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vendredi 27 septembre 2024

L’Espagne des marges : au centre du jeu politique ?

 

Depuis le 19 septembre 2023, le basque, le catalan et le galicien résonnent au Congrès des députés à Madrid habitué jusqu’ici au castillan, seule langue autorisée dans l’hémicycle. Cette revendication des mouvements autonomistes a été satisfaite par le Premier ministre, Pedro Sánchez (depuis 2018), pour s’attirer leur bonne grâce et ainsi rester au pouvoir malgré la deuxième place des socialistes aux élections législatives du 23 juillet.

L’Espagne contemporaine est marquée par le modèle des autonomies basé sur plusieurs nationalités. Il protège les identités culturelles et linguistiques de différentes régions ; il remonte à la période de la transition démocratique permise par la mort de Francisco Franco (1892-1975) et l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1978. La volonté était alors de tourner le dos à des décennies de régime autoritaire (1939-1977) et de négation des langues locales autres que le castillan. Le retour à la démocratie se fait par une série de réformes conduisant à l’amnistie générale pour tous les prisonniers politiques, à la légalisation du multipartisme, au rétablissement de la liberté et à la mise en place du statut d’autonomie.

Des régions puissantes

Dix-sept communautés autonomes sont constituées entre 1979 et 1983 sur la base de critères historiques, culturels et économiques communs, et chacune dispose d’une assemblée élue et d’un gouvernement aux fonctions exécutives et administratives. L’originalité de ce système est d’être asymétrique, chacune d’elles ayant plus ou moins de compétences. Ainsi, au Pays basque, en Catalogne, en Galice, dans la Communauté valencienne et aux Baléares, les langues régionales ont un statut de co-officialité sur leurs territoires. Les trois premières, ayant déjà un statut spécial avant la guerre civile (1936-1939), bénéficient de la plus large autonomie. Le Pays basque, la Navarre et les Îles Canaries jouissent d’un régime financier dérogatoire au droit commun. Le premier dispose même de sa propre police, la Ertzaintza, pour gérer l’ordre public, tout comme les Catalans avec les Mossos d’Esquadra. Des transferts réguliers de compétences, en particulier celles de l’éducation et de la santé, et des capacités financières ont été votés durant les décennies suivantes. Enfin, Basques et Catalans bénéficient d’un des plus importants PIB par habitant du pays (32 925 et 29 942 euros, respectivement, en 2021), supérieur à la moyenne nationale (25 498).

Le système politique espagnol a longtemps été stabilisé autour d’un bipartisme où seuls le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti populaire (PP) accédaient à l’exécutif de l’État central. Mais ils ne peuvent que rarement gouverner sans le soutien d’un troisième mouvement, périphérique. Les formations régionalistes basques et catalanes, à l’instar du Parti nationaliste basque (PNV) et de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), jouent de cette position permettant d’obtenir des majorités parlementaires pour faire valoir leurs revendications d’un traitement spécial.

La question de l’indépendance de la Catalogne reste particulièrement vive et controversée ; elle a atteint son paroxysme lors du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 organisé par les nationalistes et condamné par Madrid. La mise sous tutelle de la communauté autonome durant plusieurs mois et l’arrestation des principaux dirigeants jugés responsables de la situation a tendu les relations entre Barcelone et le gouvernement central, tout en clivant la société catalane et en suscitant des débats passionnés sur la nature de l’État espagnol.

C’est dans ce contexte que, à la suite de la crise financière de 2008 et des mesures d’austérité imposées, l’Espagne est passée à un système multipartite, avec l’émergence du mouvement de gauche Podemos, de Ciudadanos (centre libéral) et de Vox (extrême droite), venus fragmenter le paysage politique et rendre la prise de décision plus complexe au sein de coalitions.

Instabilité centrale

À la tête de l’Espagne depuis 2018, le socialiste Pedro Sánchez a déjà dû s’allier avec Podemos, faute de majorité absolue au Congrès. Malgré un bilan économique, social et sociétal plutôt flatteur, il a été critiqué par ses adversaires pour les concessions faites aux indépendantistes catalans. Après une lourde défaite aux élections municipales de mai 2023 – le PSOE perd 1 557 conseillers, alors que le PP en remporte 3 048 de plus et que Vox s’installe –, il décide d’anticiper de six mois les législatives. Le pari s’avère risqué, mais gagnant : la deuxième place du PSOE avec ses 121 députés (sur 350) ne l’empêche pas d’être en position favorable. Si le PP a obtenu 137 sièges, son alliance avec Vox (33) ne lui permet pas d’atteindre la majorité absolue de 176 voix, à quatre près. Il est donc minoritaire face aux socialistes et à la coalition Sumar (31), quatrième force politique du pays rassemblant une quinzaine de partis de la gauche radicale, sans oublier les nationalistes basques et catalans.

Leur total de 25 députés les place au centre du jeu. Ils revendiquent une loi d’amnistie pour tous les sécessionnistes de 2017 toujours en fuite, ainsi qu’un référendum sur l’autodétermination des peuples d’Espagne. La marge de manœuvre de Pedro Sánchez s’annonce étroite, et la possibilité de nouvelles élections est réelle. Sur fond d’inflation et de perte de pouvoir d’achat, la pression est forte pour la gauche face à une opposition qui l’accuse de mettre en danger l’unité de l’Espagne. 

L’Espagne : un territoire, des communautés autonomes


Thibaut Courcelle

areion24.news