre de choses en question, faisant un constat sans complaisance vis-à-vis de la situation économique de l’UE et évoquant un « défi existentiel ». En parallèle, on assiste depuis quelques années à une sorte de compétition cherchant à définir qui est l’homme malade de l’Europe. Concrètement, est-ce que l’UE a encore les moyens économiques de ses ambitions ?
L’intérêt du rapport Draghi est justement d’appeler à un sursaut pour préserver un dynamisme économique. Pour les ambitions politiques, on a besoin d’économie. Mais pour l’économie, on a besoin aussi d’un volontarisme politique.
Mario Draghi chiffre ainsi à 800 milliards d’euros par an les investissements supplémentaires, en partie publics, pour adapter l’UE à la transition énergétique et numérique et pour qu’elle puisse se réarmer. C’est certes beaucoup d’argent et cela alimente d’ailleurs le débat sur la réforme et l’adaptation de l’UE.
Il existe ainsi un débat concernant l’investissement privé avec cette idée qu’il faut que l’épargne européenne soit mieux investie, dans des projets innovants et risqués. Mais on ne fera pas l’économie d’un vrai débat sur le financement public. Le rapport Draghi parle d’ailleurs de la question de la dette, ce qui fait polémique, mais là encore, si une union géopolitique ne peut pas fonctionner à l’unanimité, une union géopolitique ne peut pas fonctionner sans un vrai budget. Aujourd’hui, l’UE a un budget minimal et focalisé sur des dépenses structurelles de solidarité régionale et de politique agricole. L’UE n’a pas un budget qui soit au service des ambitions européennes de transformation économique ou de défense. C’est un chantier essentiel.
Est-ce que le fait que le couple franco-allemand ne soit pas autant aligné que par le passé constitue un frein aux transformations nécessaires et à l’ambition de l’Europe ?
La logique du couple franco-allemand n’est pas d’être sur la même longueur d’onde. Au contraire, en général les deux pays ne sont pas alignés mais arrivent à trouver un compromis, ce dernier devenant un point d’équilibre utile pour le débat européen général. La force du couple franco-allemand est que, précisément, il part d’idées différentes mais arrive à faire une synthèse. On peut l’observer dans le cas de « NextGenerationEU » concernant l’émission de dette commune. Paris et Berlin ne partaient pas de la même position, mais ils sont arrivés à la même position. Il est certain que le dialogue franco-allemand n’est pas facile, mais il est d’autant plus précieux lorsqu’il mène à un accord.
Par ailleurs, l’avenir de l’Europe ne passe pas uniquement par le couple franco-allemand. Certes, d’un point de vue économique, rien n’est équivalent à ce dernier. Mais d’un point de vue géopolitique, le rapprochement en cours entre la France et le flanc oriental est très important. Pendant très longtemps, on a eu cette division avec, d’un côté, une France qui soutenait l’idée de l’autonomie stratégique, mais dont on ne voyait pas ce qu’elle faisait concrètement pour la défense du continent européen lui-même. Certains pays pouvaient d’ailleurs le lui reprocher. En parallèle, les pays du flanc est étaient très attachés à la défense de la frontière européenne, bien conscients de la menace russe mais pas très lucides sur la relation avec les États-Unis, partant du principe que Washington serait toujours là pour les protéger et qu’il n’y avait donc pas forcément besoin de l’UE. Or, les deux positions ont évolué. Nous avons d’une part les Français qui affirment leur volonté d’être présents sur le front oriental, qui souhaitent s’installer en Roumanie pour longtemps et qui parlent de pilier européen de l’OTAN. De l’autre côté, les pays du flanc est encouragent les initiatives de mutualisation via l’UE. La nouvelle haute représentante de l’UE, l’Estonienne Kaja Kallas, incarne ce rapprochement car elle a beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait s’appuyer sur l’UE. Nous assistons donc à des convergences intéressantes, qui font que l’on sort progressivement du schéma dans lequel deux Europes regardaient dans des directions différentes.
Est-ce que le retrait militaire français d’Afrique peut finalement être bénéfique à la sécurité de l’Europe ?
C’est effectivement mon opinion. Il ne faut pas aller jusqu’à dire que la présence militaire française en Afrique n’était pas importante, mais cet outil était devenu contre-productif. Par ailleurs, cela empêchait la France de jouer un véritable rôle européen. L’armée française confessait qu’elle ne pouvait pas vraiment jouer un rôle sur le front oriental de l’Europe, parce qu’elle était lourdement engagée au Sahel.
Désormais, nous avons la possibilité de regarder tous dans la même direction, en adoptant un point de vue faisant appel à l’autonomie et à la modestie stratégique qui vont de pair. Certes, on ne peut pas compter sur le reste du monde pour assurer la sécurité de l’UE, mais les Européens ne peuvent pas s’occuper de la sécurité du monde entier.
Dans un premier temps, nous devons avoir comme priorité la sécurité du continent européen. Une fois que l’on aura fait nos preuves en la matière, envoyé un message de résolution et de solidité vis-à-vis de Moscou et mis en place certains instruments ou des réformes afin de faire de l’UE une union géopolitique, alors on sera mieux armés pour parler de la sécurité d’autres régions si on le souhaite.
Selon vous, l’épreuve ukrainienne est justement fondamentale pour la crédibilité de l’UE dans le monde. Celle-ci doit-elle mettre en place une hiérarchie des priorités ?
Effectivement. L’Ukraine est l’épreuve la plus importante. La France, par le passé, se concentrait davantage sur l’Afrique, mais c’est en train d’évoluer. Certains pays méditerranéens, comme l’Espagne, le Portugal, la Grèce ou l’Italie, reprochent à l’UE de ne pas avoir de position commune sur ce qui se passe au Moyen-Orient et qui les concerne davantage. C’est vrai, mais assurer la sécurité sur le continent européen doit être la priorité numéro un. Une fois que cela sera fait, l’UE pourra essayer de se projeter.
Vous expliquiez que l’Europe se doit quelque chose à elle-même en raison de son héritage historique, mais force est de constater que le poids démographique de l’UE est déclinant. Est-ce que cela peut constituer un frein aux ambitions et aux capacités de l’Europe à peser dans le monde ?
Il est certain que l’Europe ne représente plus le cœur stratégique du monde. Mais ce n’est pas pour autant une catastrophe. Le déclin démographique est une réalité, mais c’est l’horizon de tout le monde. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, l’humanité doit atteindre un pic à la fin du siècle, puis décroitre. Ce fait démographique doit inciter à inclure cette question dans le débat sur l’immigration. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup du cout de l’immigration, des difficultés que cela représente en termes d’intégration ou d’impopularité. On assiste ainsi à une forme de réarmement des législations contre l’immigration. Il est vrai que l’immigration n’est pas un phénomène anodin et que cela peut poser des problèmes. Mais le risque est que les Européens en arrivent à l’idée que l’immigration est un mal et représente uniquement un danger. Or, dans un monde qui atteindrait un pic de population, seuls pourraient avoir des ambitions d’avenir ceux qui continuent d’attirer des migrants. L’une des grandes forces des États-Unis, notamment vis-à-vis de la Chine, c’est leur dynamisme démographique et cette capacité à attirer des talents internationaux qui finissent par se sentir chez eux au bout d’un certain temps. C’est une grande force qui offre la possibilité d’avoir une population jeune et ambitieuse pour l’avenir. C’est l’inverse du Japon, qui refuse l’immigration et gère le déclin du pays sur la scène mondiale. C’est une situation qui ne permet ni l’ambition économique, ni l’ambition géopolitique.
Les autres puissances telles que les États-Unis, la Russie, la Chine ou la Turquie peuvent-elles craindre un retour en force de l’Europe, à moyen ou long terme ? Cela ajouterait-il de la conflictualité ou bien le retour d’une Europe puissante, qui a été capable de se rassembler après des siècles de guerre, pourrait-il être un vecteur de paix dans le monde ? Est-ce que finalement la paix du monde passe par une Europe puissante ?
Effectivement, je le pense et en particulier pour la Russie. Ce serait en effet un service à donner aux Russes que d’avoir une Europe forte. Le « mal russe » peut s’interpréter de cette façon : nous avons un pays ayant un faible dynamisme économique et une grande puissance militaire ; mais il a des voisins riches et faibles dans un contexte où les États-Unis sont en train de se désengager. La Russie est finalement comme un groupe de brigands dans une rue de bijoutiers. La meilleure façon de faire de l’argent, c’est de braquer la bijouterie. C’est cela qui entretient les Russes dans un système de valorisation de la violence, y compris sur le plan intérieur. Le jour où la Russie aura à l’ouest une Europe forte à la fois matériellement et politiquement, capable de répondre avec crédibilité à toute tentative d’intimidation russe, cela les poussera à chercher d’autres solutions que la violence. Or, aujourd’hui, l’économie russe est de plus en plus une économie de guerre. Leur prospérité future ne passera-t-elle donc que par la guerre ?
En effet, je pense qu’aujourd’hui la faiblesse de l’Europe est exploitée par ses voisins, dont la Russie et la Turquie sont les meilleurs exemples. Ce qui est assez frappant, c’est de voir que dans le voisinage de l’UE, la Turquie a presque davantage d’influence que l’Union, que cela soit au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Et cela s’explique par le fait que le pays est équipé d’un point de vue institutionnel pour prendre des décisions géopolitiques.
Ainsi, sur le court terme, probablement que les pays qui exploitent les faiblesses de l’UE ne trouveront pas leur compte face à une Europe forte. Mais sur le long terme, les populations pourraient connaitre des changements économiques et politiques avantageux.
Quid des États-Unis ? Que penseraient-ils d’une Europe puissante ?
Washington a un problème : celui d’être sur tous les fronts à la fois. C’est d’ailleurs l’une des forces de la candidature de Trump qui est le seul à dire qu’il faut arrêter une logique impérialiste. C’est un changement assez profond de la puissance américaine. Les États-Unis considèrent désormais qu’ils ne peuvent plus continuer d’être dans la même logique que lorsqu’ils étaient la seule grande puissance.
Ainsi, se dire qu’ils peuvent se focaliser sur leur rival principal qui est la Chine, sans être appelés en même temps à la rescousse en Europe ou au Moyen-Orient, est important.
À court terme, peut-être que certains industriels américains de l’armement n’accueilleront pas d’un bon œil l’arrivée d’une Europe puissante sur la scène internationale. Mais à l’échelle de l’intérêt de sécurité principal des États-Unis, cela devrait être marginal. Il faut en effet savoir que pour certains nationalistes américains, à choisir, ils préféreraient avoir une Europe forte plutôt qu’une Europe dépendante qui achète du matériel militaire américain. Cette industrie est déjà prospère et elle continuera de toute façon à exporter. En revanche, une Europe capable de résister à la Russie sans faire appel à des centaines de milliers de soldats américains serait un atout majeur pour Washington.
Une Europe plus forte serait donc davantage un vecteur de stabilisation. À l’inverse, c’est aujourd’hui la faiblesse européenne qui est déstabilisatrice.
Thomas Delage
Pierre Haroche