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lundi 30 décembre 2024

Quand la Chine frappe à la porte de la Nouvelle-Calédonie

 

En 2016, alors que les relations entre la Chine et la Nouvelle-Calédonie se développaient rapidement, un journal calédonien titrait « Quand la Chine frappe à la porte du pays » (3). Si la Chine a certainement frappé fort à la porte de la Nouvelle-Calédonie, elle n’a obtenu qu’une partie mais pas la totalité de ce qu’elle voulait. Cependant, Pékin a un programme à long terme concernant le Pacifique et la place qu’y occupe la Nouvelle-Calédonie. La France est parfaitement consciente de l’intérêt de la Chine pour ce territoire d’outre-mer, tout comme les dirigeants locaux de la Nouvelle-Calédonie. 

Un positionnement stratégique

Dès 1987, un article chinois indiquait que la Nouvelle-Calédonie avait « une grande importance stratégique dans le Pacifique sud ». Un rapport de 2018 note que : « la situation géographique de la Nouvelle-Calédonie est très importante ». Troisième plus grand archipel de l’océan Pacifique, son territoire est petit, mais garde le passage maritime entre le Pacifique nord et l’Antarctique. C’est un site crucial pour les routes maritimes et aériennes ainsi que les câbles sous-marins de tous les continents. Par ailleurs, il s’agit d’un territoire stratégiquement important pour la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, ainsi que pour tous les États insulaires du Pacifique. En 1946, la Commission des territoires du Congrès américain avait identifié la Nouvelle-Calédonie comme faisant partie de la ligne de défense des États-Unis. Si une puissance hostile contrôlait la Nouvelle-Calédonie — ou ses voisines, les iles Salomon —, elle pourrait bloquer l’accès de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et des territoires insulaires du Pacifique aux États-Unis, à l’océan Indien et à l’Asie du Sud-Est et du Nord-Est. Les petits États insulaires du Pacifique sont incapables de se défendre en cas de conflit. L’évaluation de la défense néo-zélandaise pour 2021 affirmait que si un État qui ne partage pas les valeurs et les intérêts de la Nouvelle-Zélande en matière de sécurité installait une base militaire ou une installation à double usage dans le Pacifique, cela « modifierait fondamentalement l’équilibre stratégique de la région ». Sans une forte présence militaire française dans le Pacifique, les États et territoires insulaires du Pacifique pourraient être des cibles faciles pour une puissance hostile, comme ils l’ont été en 1941. L’Australie et la Nouvelle-Zélande devraient dépenser beaucoup plus d’argent pour se défendre et défendre les pays de la région et, en cas de conflit, elles pourraient être coupées de leurs partenaires militaires, tels que les États-Unis et le Japon.

Des ressources qui suscitent la convoitise de Pékin

La Chine est également très intéressée par la Nouvelle-Calédonie en raison de ses riches ressources minérales. En effet, la Chine développe sa capacité de production à l’étranger afin de garantir des approvisionnements suffisants pour ses besoins militaires et civils à l’intérieur du pays. L’expansion continue de l’APL en termes d’équipements et de capacités (la plus grande expansion militaire jamais réalisée dans le monde) rend l’accès au nickel de la plus haute importance pour la Chine (4). En outre, la Chine, qui s’accapare le marché mondial des dispositifs de stockage de l’énergie et des véhicules électriques grand public, a besoin pour cela d’un approvisionnement garanti en nickel.

La Nouvelle-Calédonie possède 25 % des ressources mondiales en nickel, la troisième plus grande réserve au monde, et a été, et pourrait redevenir, le plus grand producteur de ferronickel. Le territoire est également riche en cobalt (5), un minéral très rare qui est utilisé dans des applications militaires stratégiques telles que le guidage des missiles et les radars, ainsi que dans des applications commerciales et industrielles. La Nouvelle-Calédonie possède également des gisements potentiels d’or, d’argent, de cuivre, de plomb et de zinc dans la province Nord, ainsi que des ressources d’hydrocarbures inexplorées dans sa ZEE qui est également riche en ressources halieutiques.

En 2020, le China Geological Survey a indiqué aux investisseurs potentiels en Nouvelle-Calédonie que « si la principale force politique de la province Nord de la Nouvelle-Calédonie est favorable à l’indépendance, la principale force politique de la province Sud est opposée à l’indépendance vis-à-vis de la France ». Il a donc conseillé que « lorsque des entreprises financées par la Chine vont investir, elles devraient prêter une attention particulière à la région où le projet d’investissement est situé » et présenter leur projet en conséquence.

L’enjeu du statut politique de la Nouvelle-Calédonie

Pékin a suivi de près le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, dont l’indépendance pourrait avoir un effet domino sur les autres territoires français d’outre-mer comme la Polynésie française. Si la Chine pouvait avoir une présence militaire dans une Nouvelle-Calédonie indépendante, elle constituerait une menace directe pour l’ordre régional existant. Une Nouvelle-Calédonie indépendante, orientée vers la Chine, pourrait également constituer une force politique influente dans le Pacifique. Les commentaires d’un article publié en 1987 par un groupe de réflexion de la RPC semblent aujourd’hui prémonitoires, compte tenu de l’agitation actuelle en Nouvelle-Calédonie. Ils reflètent en effet l’évaluation à long terme par la Chine de la situation stratégique dans le Pacifique : « Une fois que le mouvement d’indépendance nationale de la Nouvelle-Calédonie sera mis à profit par une superpuissance, des changements défavorables aux États-Unis se produiront dans l’équilibre stratégique du Pacifique sud. D’autre part, si les États-Unis soutiennent le mouvement d’indépendance nationale de la Nouvelle-Calédonie, celui-ci pourrait s’étendre à d’autres iles et territoires sous tutelle dans le Pacifique et encourager d’autres peuples à lancer leur propre mouvement d’indépendance. C’est ce que les États-Unis ne souhaitent pas.  » En 2014, des universitaires chinois ont prédit que l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie était « imminente ».

Au départ, la France et de nombreux hommes politiques calédoniens, indépendantistes ou non, étaient enthousiastes à l’idée de développer les relations avec la Chine. Cependant, un changement de mentalité s’est opéré à ce sujet à partir de 2018. En réponse, les efforts du Front uni du PCC visant la Nouvelle-Calédonie sont devenus plus secrets, locaux et ont été délocalisés. De nombreux hommes politiques et leaders sociaux néo-calédoniens soulignent qu’ils percevaient la relation d’État-client du Vanuatu avec la Chine comme un exemple négatif d’engagement que la Nouvelle-Calédonie tenait à éviter. Beaucoup pensent de plus en plus que la Nouvelle-Calédonie n’a pas la capacité de s’opposer à la Chine, alors qu’il est plus facile de traiter avec la France.

Stratégie d’ingérence chinoise

Bien que les priorités de l’ingérence étrangère du PCC puissent être différentes dans chaque pays et territoire, les tactiques de base restent les mêmes. La structure de gouvernance décentralisée de la Nouvelle-Calédonie, qui répartit le pouvoir politique entre le gouvernement français, les autorités néo-calédoniennes, trois assemblées provinciales et les conseils locaux, offre aux agences et acteurs de la RPC de nombreux canaux potentiels à exploiter. D’un autre côté, l’effet des multiples centres de pouvoir qui s’observent les uns les autres peut avoir compliqué certains efforts d’ingérence du PCC.

En Nouvelle-Calédonie, les principaux vecteurs des activités d’ingérence étrangère du PCC semblent être les efforts de la Chine pour utiliser les liens et les activités des Chinois ethniques sur le territoire, le ciblage des élites économiques et politiques calédoniennes, et les tentatives d’intégrer la Nouvelle-Calédonie dans l’initiative des nouvelles routes de la soie. Le PCC s’est ainsi engagé dans une série d’activités d’ingérence étrangère en ciblant les élites politiques et économiques et en tentant d’utiliser la diaspora ethnique chinoise et les entreprises de la RPC pour servir les intérêts du PCC. Les élites locales ont parfois activement courtisé l’aide de la Chine, travaillant volontiers avec des organisations de façade du PCC.

La Nouvelle-Calédonie est économiquement importante dans la région, et si la Chine était en mesure d’influencer des secteurs clés dans cette région, cela pourrait avoir un impact régional plus large. Par exemple, Pacific Energy Pty Ltd, une entreprise privée de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, contrôle non seulement les stations-service de Nouvelle-Calédonie, mais aussi toutes les nombreuses stations-service des iles du Pacifique et de la Polynésie française, et fournit du carburant d’aviation et des lubrifiants à la région. En 2019, des rumeurs ont circulé selon lesquelles Pacific Energy avait reçu une offre d’achat de la part d’une entreprise chinoise. Si elle avait abouti, cela aurait signifié qu’une entité chinoise aurait contrôlé l’approvisionnement en pétrole et en essence dans tous les petits États insulaires en développement du Pacifique et dans les territoires français du Pacifique.

La Nouvelle-Calédonie a une société très divisée, un avenir politique instable et des disparités économiques considérables. Ces faiblesses exposent ainsi le territoire à un risque élevé d’être affecté par les efforts d’ingérence étrangère du PCC. Le manque de compréhension des programmes et des méthodes de politique étrangère du PCC par certains en France et en Nouvelle-Calédonie semble avoir entrainé des décisions politiques naïves et risquées dans le passé.

Malgré les paroles fortes du président français Emmanuel Macron sur l’« hégémonie » de la Chine dans le Pacifique en 2018, ou ses remarques en 2023 sur une éventuelle base militaire chinoise en Nouvelle-Calédonie, il semble toujours éviter de se confronter directement à Pékin. En septembre 2022, Macron a déclaré à une assemblée d’ambassadeurs français que la France devait maintenir son « indépendance géopolitique » vis-à-vis du comportement de la Chine, ainsi que de la réponse des États-Unis et d’autres alliés. Pourtant, les preuves sur l’étendue des activités secrètes de la Chine en Nouvelle-Calédonie et son programme à long terme visant à usurper les intérêts de la France démentent l’affirmation selon laquelle la France peut se dissocier de la géopolitique actuelle, ou que le problème réside principalement dans les États-Unis. La Chine s’engage dans des activités d’ingérence étrangère non seulement en Nouvelle-Calédonie, mais aussi en Polynésie française et dans les autres territoires extérieurs de la France, ainsi qu’en France même. Le débat public sur cette question ne fait que commencer en France.

Notes

(1) Ce texte est une synthèse de l’article original publié par Anne-Marie Brady : «  When China knocks at the door of New Caledonia  », publié le 23 aout 2024 par l’Australian Strategic Policy Institute (https://​rebrand​.ly/​h​a​j​e​f94), et dont une version française intégrale doit être publiée par l’IRSEM.

(2) Son article « Magic Weapons : CCP Political Influence Activities Under Xi Jinping » a contribué à façonner le débat mondial sur l’ingérence étrangère de la Chine (https://​rebrand​.ly/​c​m​3​i​ahn).

(3) Les Nouvelles Calédoniennes (https://​rebrand​.ly/​1​6​f​x​uqu).

(4) Un rapport du ministère américain de la Défense de 1954 a qualifié le nickel de « métal le plus proche d’un véritable “métal de guerre” [qui] mérite la première priorité parmi les matériaux faisant l’objet d’une attention particulière en matière de conservation ».

(5) La mine de Goro, dans la province Sud, produit 3 % de l’offre mondiale de cobalt.

Anne-Marie Brady

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