Il faut imaginer ce qui s’est passé au Qatar depuis l’élection de Donald Trump, le 5 novembre 2024. Impossible, pour l’Emirat gazier, d’apparaître comme un intermédiaire impuissant, incapable de faire entendre raison au Hamas, ce mouvement palestinien qu’il a tenu depuis des années à bout de bras financièrement. Impossible surtout, pour le royaume de l’Emir Tamim ben Hamad Al Thani, d’apparaître comme un acteur marginalisé dans la région du golfe Persique, alors que l’Iran n’a jamais été aussi faible et que l’Arabie saoudite entretient, de longue date, des relations très étroites avec le clan Trump.
Il fallait donc que les pourparlers entre le Hamas et Israël aboutissent. Mais comment y parvenir face à l’obstination guerrière de Benjamin Netanyahu? Le Premier ministre israélien, ivre de sa force militaire depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie, le 8 décembre, laissait entendre au contraire que les frappes contre Téhéran demeuraient d’actualité. Tous les Israéliens qui, depuis l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, défilent chaque jour pour exiger la libération des 94 otages encore présumés retenus par le groupe palestinien, redoutaient le pire: à savoir une collusion au sommet entre leur chef du gouvernement et le futur locataire de la Maison-Blanche.
La vérité semble avoir été inverse. A l’approche de son investiture à Washington le 20 janvier, suivie une semaine plus tard par la commémoration du 80e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, Donald Trump a anticipé le danger en termes de communication: apparaître comme le protecteur d’un Etat d’Israël devenu synonyme d’oppression, de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité.
Imaginer que le rêve américain de 2025, qu’il prétend incarner avec sa nouvelle administration, soit d’emblée associée à un guerre épouvantable, était hors de question pour le 47e président. Le message est donc passé et Benjamin Netanyahu n’a pas eu d’autre choix que de s’exécuter. Il fallait la paix à Gaza, ce territoire que l’armée israélienne ne pourra de toute façon jamais contrôler complètement. Et il fallait que le Qatar puisse préparer le cessez-le-feu avant que le recueillement mondial ait lieu, sur le site d’Auschwitz où le Premier ministre israélien sera a priori représenté par son ministre de la Culture.
Mille prisonniers libérés
Les conditions de ce cessez-le-feu disent combien le bras de l’Etat hébreu a été tordu par Donald Trump, même si le plan d’origine avait été présenté, depuis plusieurs mois, par l’administration Biden. 33 otages (seulement) devraient sortir de leurs geôles, tandis que mille prisonniers palestiniens, dont 250 condamnés à la perpétuité, retrouveront la liberté. Tout aussi significatif: les Palestiniens de Gaza seront autorisés à réintégrer leurs quartiers détruits, avant un retrait complet de l’armée israélienne. Difficile de camoufler l’évidence: l’écrasante supériorité militaire israélienne est en train d’accoucher d’une défaite politique. Rappelons que tous les cadres tués du Hamas, à commencer par leur chef Yahya Sinouar éliminé le 17 octobre 2024, étaient passés par les prisons de l’Etat hébreu.
Benjamin Netanyahu est incontestablement l’homme fort de la région. Son arsenal est incomparablement supérieur à celui de ses voisins. Ses régiments sont imbattables. Son dôme de fer n’a jamais été aussi efficace. Et après? La preuve a été apportée, par la guerre à Gaza, que la réputation d’Israël est en lambeaux. La cause palestinienne est redevenue mondiale. La justice internationale a lancé des mandats d’arrêts qui entravent déjà l’action du chef de gouvernement israélien le plus détesté de l’histoire. Joe Biden, incapable d’obtenir plus tôt un cessez-le-feu, restera dans l’histoire comme le complice d’une effroyable tragédie. Donald Trump aura, lui, la tâche de rebâtir un espoir sur ces ruines et ces dizaines de milliers de cadavres.
Richard Werly