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mercredi 6 novembre 2024

Des soldats nord-coréens en Ukraine à la décrispation Inde-Chine : vents contraires en Indo-Pacifique

 Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l’Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d’une infinité de craintes, est aussi à l’œuvre en Indo-Pacifique : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l’Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Bien sûr, comme toujours, les images fortes. Poignées de mains scénarisées à défaut d’être chaleureuses. Sourires de circonstance figés devant une batterie de drapeaux soigneusement disposés. Belles déclarations et autres communiqués conjoints joliment tournés à l’issue de réunions bilatérales ou collégiales « historiques » .Effet garanti. Encore et toujours. En Asie-Pacifique pas moins qu’ailleurs en cet automne 2024 aux tonalités exceptionnellement dissonantes, pour le meilleur, espère-t-on naïvement, ou pour le pire – quand bien même ce dernier ne serait jamais certain, dit-on.

Naturellement, il ne saurait être question de tourner le dos aux si rares bonnes nouvelles (parlons plus prudemment peut-être de développements positifs impromptus et bienvenus) émaillant le quotidien tortueux de cette région du monde davantage exposée aux tempêtes politiques, sécuritaires et diplomatiques, et autres maux encore, qu’aux plus apaisantes conditions anticycloniques.

Quand le dragon et l’éléphant desserrent quelque peu les dents

Parmi les dernières surprises en date et non des moindres, les prémices d’une bien improbable détente sino-indienne. Confirmation in vivo le 23 octobre devant les flashs des photographes et autres caméras des médias : le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi prennent la pause protocolaire face aux objectifs en marge du sommet des BRICS organisé dans la ville russe de Kazan. Deux jours plus tôt, New Delhi et Pékin le faisaient savoir : d’un commun accord – une authentique rareté plaisante à signaler -, le principe d’une désescalade des tensions aux frontières a été décidé, par le biais d’un retour sur le terrain à la situation avant les hostilités de 2020, avec notamment une réduction parallèle des troupes respectives postées de part et d’autre de la frontière.

Cette rare dynamique sino-indienne aux tonalités positives n’était pas même trop durement remise en cause du côté de Pékin par l’ouverture à Mumbai d’un nouveau bureau de représentation taiwanais, le 17 octobre.

Inde-Pakistan : le chef de la diplomatie indienne au « pays des purs », une première depuis 2009

De même, l’Inde s’illustrait une semaine plus tôt là encore au niveau diplomatique sur un autre théâtre hautement sensible : le chef de la diplomatie indienne était présent au 23ème sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les 15 et 16 octobre à Islamabad, la capitale du voisin pakistanais avec lequel la patrie de Gandhi et Nehru partage depuis trois générations d’homme une noria de différends, contentieux, conflits et autres désaccords en tous genres. La rencontre en marge du sommet entre le ministre indien des Affaires étrangères et le chef de gouvernement pakistanais, les propos étonnamment apaisants, encourageants de certaines personnalités politiques de premier plan du « pays des purs » – dont l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, frère ainé du titulaire actuel du poste, et Bilawal Bhutto Zardari – relayés dans la presse de ces deux voisins autrefois d’un seul bloc, auront pu agréablement surprendre l’observateur, déjà légitimement étonné par cette première visite d’un émissaire indien d’importance au Pakistan depuis neuf ans. Le même observateur des tortueuses affaires d’Asie méridionale aura hélas moins été pris de court par l’attentat meurtrier frappant peu après, le 21 octobre, la partie indienne du Cachemire administrée par New Delhi, attribué à une structure terroriste pakistanaise. Trois jours plus tard, le fléau terroriste s’abattait encore sur la région, près de Baramulla (50 km au nord-ouest de Srinagar), faisant quatre nouvelles victimes. Cette recrudescence du chaos aveugle ne devait certainement rien au hasard : elle sanctionnait encore et encore, comme observé tant de fois, la moindre esquisse de décrispation potentielle entre New Delhi et Islamabad.

Japon–Corée du Sud : à la recherche d’une détente durable ?

En Asie orientale, du côté du « pays du matin calme » et de l’ancien « Empire du soleil levant », l’appel ou la nécessité d’une décrispation face aux incertitudes régionales – défiance sans fin de la Corée du Nord, rapprochement Pyongyang-Moscou, a également trouvé dernièrement quelque écho favorable au plus haut niveau de l’État, à Séoul comme à Tokyo. Des augures plaisants n’allant pourtant pas si aisément de soi dans les deux pays, ont été applaudis des deux mains par Washington, l’allié stratégique commun à ces deux voisins aux relations souvent ombrageuses, lestées par un douloureux chapitre colonial difficile à oublier au sud du 38ème parallèle.

Ainsi, un mois après l’ultime réunion entre le Premier ministre japonais sortant Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Seok-youl début septembre, le nouveau chef de gouvernement nippon Shigeru Ishiba rencontrait Yoon le 10 octobre en marge du sommet de l’ASEAN au Laos, confirmant la bonne autant qu’inédite dynamique de dialogue du moment entre Séoul et Tokyo.

Chine–Japon : la dynamique nippo-sud-coréenne créé-t-elle une émulation entre similaire entre Pékin et Tokyo ?

On ne pourrait bien sûr que se féliciter d’une telle bonne inspiration, participant alors, à sa mesure, à un élan régional plus porteur d’espoir que de craintes. Alors certes, le 23 octobre, dans la capitale japonaise, lors d’une 17ème session du mécanisme de consultation de haut niveau sur les affaires maritimes, les délégations chinoise et nippone se sontaccordées « à gérer correctement » leurs différences, à maintenir une « communication étroite » sur les affaires maritimes, à « déployer des efforts positifs pour faire de la mer de Chine orientale une mer de paix, de coopération et d’amitié ». De nobles intentions naturellement à saluer, et surtout à traduire sur le terrain après l’avoir si aisément rédigé sur le papier. Le doute est cependant permis.

Il suffit de se remonter à peine une semaine plus tôt, le 16 octobre. Le ministère chinois de la Défense critiquait alors en des termes univoques l’évocation par le nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba du projet de création d’une « version asiatique de l’OTAN », une initiative selon lui « essentielle pour dissuader la Chine ». Et du reste, le lendemain, troublante coïncidence, Tokyo déplorait en mer de Chine de l’Est un nouvel accrochage avec Pékin près des îles disputées Senkaku/Diaoyu.

Voilà une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d’une infinité de craintes : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l’Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Nuages sur l’Asie-Pacifique

L’Asie conserve une série de zones fébriles dont chaque soubresaut, chaque secousse, se prolonge aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, au reste du concert des nations.

Corée du Nord-Corée du Sud. En procédant le 15 octobre à la neutralisation symbolique, la destruction par explosions d’axes routiers et ferroviaires reliant techniquement le Nord au Sud, puis en multipliant depuis lors les messages belliqueux ces derniers jours, la dictature kimiste maintient sa posture hostile et résolue à l’endroit du voisin du Sud. Séoul s’émeut légitimement, comme une majorité de nations occidentales du reste, des informations confirmant l’envoi de troupes nord-coréennes vers la Russie pour, à terme, être déployées aux côtés des forces russes combattant en Ukraine.

Japon-Russie. Le 17 octobre, le ministre japonais de la Défense faisait part sa double inquiétude au sujet de la coopération militaire sino-russe, ces manœuvres conjointes début septembre à proximité de l’archipel, et face au renforcement des liens russo-nord-coréens. Il a également confirmé le soutien de Tokyo à Kiev dans sa guerre contre les forces de Moscou.

Chine-Taïwan. Les 13 heures de manœuvres militaires chinoises aussi massives – 153 appareils chinois, une vingtaine de navires – que suggestives menées le 14 octobre tout autour de Taïwan ont « sanctionné » selon Pékin le discours « provocateur » du président taïwanais formulé plus tôt, le 10 octobre. Elles illustrent à elles seules l’état on ne peut plus sinistré des rapports entre Pékin et Taipei.

Mer de Chine du Sud. Le 13 octobre, la visite à Hanoï du Premier ministre chinois a marqué un renforcement tous azimuts de la coopération bilatérale sino-vietnamienne décidé, en matière de défense et de sécurité notamment. Mais ce déplacement ne saurait naturellement occulter l’ensemble des tensions électrisant les multiples contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud, tant s’en faut. Ce ne sont pas les témoignages récents qui font défaut, hélas : deux jours plus tôt, le 11 octobre, un navire de la milice maritime chinoise heurtait délibérément un navire civil philippin du Bureau de la pêche et des ressources aquatiques patrouillant à proximité de Thitu Island. Fin septembre, le Vietnam accusait les forces chinoises d’avoir battu violemment des pêcheurs vietnamiens opérant près des îles Paracels. Au même moment ou presque, le 27 septembre, près d’un autre atoll contesté, Half Moon Shoal, un navire des garde-côtes chinois et deux lance-missiles entravaient deux bâtiments civils philippins en route pour ravitailler des navires de pêche. Et on en passe. Le monde, observateur impuissant, quasi inaudible, s’inquiète. Chaque jour un peu plus, redoutant le pire. Non sans raison ?

Olivier Guillard

asialyst.com