Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 5 novembre 2024

Économie mondiale : l’Asie plafonne, les États-Unis rebondissent

 

Dans les dernières prévisions du FMI sur l’économie mondiale, l’Asie reste le continent dont la croissance est la plus robuste, avec un net rééquilibrage entre la Chine et les autres pays asiatiques émergents. Mais globalement, l’Asie cesse de progresser en part du PIB mondial depuis 2020. Dans le match Chine/États-Unis/zone euro, l’économie américaine connaît un rebond spectaculaire. Un flash-back depuis 1980 montre clairement une succession de pays clés pour la croissance asiatique : le Japon jusqu’en 1995, la Chine de 1995 à 2021 et désormais une double dynamique Inde-Asean.

Le dernier World Economic Outlook du Fonds monétaire international (FMI) publié le 22 octobre dernier comprend les prévisions de court terme habituelles couvrant 2024 et 2025, mais il s’accompagne aussi d’une base de données considérable couvrant les quarante-quatre dernières années de l’économie mondiale depuis 1980 et des projections à cinq ans jusqu’en 2029 fondées sur l’analyse du FMI sur le potentiel de croissance des différents pays. Un zoom sur les économies asiatiques et sur la compétition internationale avec l’Occident donne des résultats inattendus.

L’économie mondiale est en phase de ralentissement structurel

Premier constat du FMI : la croissance mondiale s’est durablement ralentie après le choc de 2020 et le rebond temporaire de 2021. À l’horizon 2029, les économistes du FMI tablent sur une croissance annuelle limitée à 2,5 %, soit un demi-point de moins que durant la décennie 2010. Ce ralentissement a des facteurs multiples : une progression plus lente de la productivité en dépit des révolutions technologiques en cours, un moindre rattrapage des pays émergents (et en particulier de la Chine), le vieillissement de la population, un rythme d’urbanisation moins rapide et l’impact des aléas climatiques.

Source : FMI WEO octobre 2024

L’Asie reste dynamique, l’amorce d’un rééquilibrage interne

Le FMI prévoit à court terme une certaine stabilité de la croissance mondiale, estimée à 2,7 % en 2024 et 2,8 % en 2025. Si l’on décompose cette moyenne par continent, l’Asie en développement reste la composante la plus dynamique de la croissance mondiale (5,3 % en 2024), nettement devant l’Afrique subsaharienne (3,6 %), le Moyen Orient (2,4 %) et l’Amérique Latine (2,1 %). L’analyse à cinq ans du FMI montre une érosion de cet avantage asiatique : la croissance pourrait se limiter à 4,5 % en 2029 alors que les autres régions en développement rattraperaient pour partie leur retard. Or l’avantage de l’Asie en développement était beaucoup plus spectaculaire dans la période 2006-2015 : la croissance annuelle frôlait les 8 % alors qu’aucun autre continent ne parvenait à dépasser une moyenne de 5 %.

L’autre changement structurel que constate le FMI est le rééquilibrage interne de la croissance asiatique au détriment de la Chine et au profit du couple Inde-Asean.

Source : FMI WEO dataset octobre 2024

Si la Chine caracolait largement en tête jusqu’en 2014, l’Inde atteint un rythme de croissance comparable sur la période 2015-2019, puis nettement supérieur après le choc économique provoqué par le Covid-19 (très violent pour l’Inde). Le différentiel de croissance Chine-Inde atteindrait plus de trois points par an au profit de l’Inde à l’horizon 2029, avec une croissance chinoise qui se rapprocherait de la moyenne mondiale. L’Asean 5 (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam) dépasse à son tour le rythme de croissance de la Chine à partir de 2024. Au sein même de l’Asean, deux pays – Vietnam et Philippines – ont un potentiel comparable à celui de l’Inde, tandis que la Thaïlande freine la progression du bloc Asean 5 avec une croissance molle (2,7 % en 2029).

Le poids de l’Asie dans l’économie mondiale a reculé depuis 2019

Si l’Asie poursuit son rattrapage économique en volume, elle a cessé provisoirement de le faire en valeur. Sa part dans le PIB mondial mesurée en dollars courants a temporairement régressé. C’est un paradoxe car, sur le long terme, le rattrapage des pays émergents s’est opéré par une addition d’effets/volume et d’effets/prix, soit parce que les prix intérieurs augmentaient plus vite que la moyenne mondiale, soit parce que le taux de change de la monnaie nationale progressait, soit une combinaison de ces deux facteurs.

Or sur la décennie 2014-2023, les États-Unis ont connu à la fois une monnaie forte – le dollar a progressé de 13 % par rapport au yuan chinois et de 25 % par rapport au yen japonais –, mais également une économie plus inflationniste que les économies asiatiques depuis 2020. L’indice des prix à la consommation des États-Unis sur la période 2020-2023 a augmenté de 18 % contre seulement 3 % en Chine et 6 % au Japon. Ces deux effets vont très probablement s’atténuer ou disparaître dans les années à venir. L’inflation aux États-Unis revient à sa tendance de long terme et l’effet refuge que joue toujours le dollar en périodes de crise va diminuer (sauf nouveau choc géopolitique ou sanitaire).

Toujours est-il que le poids relatif de l’Asie, et particulièrement de la Chine dans l’économie mondiale, a subi un choc sensible en dollars courants depuis 2020.

Source : FMI World Economic Outlook Database octobre 2024


Les douze principales économies asiatiques, qui représentent 90 % du PIB de l’Asie-Pacifique, ont vu leur part du PIB mondial en dollars courants plafonner à 33 % en 2020-2021 avant de retomber à 30 % en 2024. Dans les prévisions actuelles du FMI, cette part remonterait à un peu plus de 32 % en 2029. Le « trou d’air » du rattrapage en dollars courants pourrait donc durer une décennie.

En parités de pouvoir d’achat, le panorama est évidemment différent. La Chine a dépassé les États-Unis en 2015 et l’Inde se situe déjà à la moitié du PIB américain. L’écart de richesse entre les Asiatiques et les Occidentaux continue à se réduire. Mais l’évaluation en dollars courants est déterminante pour comparer le poids international des économies et leur capacité d’influence mondiale.

Par ailleurs, le retour sur quarante-quatre ans et la projection à cinq ans à laquelle nous invite le FMI dans sa base de données font clairement ressortir les pays clés dans l’histoire du rattrapage des économies asiatiques.

La première vague de ce rattrapage est déterminée par le Japon entre 1980 et 1995. L’économie japonaise représentait 10 % de l’économie mondiale en 1980 et presque 18 % en 1994-1995, avant d’entamer un déclin structurel qui ramène son poids relatif à 3,6 % en 2024.

La deuxième vague est déterminée par le rattrapage de la Chine entre 1995 et 2021, année où le PIB chinois atteint 18,3 % du PIB mondial, soit l’équivalent du poids de l’économie japonaise en 1995. La bascule Japon-Chine intervient à partir de 2010.

La troisième vague intervient depuis 2021. Le poids relatif de l’Inde entame une progression plus soutenue et la part du PIB mondial de l’économie indienne pourrait passer selon le FMI de 3,1 % en 2020 à 4,5 % en 2029. L’Asean 5 poursuit une progression plus lente (3,35 % du PIB mondial en 2029) et la Chine devrait revenir à une tendance positive à partir de 2025, davantage par un rééquilibrage de l’inflation mondiale que par sa propre dynamique économique. Cette troisième vague est donc plus dispersée et moins puissante que les précédentes.

L’étonnante résistance de l’économie américaine

Si l’on s’intéresse au match Chine/États-Unis/zone euro, la capacité de rebond de l’économie américaine saute aux yeux. Les États-Unis ont en 2024 un PIB en dollars courants représentant 26,5 % de l’économie mondiale, soit un point de plus qu’en 1980. Ce n’est pas le cas de la zone euro qui rivalisait avec l’économie américaine au moment de sa création en 1992, mais dont le poids dans l’économie mondiale a chuté de moitié aujourd’hui, avec une bascule zone euro/Chine qui s’opère à partir de 2018. La France pesait le quart de l’économie américaine en 1980. Elle n’en représente plus que 11 % aujourd’hui.

La Chine a certes opéré un rattrapage spectaculaire. Elle représentait les trois quarts de l’économie américaine en 2021 contre 11 % en 1980. Mais les chocs conjoncturels successifs des dernières années ont ramené son poids relatif par rapport aux États-Unis à 63 % en 2024, les prévisions du FMI pour 2029 se situant autour de 70 %.

Source : FMI WEO Database octobre 2024


Comme on l’a vu, une part du rebond américain est artificielle, avec une combinaison d’effets de change et de différentiels d’inflation. Mais une autre part est structurelle. La croissance américaine se situait au double de celle de la zone euro entre 2006 et 2015. Elle frôlait les 3 % en 2023 et devrait atteindre 2,8 % en 2024 contre respectivement 0,4 et 0,8 % pour la zone euro. Le potentiel de croissance du pays devrait rester supérieur à 2 % par an d’ici 2029, selon le FMI, alors qu’il se situe à 1,2 % pour la zone euro et à 3,3 % pour la Chine. Le fort ralentissement de l’économie chinoise anticipé par le FMI pourrait renvoyer aux calendes grecques la perspective d’une Chine devenue la première économie mondiale devant les États-Unis.

Ce contexte mondial souligne l’importance cruciale du résultat de l’élection présidentielle américaine. Une économie toujours centrale dans le monde, une empreinte géopolitique et environnementale globale, qui coexistent avec des fractures politiques et sociales sans précédent, le vertige du repli sur soi et côté Trump, la tentation fasciste.

Hubert Testard