Entré triomphalement dans Damas ce dimanche, Abou Mohammed al-Joulani, de son nom de guerre d’Ahmed Hussein al-Chara, a interdit à ses combattants de « tirer en l’air » et d’approcher les institutions publiques. Cette retenue est étonnante chez un chef de guerre, fondateur du Front Al-Nosra (« Hay’at Tahrir al-Sham »), qui vient de mettre fin à un demi-siècle de dictature.
Ce leader islamiste, djihadiste dissident d’al-Qaida, a-t-il toujours été ce chef militaire avisé, légaliste et respectueux des droits humain? Est ce que son long rêgne sur Idlib, cette ville du nord de la Syrie qu’il contrôlait avec ses milices a laissé seulement des bons souvenirs? Tel n’a pas été vraiment le cas, comme Mondafrique l’avait raconté cet hiver.
En février et mars 2024, des manifestations massives avaient eu lieu contre Abou Mohammed al-Joulani, qui terrorisait et torturait ses opposants avant de devenir, ces derniers jours, l’icône de tout un peuple. Avec ses hommes, cet ex djihadiste qui avait jeté des passerelles vers la Turquie et les monarchies pétrolières représente l’avant garde de la mobilisation qui a renversé la dictature du clan Assad, une des pires de la planète.
La première apparition du mouvement « Tahrir al-Sham » qui vient de prendre le controle de la capitale syrienne en déclenchant des scènes de liesse remonte à 2012, sous le nom de « Front Al-Nosra pour le peuple du Levant ». La faction se distinguait par son éloignement du noyau dur de l’organisation « Al-Qaïda ». Cette force islamiste qui a composé avec le régime d’Assad a cherché également à retirer son nom de la liste où « Al-Qaïda » figure sous l’étiquette « terroriste ». Ce qu’elle n’est pas parvenue à faire: en 2017, le FBI a offert une récompense de 10 millions de dollars en échange d’informations permettant de déterminer l’identité ou la localisation d’« Al-Julani ».
Le groupe Tahrir al-Sham, dirigé par Abu Muhammad al-Julani, contrôle sur le plan militaire et sécuritaire la région d’Idlib au nord de la Syrie (voir la carte) , dont une partie des campagnes au nord-ouest d’Alep (voir la carte ci dessus).
Dans son gouvernement, Al-Julani s’appuie sur des obligés à qui il confie des tâches particulières. À savoir Abdul Rahim Attoun, le “législateur de la charia” de l’organisation “Hay’at Tahrir al-Sham” chargé des fatwas religieuses, Zaid Al-Attar pour les dossiers étrangers, « Abou Ahmed Hudoud » en matière de sécurité, un but qui passe par la liquidation de tout adversaire.
Des manifestations massives
Cet hiver, la région d’Alep a été le théatre de manifestations massives, notamment dans la zone du « Bouclier de l’Euphrate ». Le « Hay’at Tahrir al-Sham », anciennement le Front Al-Nosra, qui s’est emparé de facto d’Idlib, était dans le collimateur. La plus importante de ces manifestations a lieu au « rond-point de l’horloge », dans le centre-ville, le 27 février et après la prière du vendredi le 1er mars.
« Julani, nous ne voulons pas de toi. » « Julani, agent, tu es l’ennemi de notre révolution », scandaient les manifestants qui remplissaient les rues d’Idlib et les pages des réseaux sociaux, exprimant leur dénonciation et leur rejet du » « Nous voulons que les détenus sauvent ceux qui sont dans les prisons du HTS. Leurs voix se sont élevées, appelant à « Nous voulons que les détenus » sauvent ceux qui sont dans les prisons du HTS. Le plafond de leurs revendications a atteint le renversement du gouvernement d’Abu Muhammad al-Julani, le blanchiment des prisons et la responsabilisation. de ceux qui agressent les détenus.
Qasim Al-Jamous, un chanteur révolutionnaire, avait expliqué à « Mondafrique – Paris » que les arrestations arbitraires, le meurtre de personnes libres, l’arrestation de militants, la prédation des ressources et les populations affamées sont les raisons de cette explosion populaires. L’artiste a également ajouté que le peuple n’acceptera plus le régime d’« Al-Julani » ou d’autres personnalités similaires. « Les manifestations se poursuivront jusqu’à son renversement ».
Un dossier des prisons et de la torture dans les centres de détention des mercenaires de Hay’at Tahrir al-Sham qui avait été constitué par des juristes a fait mieux connaitre le Service général de sécurité, le bras armé d’al-Julani considéré comme une des branches sécuritaires du régime syrien. Des traces de torture sont apparues chez la plupart des personnes libérées des prisons, à l’image des scènes qui ont toujours été vues dans les prisons du régime syrien. En plus du dossier du Gouvernement de Salut qu’il a créé, ce Service général est considéré comme une institution de collecte d’argent au profit de « Al-Jawlani ».
La main tendue aux occidentaux
Lors d’une interview avec un journaliste américain de Frontline en avril 2021, Abou Mohammed al-Joulani avait indiqué que son mouvement ne constituait aucune menace pour les Etats-Unis ni pour l’Europe et qu’il fallait l’effacer de la liste des organisations terroristes.
Le chef de guerre a indiqué que « son rôle se limite à lutter contre le président syrien Bachar al-Assad et Daech et qu’il contrôle aussi une zone où des millions de Syriens déplacés pourraient devenir des réfugiés, ce qui reflètent des intérêts communs avec les États-Unis et l’Occident ». Il avait poursuivi: «D’abord et avant tout, cette région ne représente pas de menace pour la sécurité de l’Europe et des Etats-Unis ». Et d’ajouter: « Nous n’avons pas dit que nous voulions nous battre. Mes relations avec Al-Qaïda ont été interrompues. Même dans le passé, mon groupe était contre la réalisation d’opérations en dehors de la Syrie ».
En 2012 pourtant, sous le mandat de Barak Obama, l’administration américaine avait inscrit le front al-Nosra sur sa liste d’organisations terroristes. Cette organisation qui a commis la plupart des attentats terroristes meurtriers dans les zones loyalistes syriennes, avant l’avènement de Daech, se trouve aussi sur la liste des organisations terroristes de l’ONU. En 2013, la Maison Blanche avait qualifié Joulani de terroriste et offert une récompense de 10 millions de dollars pour des informations pouvant conduire à son arrestation.
Pour répondre à ces accusations, le chef du Front al-Nosra, branche d’el-Qaëda en Syrie, avait choisi la chaîne qatarie al-Jazeera, accusée d’être le porte-voix des Frères musulmans, pour parler de sa lutte contre le régime de Bachar el-Assad. « Nous obtiendrons la victoire bientôt (…) C’est juste une question de jours », affirme, confiant, le dirigeant du groupe jihadiste rebelle qui a toujours cultivé l’ambiguité.
Au mieux avec des responsables qataris et turcs et en bons termes avec les Séoudiens, le leader jihadiste n’a jamais été inquiété. La France de François Hollande, alors chef de l’état, et de Laurent Fabius, qui était ministre des Affaires Etrangères, l’avait ménagé, comme Mondafrique l’avait raconté.