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vendredi 27 septembre 2024

La patronne du RN est tout sauf une paria après les élections législatives marquées par un «front républicain» anti RN

 

Comment expliquer aux Français que le Rassemblement National (RN), longtemps présenté comme un parti «hors la loi», contrôle en réalité les faits et gestes de la République? Comment éviter une future poussée électorale de la droite nationale populiste en France, alors que ses propositions en matière de lutte contre l’immigration vont probablement être mises en œuvre par le nouveau gouvernement? Et comment ne pas donner l’impression de trahir le «front républicain» électoral anti RN, alors que le premier ministre Michel Barnier communique sur ses appels téléphoniques à Marine Le Pen, pour la convaincre de sa bonne volonté envers ses 126 députés?

La réponse à ces trois questions posées au nouveau gouvernement français est simple. Très simple. Elle se résume en un mot: impossible ! Impossible parce que dans les faits, bientôt trois mois après le second tour des législatives du 7 juillet, Marine Le Pen est tout, sauf le dos au mur. Un procès compliqué l’attend, à partir du 30 septembre, pour détournements de fonds publics. Une condamnation pourrait entraîner son inéligibilité. Mais elle fera appel. Et cela ne changera pas la donne politique actuelle: tous ceux qui voulaient l’éliminer sont aujourd’hui dans son viseur. La patronne du RN peut, à tout moment, décider de tirer la première.

Plus de «front républicain»

La preuve: le nouveau gouvernement composé pour l’essentiel de ministres de droite et du centre droite est en train de jeter aux orties le «front républicain» qui a conduit, dans l’entre-deux-tours du scrutin, à des désistements massifs pour faire barrage aux candidats de la droite nationale populiste. Le jeune ministre savoyard de l’Economie et des Finances Antoine Armand, 33 ans, vient de l’apprendre à ses dépens: Il s’est fait aussitôt recadrer par le premier ministre pour avoir dit qu’il ne traiterait pas de la même manière les élus du RN et ceux des autres partis lors des consultations budgétaires. Au point que Michel Barnier a décroché son téléphone pour rassurer sur ce point Marine Le Pen, cheffe du groupe RN à l’Assemblée.

Ce grand revirement n’a absolument rien d’étonnant. Il est le produit de deux équations dans lesquelles l’exécutif français se retrouve enfermé depuis qu’Emmanuel Macron a choisi, le 5 septembre, de confier les rênes du gouvernement au vétéran Michel Barnier, 73 ans, ex-négociateur européen du Brexit avec le Royaume-Uni.

La première est l’équation personnelle du nouveau premier ministre. Barnier, gaulliste social, était rappelons-le candidat à la présidentielle de 2022. Il avait à ce moment-là proposé des mesures anti-immigration très similaire à celles défendues par le RN. L’homme a aussi toujours pris soin de ménager les électeurs de la droite nationale populiste (onze millions aux dernières législatives), car ce provincial enraciné en Savoie connaît le pays réel, et la frustration légitime d’une grande partie de la population face au sentiment d’abandon et de délabrement du pays. Barnier s’est, en plus, toujours targué d’avoir de bonnes relations avec la droite nationale-populiste européenne, comme il sut ménager autrefois l’ex-gouvernement polonais du parti ultra-conservateur PIS ou le premier ministre hongrois Viktor Orban.

Réalité politique

La seconde est la réalité politique à l’Assemblée nationale où Michel Barnier devrait prononcer le 1er octobre son discours de politique générale. Et où il entamera ensuite les négociations très délicates sur le budget 2025, marqué par une inquiétante dérive des finances publiques qu’il doit à tout prix juguler. Dans l’hémicycle, le RN est en effet incontournable. Ses 126 députés, complétés par les 17 élus fidèles à Éric Ciotti, peuvent à tout moment faire tomber son gouvernement s’ils votent, par exemple, la motion de censure que la gauche a promise de présenter. Il est en effet peu probable que les 193 députés du Nouveau Front populaire prennent l’initiative de voter avec le RN. L’inverse, en revanche, serait fatal. La majorité absolue de 289 élus sur 577 serait atteinte.

Marine Le Pen et la justice

Tout cela, Marine Le Pen le sait. Et elle en profite, en focalisant son action autour de trois priorités:

  1. Consolider son parti en recrutant des cadres capables et en s’appuyant pour cela sur la manne des financements publics (25 millions d’euros par an) obtenus grâce à son récent succès électoral.
  2. S’assurer que ses électeurs sont respectés, et donc que le gouvernement Barnier cesse de dénoncer la droite nationale populiste comme antirépublicaine.
  3. Faire oublier le plus possible ses ennuis judiciaires car elle entame, à partir du 30 septembre, un procès difficile pour détournements de fonds publics liés à l’utilisation passée d’assistants parlementaires européens.

Ils voulaient tous l’éliminer? Quelles que soient les options envisagées, tout démontre que cela est – pour le moment – raté. La candidate à la présidentielle 2027 sort au contraire renforcée de cette séquence ouverte par la dissolution inattendue de l’Assemblée nationale décidée par celui qui l’a deux fois battue dans les urnes, en 2017 et 2022: Emmanuel Macron.

Richard Werly

blick.ch