Les unités militaires 8200 et 81 des services de renseignements israéliens sont, par principe, totalement secrètes. Les hommes qui la composent sont des soldats sans visage dont la fonction et les attributions sont ignorées de leur propre famille. Ils circulent généralement en civil mais on peut parfois les reconnaître, à certaines manifestations, à leur béret vert-foncé qui n’est pas à confondre avec le béret vert-clair du régiment Nahal. Les membres de cette unité sont triés sur le volet, souvent depuis le lycée où ils ont été repérés par les délégués de Tsahal à la recherche d’éléments exceptionnels, tant par le comportement que par la connaissance.
Leur sélection sécuritaire est sévère, remontant sur plus d’une génération, car ils détiennent des secrets militaires très sensibles. Contrairement à la légende, ce ne sont pas des Rambo ni des James Bond mais des petites têtes bien faites et bien pleines. Le recrutement est clandestin ; l'unité identifie les éventuels candidats, procède à des entretiens rigoureux, des tests et des cours, couvrant tout, de la communication au génie électrique en arabe. Cela peut prendre plus de six mois.
Le public ignore l’existence de l’unité 81 et ses attributions. En revanche, l’unité militaire 8200 commence à être connue depuis qu’elle a fait les premières pages des medias après avoir été accusée d’être à l’origine des virus informatiques Stuxnet et Flame qui ont infecté le programme nucléaire iranien. L’ancien ministre de la défense Moshé Yaalon avait défini le contour : «la guerre cybernétique constitue une cinquième dimension en soit, parallèle aux dimensions terrestres. Le but, en diffusant des virus informatiques, consiste à causer autant de dommages à l’ennemi, sinon plus, que ne le ferait une bombe conventionnelle. C’est pourquoi nous accordons une priorité toute particulière au recrutement de jeunes informaticiens doués».
Pour ces unités, Tsahal sélectionne l’élite de l’élite à partir de critères qui lui sont propres. L’unité 8200, également appelée Israeli Sigint National Unit (ISNU) est une unité responsable du renseignement d'origine électromagnétique et du décryptage de codes. L'unité a été créée en 1952 grâce à des équipements issus des surplus militaires américains, sous le nom de 2ème unité de renseignement militaire, avant de devenir la 515ème unité de renseignement militaire. En 1954, l'unité quitta Jaffa pour s'installer dans son quartier général actuel de Glilot Junction, au nord de Tel-Aviv. Ses effectifs comptent plus entre 6.000 et 8.000 membres. Le chiffre est secret.
Au début des années 1990, des missions nouvelles précises avaient été assignées à cette unité, ce qui avait d'ailleurs fait sa réputation. L’un de ses membres avait en effet reçu une mission artisanale, qualifiée à l’époque d’impossible, consistant à pénétrer les ordinateurs d’un pays ennemi et à déchiffrer le cryptage des données stockées. Il avait eu l’idée, depuis son bureau de Tel-Aviv, de mettre en panne à distance des ordinateurs pour en prendre le contrôle total et détourner les données. Il était, bien avant l’heure, le précurseur du cloud computing, à savoir l'accès via un réseau de télécommunications, sur demande et en libre-service, à des ressources informatiques partagées configurables. En fait, il avait réussi à délocaliser l'infrastructure informatique. L’auteur de cette réussite est aujourd’hui le fondateur d’une société privée qui a conceptualisé l'une des principales plate formes de développement Web basées sur le cloud.
Ce n’est pas une exception car tous les anciens de 8200 ont été à l’origine de startups, à plusieurs milliards de dollars, qui ont réussi en Israël. Cette unité a transformé Israël en «startup nation» très enviée. Plus de 1.000 entreprises ont été fondées par des anciens de 8200, de Waze à Check Point.
Les membres de cette unité sont mandatés pour inventer et déployer la nouvelle technologie, souvent isolés dans leurs bureaux. L’existence de 8200 était à peine reconnue jusqu'à il y a une dizaine d'années, parce que son histoire n'avait jamais été révélée. En fait le secret avait été bien gardé puisque l'unité 8200 est antérieure à la guerre d'indépendance de 1948. À partir de la période du mandat britannique des années 1930, elle était connue sous le nom de Shin Mem (acronyme pour service d'information) en faisant appel à des lignes téléphoniques de tribus arabes pour en savoir plus sur les émeutes planifiées. En 1948, elle a pris le nom 515, dénomination sans signification précise. En 1956, l'année de la Campagne de Suez, le nom a été changé en 848.
En 1973, l’unité 8200 a pris un tournant, après la Guerre du Kippour, qui avait pris au dépourvu le pays envahi par l’Égypte et la Syrie. Ce fut d’ailleurs la plus grande défaite des services de renseignements de l’histoire d’Israël, surtout après la capture d’un officier de l’unité 848 contraint à révéler des secrets importants à la Syrie. L’unité fut débaptisée 8200 sans que ce chiffre ait une quelconque signification. Elle fut scindée en différentes équipes indépendantes les unes des autres pour plus d’efficacité et de sécurité.
À ce moment, 8200 devint le centre R & D du pays mais en se distinguant de l’agence d’espionnage Mossad qui exploite 90% de son matériel de renseignement. Lorsque Yasser Arafat avait affirmé qu'il n'avait rien à voir avec le détournement du navire de croisière Achille Lauro en 1985, le 8200 avait fourni une conversation téléphonique interceptée qui avait prouvé le contraire. L’unité 8200 avait fourni les précieux renseignements pour bombarder le réacteur nucléaire syrien en 2007. Enfin, la même unité avait conçu le virus Stuxnet qui avait détruit les centrifugeuses nucléaires en Iran.
Les jeunes enrôlés sont encadrés au sein de petites équipes chargées d’analyser et de résoudre les problèmes jusque très tard dans la nuit. Ils ont été sélectionnés en raison de leurs compétences en mathématiques, en informatique et en langues étrangères, de leur aptitude à apprendre rapidement, à s'adapter au changement, à réussir dans une équipe et à s'attaquer à ce que les autres considèrent comme impossible. Personne ne leur dira ce qu’ils doivent faire mais ils imaginent vite la mission qui leur a été allouée. Des millions de cyber-attaques ont lieu chaque jour, les soldats identifient les attaques, évaluent les risques et font tout leur possible pour les éviter. L’augmentation accrue de la technologie digitale rend les systèmes de données et d’informations de Tsahal plus vulnérables. Cette dépendance est un nouveau défi auquel Tsahal doit faire face afin de maintenir sa cyberdéfense.
L’unité 8200 rassemble des renseignements informatiques afin de stopper les pirates avant même qu’ils préparent une attaque. En informatique, il n’y a pas de solution miracle mais dans cette unité la réalité dépasse vraiment l’imagination. La hiérarchie militaire n’est pas formelle dans l’unité 8200 pour laisser libre cours aux visions et aux initiatives personnelles.
L’unité 81 est encore peu connue du public. D’ailleurs, on spécule sur son quartier général qui serait à Giv’atayim, dans la banlieue de Tel-Aviv. Elle met l'accent sur la fourniture de technologies nouvellement inventées, constitués de matériels et de logiciels intégrés de haute technologie. Elle englobe 1.500 soldats de l'unité 8200. Elle est rarement mentionnée publiquement. Pour simplifier la compréhension, l’unité 81 fonctionne comme un atelier qui produit des machines spéciales. En cas de besoin, les membres réussissent sur demande à concevoir des produits exceptionnels. Ainsi, par exemple, ils ont inventé des mines déguisées en roches sur le terrain ou des caméras de surveillance intégrées dans un rocher. Mais les soldats de l’unité travaillent toujours sous pression ; leur adrénaline est leur capacité à résoudre un problème technique dans un délai record. Tsahal ne perd pas de vue que, à long terme, ces unités sont une victoire pour l'économie israélienne, en termes d'emplois et de richesses créés.
Les Arabes israéliens, qui ne sont pas soumis au service militaire, ne peuvent pas participer à ces unités 8200 et 81. Ils représentent 20% de la population mais ils ne sont que 2% à occuper des postes de techniciens en l’absence de formation militaire basée sur la technologie. Ils constatent, en l’absence de livret militaire, leur impossibilité à entrer dans des startups, souvent très sécurisées. En revanche, une centaine de Druzes ont été incorporés dans l’unité 8200 et pas seulement pour leur connaissance parfaite de la langue arabe mais aussi pour leur capacité d’analyse.
Israël est un pays qui produit plus de startups par habitant que n'importe quelle autre nation du monde. Il le doit aux unités d’élite 8200 et 81 qui représentent des détachements de l'intelligence militaire responsables de l'intelligence du signal, du décryptage du code et des munitions techniquement activées. En d'autres termes, les cyber-espions. Ces unités doivent leur succès inimitable à la sélection, la formation, la culture et le dévouement parce qu’elles ont accès aux éléments les meilleurs et les plus brillants du pays. Le pays produit chaque année une poignée de savants technologiques. Étant donné que l'ensemble des 8200 et 81 ne dépasse pas 8.000 membres, les chiffres exacts sont secrets, le niveau de sélectivité est supérieur à celui de Harvard, Yale, Princeton, MIT, Caltech ou Stanford. De plus, même si les chiffres exacts sont inconnus, l'unité 81 est encore plus discernable.
Les recrues ont accès aux meilleures formations au monde qui sont un mélange de matières universitaires (physique, mathématiques, informatique), de connaissances pratiques (grandes données, infrastructure informatique, apprentissage par machine, traitement du langage naturel) et "tradecraft" (piratage, espionnage virtuel). L'unité est un camp de démarrage pour l'esprit où les étudiants sont mis dans de petites équipes où ils étudient, font un remue-méninges, forment, analysent et résolvent des problèmes tôt le matin à très tard dans la nuit. Ils passent la moitié de leur temps à résoudre des problèmes. Ils ont un esprit de corps piloté par des ressources suffisantes et une motivation résolue pour rester à l'avant-garde du développement technologique. Les réunions et les événements en réseau sont fréquents ce qui permet aux soldats de former de solides liens d'amitié qui mènent à des contacts commerciaux durables pour les années à venir.
L’envers de la médaille est que les diplômés 81 et 8200 acquièrent de l’expérience en menant des petites équipes efficaces mais ils sont beaucoup moins à l'aise dans des environnements très structurés et rigides. Au sortir de l’armée ils doivent souvent s’adapter à la bureaucratie qui ronge toutes les entreprises modernes. Ils sont alors soumis à une reconversion mentale souvent difficile. Mais leurs compétences leur permettent de surmonter toutes les nouvelles situations en les distinguant des autres universitaires.
Pour la petite histoire
C’est au sein de la base de Glilot, située en bordure de Tel Aviv, que se trouve cette fameuse unité. L’installation, située à 110 km de la frontière libanaise, abrite le quartier général de l’Aman, le renseignement militaire israélien – dont dépend l’unité – ainsi que le siège du Mossad, le renseignement extérieur de l’État hébreu.
Spécialisée dans la cybersurveillance et la cyberguerre, elle est régulièrement comparé à la NSA américaine. Selon plusieurs experts, les effectifs de l’unité 8200 varient entre 5 000 et 10 000 membres, dont la moitié sont actifs à tout moment, soit près de 80% des effectifs de l’Aman. Il s’agit de la plus grande formation de l’armée israélienne.
Considérée comme l’une des plus grandes installations d’écoute au monde, l’unité gère une base de SIGINT (Renseignement d’origine électromagnétique) dans le désert du Neguev qui, selon une enquête du Monde Diplomatique, serait capable de surveiller les conversations téléphoniques et internet au Moyen-Orient et en Europe. Des centres d’écoutes seraient également basés dans les ambassades israéliennes à l’étranger.
Une unité très jeune
Le service militaire obligatoire permet à l’unité de recruter des jeunes israéliens dès l’âge de 17 ans. Les compétences en mathématiques, informatique et langues étrangères dont l’arabe sont particulièrement recherchées, mais surtout la capacité à apprendre rapidement.
L’unité fournit un grand nombre de formations dans ces domaines à ses nouvelles recrues. Dans un article du journal suisse Le Temps publié en 2017, un ancien de l’unité témoigne qu’il faut s’engager « à travailler quotidiennement 18 heures par jour, sept jours sur sept ».
Les jeunes recrues sont amenées à avoir des responsabilités très rapidement, grâce à un faible poids de la hiérarchie militaire, et sont poussés à travailler en équipe et à improviser pour faire avancer leurs missions. Des compétences qui seront très prisées à la fin de leur service par les entreprises de cybersurveillance et dans l’entreprenariat. À titre d’exemple, un quart des salariés du groupe israélien NSO en charge du fameux programme d’espionnage Pegasus sont issus de l’unité.
Des opérations controversées
L’unité est régulièrement pointée du doigt en raison de la cybersurveillance de millions de civils palestiniens. De nombreux cas de chantages ont été décriés, notamment envers des membres de la communauté LGBT, qui se retrouvent obligés de collaborer sous peine de voir leur orientation révélée à leur famille.
Cette surveillance de masse de la population palestinienne est dénoncée par plusieurs ONG de droits humains dont Amnesty International, qui souligne l’utilisation du système de reconnaissance faciale Red Wolf pour restreindre la liberté de mouvement des Palestiniens. « Red Wolf est un système de reconnaissance faciale utilisé par l’armée israélienne aux checkpoints de la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée » pointe Amnesty, ajoutant qu’il « utilise ces données biométriques pour déterminer si un individu peut passer le checkpoint ».
L’unité est également suspectée d’avoir participé à la conception du virus Stuxnet à l’origine de l’infection de plusieurs ordinateurs en 2010, dont ceux hautement stratégiques des installations nucléaires iraniennes. L’un de ces plus grands fait d’armes : avoir intercepté une conversation entre le roi Hussein de Jordanie et Gamal Abdel Nasser au début de la guerre des Six Jours.
L’unité 8200 utiliserait en outre un système d’IA avancé, appelé Évangile, qui permettrait grâce à des analyses de données issues des réseaux mobiles et internet de déterminer les cibles potentielles à frapper. Une utilisation particulièrement décriée à Gaza en raison de son manque de précision et des erreurs potentielles qui impactent les civils.
L’échec du 7 octobre
Le 7 octobre, l’unité a été critiquée pour son manque d’anticipation de l’attaque du Hamas. Cet échec est considéré comme l’un des plus graves depuis la création d’Israël. En septembre, plusieurs de ses membres avaient alerté de l’opération imminente du Hamas, mais n’avait pas été pris au sérieux par leurs supérieurs.
De plus, selon la chaine israélienne Kan, l’unité 8200 n’était pas opérationnelle ce matin là, en raison d’une décision de réduire le personnel pendant la nuit et les week-ends. Une décision qui a entravé l’efficacité de la réponse Israélienne à l’attaque et le ciblage des militants du Hamas infiltrés.
Dans le viseur du Hezbollah
En réponse à l’assassinat de son plus haut chef militaire, Fouad Chokr, le 30 juillet dans une frappe israélienne, le Hezbollah lançait une attaque contre 11 bases militaires israéliennes, dimanche 25 à l’aube. « Plus de 320 roquettes Katioucha » et « un grand nombre de drones » ont été utilisés, selon un communiqué du groupe.
Dans son discours prononcé le soir même, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah affirmait que la « cible principale de l’opération » de son mouvement était « la base de Glilot, la principale base de renseignement militaire israélienne ».
« Nous avons désigné la base de Glilot comme cible principale en raison de son rôle crucial dans les opérations de renseignement et d’assassinat en région », soulignait Hassan Nasrallah. Si l’attaque n’a fait que peu de dégâts selon Israël, elle démontre néanmoins l’importance de l’unité 8200 pour le Hezbollah. Des craintes qui semblent, au regard des derniers événements, bel et bien fondées.