L’un des principaux responsables de l’armée chinoise est officiellement tombé cette semaine. Le général Miao Hua, proche allié de Xi Jinping, pourrait être mis en examen pour corruption. Comment expliquer sa « suspension » ? Le début d’une nouvelle purge majeure au sein de l’establishment militaire à Pékin ?
Ce jeudi 28 novembre, lors d’une conférence de presse du ministère de la Défense, l’un de ses porte-parole, Wu Qian, annonçait que Miao Hua était suspendu de ses fonctions. Le directeur du département du Travail politique de la Commission militaire centrale fait l’objet d’une enquête sur des soupçons de graves violations disciplinaires. Bien entendu, cette information a d’abord été rapportée par des médias de Hong Kong. Il fallu plusieurs heures avant que le Parti ne daigne la rendre publique.
Cette annonce a fait l’effet d’une bombe dans les médias occidentaux. Elle a aussitôt amené certains observateurs à s’intéresser au ministre de la Défense lui-même, Dong Jun. Avait-il lui aussi été limogé ? Il faut en effet savoir que sa promotion est due en grande partie aux efforts de Miao Hua. Or, comme aux premières heures de l’affaire Qin Gang, l’ex-ministre des Affaires étrangères déchu, Wu Qian a démenti les « rumeurs » sur le sort de Dong Jun.
Mais alors que penser de la suspension de Miao Hua ? Rappelons d’abord les rumeurs qui planaient déjà autour de Miao depuis juillet, alimentées notamment par la promotion impromptue, le 9 juillet dernier, du général He Hongjun (何宏军) au poste de directeur adjoint en charge des affaires journalières au département dirigé par Miao. Dans ce contexte, cette « garde à vue » de Miao Hua est sans doute aussi surprenante qu’elle était prévisible. En principe, on ne nomme pas un général du même rang que le chef du département pour le seconder. Cette promotion de He Hongjun était ainsi perçue en juillet déjà comme un geste de défiance à l’égard de Miao.
Précisons trois points utiles. D’abord, le département du Travail politique, dirigé par Miao Hua jusqu’à récemment, agit au titre de département de l’Organisation et du Front uni pour la commission militaire centrale du Parti (CMC). Ensuite, ce département possède un réseau étendu « d’observateurs » – les commissaires politiques (政委) – qui rapportent directement au directeur. Enfin, dans le passé, ce département – connu aussi sous le nom de département général des Affaires politiques (总政治部) de l’Armée populaire de libération (APL) – a été l’un des points névralgiques de la corruption systémique au sein de l’armée. Rappelons aussi que le département fut il y a quelques années administré par deux généraux tristement célèbres, Xu Caihou, accusé de complicité de coup d’État avec Bo Xilai contre Xi Jinping, et Zhang Yang, qui était lié à Xu.
Homme de compromis
Miao Hua avait réussi à monter une équipe, à établir un réseau important à côté des deux principales franges de l’APL et à jouer le rôle de l’homme du compromis. De ce fait, Xi Jinping à souvent opté pour des candidats suggérés par Miao afin d’éviter de trop favoriser d’un côté les vétérans du Vietnam et le général Zhang Youxia, premier vice-président de la CMC, ou de l’autre côté, la « clique de Taihai » (台海帮) en faveur de l’invasion de Taïwan et le général He Weidong, deuxième vice-président de la CMC derrière Zhou et Xi dans l’ordre protocolaire. Ceci dit, il est fort probable que la nomination de Dong Jun à la tête du ministère de la Défense, qui mit en rage à la fois Zhang Youxia et He Weidong, ait été la goutte d’eau faisant déborder le vase. Et ce sont justement ces tensions entre Zhang, He et Miao – et Xi lui-même – qui expliquent en partie pourquoi Dong, en poste depuis près d’un an, n’est toujours pas membre de la CMC, ni même conseiller d’État.
Rappelons aussi que plusieurs autres hauts gradés de l’APL doivent beaucoup à Miao Hua. Parmi eux, Hu Zhongming (胡中明), nommé commandant de la marine de en décembre 2023, Wang Houbin (王厚斌), commandant de la Force des Missiles depuis juillet 2023, ou encore Wang Renhua (王仁华), secrétaire du Parti de la Commission des affaires politiques et légales de l’APL depuis décembre 2019.
Ainsi, une potentielle mise en examen de Miao aurait une portée beaucoup plus grande que les limogeages des anciens ministres de la Défense Li Shangfu et Wei Fenghe, de l’ex-chef de la diplomatie Qin Gang ainsi que de nombreux responsables militaires liés à la Force des Missiles ou au département de l’Équipement. Mettre en examen Miao impliquerait de remettre en cause une longue liste de promotions et d’évaluations depuis 2017. En ce sens, l’affaire Miao Hua pourrait déborder et emporter Dong Jun. Il n’est pas sûr que Xi soit obligé de s’en prendre à Dong dans la mesure où le ministre n’est que le symptôme d’une corruption endémique, et non la cause. Cependant, il y a fort à parier que Zhang Youxia et He Weidong, pour leur part, ne voudront pas en rester là. Ils risquent de faire pression pour que Dong Jun soit remplacé par un autre ministre plus favorable à l’un ou l’autre des deux camps.
Mais allons encore plus loin dans notre réflexion. La mise examen de Miao Hua, tout comme celles de Li Shangfu et de Li Yuchao (李玉超) pour la Force des Missiles, pourrait également pousser l’appareil disciplinaire à passer en revue la Marine de l’APL, y compris les échelons plus bas de sa chaîne de commandement. Après tout, Miao, malgré sa quasi-absence d’expérience au sein de la marine, en est un amiral. Il a aussi, au fil des années, favorisé la promotion de responsables issus de cette branche. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’image internationale de la Chine qui est en cause, cette instabilité constante qui fait perdre la face à Xi Jinping comme au reste du haut commandement. Il est aussi possible qu’une nouvelle salve de purge démarre bientôt.
Fauteur de troubles
Ce qui nous amène à un point plus concret : l’impact d’une purge potentielle sur les capacités de mobilisation et d’intervention de l’APL. En fait, suite à une série de problèmes découverts durant la purge de la Force des Missiles et du département de l’Équipement, le Parti et le haut commandement semblaient avoir encore beaucoup à faire pour redresser la situation afin d’envisager de préparer l’armée à une potentielle campagne dans le détroit de Taïwan. Or, ils sont encore loin d’avoir terminé l’inventaire de l’équipement défectueux et d’avoir réglé les problèmes d’insubordination, d’entraînement et de corruption découverts lors de la salve d’enquêtes disciplinaires en 2023. Inutile de préciser les effets néfastes d’une nouvelle purge alors que la précédente n’est pas terminée, à la fois sur l’agenda stratégique de Xi Jinping et sur ses relations avec le reste du haut commandement. Après tout, Miao Hua a été promu par Xi et lui a servi d’allié et d’informateur important lors de la mise en place du programme de « réformes globales de la Défense national et de l’armée » (深化国防和军队改革) de 2015-2016.
Beaucoup seront heureux de voir partir Miao Hua, un fauteur de troubles par excellence, et de manière indirecte, de voir l’une des structures de contrôle politique préférées de Xi au sein de l’APL se saborder. Le tout risque d’ailleurs de forcer le président chinois à repenser sa relation avec les autres membres de la CMC. Soit il choisit de faire des concessions – par exemple, arrêter de gaver sans cesse l’armée d’éducation politique et s’en remettre davantage à l’expertise militaire des généraux en place – afin d’éviter les débordements et, potentiellement, une longue période d’instabilité organisationnelle. Soit il commence à réfléchir à la manière de se défaire de l’influence de Zhang Youxia et de He Weidong afin de contrôler, une fois pour toutes, l’ensemble du commandement de l’APL.
Peu importe les raisons sous-jacentes à la suspension de Miao, le communiqué final portera sûrement sur son « engagement dans des transactions de pouvoir contre pots-de-vin » et le fait qu’il ait « utilisé son poste afin d’offrir des bénéfices pour autrui » à l’instar de Gao Peng (高鹏) – ou qu’il aurait « profité de son poste pour rechercher des bénéfices pour les autres et recevoir d’énormes sommes d’argent », comme Li Shangfu.
Il ne restera par la suite qu’à officialiser le remplacement de Miao par son adjoint, le général He Hongjun – un choix acceptable pour certains – ou encore à commencer des négociations entre Xi, Zhang et He afin de trouver un candidat moins problématique pour le bon fonctionnement de l’appareil militaire. Une chose est sûre : la suspension de Miao Hua est l’occasion rêvée de revoir le mode de fonctionnement du département des Affaires politiques et de doter l’APL d’un vrai département de l’Organisation qui serait séparé de l’appareil de propagande interne.
Alex Payette