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samedi 28 septembre 2024

La Chine réplique-t-elle les erreurs du nationalisme japonais ?

 

Le meurtre d’un enfant japonais de dix ans le 18 septembre par un Chinois de 44 ans à Shenzhen, dans le sud de la Chine, est le dernier épisode d’incidents xénophobes qui illustrent une dérive nationaliste devenue incandescente dans ce pays ces dernières années. Cette dérive rappelle le Japon des années 1930, mené à la ruine par les forces militaristes.

Le garçon, de père japonais et de mère chinoise, a été attaqué au couteau en pleine rue sur le chemin de son école. C’est le deuxième assaut de ce type en quelques mois visant des ressortissants japonais. L’enfant de 10 ans a succombé à ses blessures le lendemain à l’hôpital. Le Premier ministre japonais Fumio Kishida a dénoncé un « crime particulièrement abject ». Ce crime, outre la vague d’effroi et d’angoisse qu’il a suscitée dans la communauté japonaise expatriée en Chine, a jeté un nouveau froid dans les relations déjà complexes et tendues entre les deux voisins.

L’attaque de Shenzhen a eu lieu le jour même de la commémoration du début de l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931. Cet épisode avait marqué le début d’un engrenage militariste dans l’archipel mené par les généraux nippons. Il s’était plus tard traduit par des exactions nombreuses perpétrées par l’armée impériale japonaise en Chine et en Corée avec pour contexte une montée irrésistible du nationalisme dans le pays qui le conduisit à la guerre.

L’agression a eu lieu tout juste trois mois après deux autres attaques au couteau : la première, le 18 juin contre des enseignants américains en stage d’échanges pédagogiques à Jilin dans le nord-est du pays ; la deuxième, le 24 juin à Suzhou, dans l’est de la Chine, contre une maman japonaise et son fils poignardés devant un bus scolaire. Cette deuxième attaque avait coûté la vie à Hu Youping, 54 ans, une Chinoise hôtesse d’une compagnie de transport qui s’était interposée. Touchée au cœur, elle avait succombé à une grave hémorragie deux jours plus tard.

Après la nouvelle attaque du 18 septembre, les autorités chinoises ont bien tenté de banaliser l’incident mortel en expliquant que « ce type d’agression isolée pourrait se produire dans l’importe quel pays ». Mais à Tokyo, la répétition à un si bref intervalle d’un assaut contre un ressortissant japonais devant une école à touché un nerf sensible. Le lendemain, le Premier ministre japonais qui s’étonnait de l’absence de réaction officielle de Pékin, exigeait publiquement que « la partie chinoise explique les faits le plus rapidement possible ». Dans une allusion à l’épisode du 24 juin, il ajoutait : « Un tel incident ne doit jamais se reproduire. Nous avons fortement exhorté la partie chinoise à assurer la sécurité du peuple japonais. »

Un peu plus tard, Li Jian, l’un des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères déclarait, sans surprise, que « l’affaire faisait l’objet d’une enquête et qu’elle serait traitée par les autorités chinoises conformément à la loi. La Chine a toujours pris et continuera de prendre des mesures efficaces pour assurer la sécurité de tous les ressortissants étrangers [sur son sol]. »

Passé militariste et chasse aux espions

Mais dans cette nouvelle affaire tragique ressurgit le passé militariste du Japon. La guerre livrée par Tokyo à partir des années 1930 a coûté la vie à des centaines de milliers de Chinois, Coréens et autres populations en Asie. Sous la conduite des généraux de l’armée impériale japonaise, des crimes abominables ont été commis.

Ces horreurs abondamment documentées ont nourri un profond ressentiment dans tous ces pays envers le Japon qui perdure encore aujourd’hui. Le bilan du « viol de Nankin » ou « massacre de Nankin » (南京大屠杀, Nanjing Datusha) entre décembre 1937 et janvier 1938 est de plus de 200 000 morts dans la population de la capitale de la Chine de l’époque. Or aujourd’hui encore, les plus conservateurs au parlement japonais continuent de minimiser ces épisodes. Certains en contestent même l’existence. Pour le Japon, le bilan en pertes humaines de la Deuxième Guerre mondiale est estimé à quelque 2,4 millions de soldats japonais déclarés morts et 1,12 million de disparus, selon la Sasakawa Peace Fondation.

Ce n’est donc sans doute pas un hasard si l’attaque au couteau de Shenzhen a eu lieu à la date sensible de l’anniversaire de l’incident de Moukden (Shenyang) en Mandchourie le 18 septembre 1931. Désigné par la Chine comme « l’incident 918 » (九一八事件, jiuyiba shijian), il rappelle que, ce jour-là, le Japon prit prétexte de la destruction d’une section de la voie ferrée appartenant à la société japonaise des chemins de fer de Mandchourie du Sud pour envahir tout le nord-est de la Chine. Plus de 90 ans après, cet événement est toujours commémoré en Chine comme le début de la catastrophique invasion japonaise qui avait été vécue comme une humiliation nationale que les médias d’État chinois exhortent le public à ne jamais oublier.

Si ces événements sombres de l’histoire commune n’ont jamais été oubliés en Chine, les médias d’État chinois en font aussi régulièrement usage pour entretenir un profond sentiment anti-japonais dans la population, attisant ainsi une xénophobie en hausse dans le pays à l’égard du voisin nippon, mais aussi tout à la fois envers l’Occident régulièrement présenté, indirectement ou non, par la propagande comme un univers de violences décadent et un « ennemi extérieur ».

Au Japon, les idées nationalistes perdurent aussi. Les exemples abondent. Ainsi en 2004 et 2005, le Premier Ministre japonais de l’époque Junichiro Koizumi mettait en scène ses visites au sanctuaire shinto Yasukuni à Tokyo abritant les âmes des héros morts pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris celles de criminels de guerre avérés. La télévision publique chinoise diffusait alors à jets continus une violente propagande antijaponaise. Mais au Japon aussi, les sentiments antichinois des ultra-conservateurs et de l’extrême-droite japonaise n’ont jamais vraiment disparu, tandis que Tokyo accuse Pékin d’attiser les rancœurs par la commémoration des atrocités nippones.

En 2012, de violentes manifestations antijaponaises avaient éclaté dans de nombreuses villes chinoises à propos des îles contestées de Senkaku, que les Chinois appellent Diaoyu (魚釣島), situées à 160 milles nautiques (296 km) au nord-est de Taïwan et à 300 milles nautiques de Wenzhou au sud-est du Zhejiang. Sous la surveillance des policiers restés à bonne distance, des nationalistes en colère avaient assiégé l’ambassade du Japon à Pékin. Dans de nombreuses villes, des restaurants et des voitures de marque japonaise avaient été saccagés.

Mais s’agissant du crime du 18 septembre dernier, les médias japonais ne s’y sont pas trompés. Ils accusent le régime chinois de redoubler d’ardeur dans sa campagne antijaponaise depuis l’adoption le 1er juillet dernier d’un nouveau texte de loi qui élargit la notion d’espionnage et qui exhorte la population chinoise a scruter toute activités des étrangers pouvant être de l’espionnage. Depuis cette date, une « chasse aux espions » a commencé en Chine, souligne ainsi le quotidien Nikkei Asia pour qui la communauté japonaise est visée en priorité. « Cette chasse aux espions a eu une conséquence terrible, faisant des écoles japonaises en Chine des cibles, souligne le média nippon. La cause en est une fausse rumeur qui circule sur Internet selon laquelle le gouvernement nippon utilise les écoles japonaises à travers la Chine pour entraîner des espions. »

« Le concept unique à la Chine de « sécurité nationale » menace la sécurité de tous les ressortissants étrangers qui résident dans le pays, pourquit le Nikkei Asia. Si Pékin n’améliore pas la situation d’une façon drastique, les étrangers ne peuvent pas vivre en Chine avec le sentiment d’y être en sécurité. Les dirigeants chinois pourraient mettre fin à cet enchaînement vicieux sur les réseaux sociaux qui, usant [d’un langage] au vitriol, ont conduit à ces incidents tragiques, en prenant une petite mesure : émettre une mise en garde claire contre toute attaque visant des étrangers. Faire ainsi pourrait aussi protéger des citoyens chinois comme Hu Youping. »

« Ils sont stupidement hostiles à tout ce qui est japonais, à l’exception du militarisme auquel qu’ils adhèrent. »

Aujourd’hui, les grands centres urbains de Chine accueillent de nombreuses entreprises et citoyens japonais. Dans la seule ville de Shenzhen, devenue à partir du lancement des réformes économiques par Deng Xiaoping en 1978 un pôle technologique et industriel très attractif et une vitrine de la Chine moderne, vivent 3 000 résidents japonais. Ce nouveau drame xénophobe a suscité malaise et compassion dans la population de la cité. De nombreux citoyens chinois choqués ont déposé des fleurs et des billets aux portes de l’école japonaise du quartier de Nanshan.

Mais il reste que le sentiment antijaponais persiste. Ainsi, sur les réseaux sociaux, des nationalistes ont accusé le Japon d’avoir lui-même « dirigé et organisé » l’agression du 18 septembre, tandis que d’autres se sont demandé pourquoi des écoles japonaises existaient encore en Chine, messages de haine rapidement supprimés par la censure en ligne. D’autres internautes faisaient cependant contrepoids. Certains mettaient en garde contre l’image de la Chine. « À ce rythme plus personne ne voudra plus venir en Chine », écrivait un internaute. Un autre, cité par la rédaction du site QuestionChine, écrivait ceci au terme d’un long essai historique : « Il y a des gens remplis de haine clamant que la Chine et le Japon sont complètement différents et ne peuvent pas coexister. Ils sont stupidement hostiles à tout ce qui est japonais, à l’exception du militarisme auquel qu’ils adhèrent. Ils harcèlent les touristes japonais qui prennent des photos du palais. […] Leur folie s’aggrave et se développe. Désormais, ils sont même prêts à s’en prendre aux faibles et aux personnes âgées. […] Affirmant que les attaques au couteau sont organisées par les Japonais eux-mêmes, ayant perdu toute humanité, ils touchent aux limites de l’ignorance et de l’impudeur. »

Une lettre ouverte du père de la victime a été lue par des centaines de milliers d’internautes sur les réseaux sociaux avant d’être, elle aussi, supprimée. Publiée le 23 septembre dans son intégralité par le site Centre for China & Globalisation (CCG), le père y exprime sa douleur mais aussi l’absence de toute haine envers la Chine. Son fils, écrit-il, « aimait les insectes et les reptiles. […] Depuis son jeune âge, il aimait le dessin et était doué pour les langues, il parlait couramment le japonais tout comme le chinois. Il était à la fois japonais et chinois. Sa mère est chinoise et a vécu au Japon près de dix ans tandis que son père est un Japonais qui a passé près de la moitié de sa vie en Chine. Nous n’allons pas détester la Chine comme nous ne détestons par le Japon. Quelle que soit notre nationalité, nous considérons ces deux pays comme les nôtres. Si les habitudes et les cultures peuvent être différentes, nous savons mieux que d’autres qu’au fond de nous, nous sommes les mêmes. Mon seul espoir est qu’une telle tragédie n’ait plus jamais lieu. »

À la suite de ce meurtre, les grands groupes industriels japonais présents en Chine, dont Toyota, Nissan et Toshiba, ont appelé leurs employés japonais en Chine à la prudence. Panasonic permet aux familles expatriées de rentrer temporairement au Japon si elles le souhaitent, et prend en charge les frais.

Cet assassinat a eu lieu alors que les relations entre les deux voisins sont au plus bas depuis plusieurs décennies, du fait notamment d’opérations militaires chinoises en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale. Le 26 août, un avion de reconnaissance de l’Armée populaire de libération est entré deux minutes dans l’espace aérien japonais, une incursion inédite. Puis, mercredi 18 septembre, un porte-avions chinois, le Liaoning, a navigué en zone japonaise lorsqu’il a emprunté une nouvelle voie entre deux îles japonaises, Yonaguni et Iriomote, situées à seulement 100 kilomètres à l’est de Taïwan.

Cet itinéraire inédit entre les deux îles japonaises emprunté par le porte-avions chinois n’est pas le fait du hasard, estiment des experts cités par la revue américaine The Diplomat, mais fait partie de préparatifs visant non pas le Japon mais Taïwan.

Par ailleurs, la Chine accuse le Japon de polluer les océans en ayant commencé, le 24 août 2023, à rejeter en mer les eaux de la centrale sinistrée de Fukushima, malgré les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) constatant qu’elles respectent les standards internationaux. Une intense campagne médiatique en Chine autour de la question avait mobilisé les Chinois, réellement inquiets des conséquences pour leur santé et l’environnement. Pékin avait depuis suspendu ses importations de tous produits de la mer d’origine japonaise.

Mais si le régime communiste chinois a régulièrement instrumentalisé l’histoire commune sino-japonaise dans ses campagnes à caractère nationaliste, le Japon n’est pas sa seule cible, tant s’en faut. C’est en fait l’ensemble de l’Occident qui est visé, en particulier les États-Unis régulièrement présentés par les médias d’État comme une puissance hégémonique qui menace l’équilibre planétaire.

Les difficultés économiques et sociales croissantes que la Chine traverse depuis ces dernières années ont encore avivé ces campagnes nationalistes orchestrées par les propagandistes du Parti communistes chinois. Comme ailleurs dans les régimes totalitaires, le but recherché par le PCC est de désigner l’Occident comme le véritable coupable de ces désordres intérieurs en détournant ainsi l’attention de l’opinion publique vers des prétendus ennemis extérieurs. Or l’on peut s’interroger si la réalité n’est pas inverse considérant la posture agressive adoptée par la Chine communiste et la montée du nationalisme dans ce pays depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012.

« Carte du nationalisme et de la victimisation »

Le nationalisme, dans l’histoire du PCC, a toujours été l’arme ultime du régime lorsque ce dernier faisait face à des difficultés intérieures et des défis extérieurs. Ces difficultés allant croissant, la question qui se pose est de savoir où mènera ce nationalisme de plus en plus exacerbé en Chine.

« Pékin met en œuvre une politique, interne comme étrangère, qui a tous les atours d’un impérialisme. Une Chine illusionniste ensuite, se jouant de nos sens, trompant notre logique, exploitant nos faiblesses par le truchement d’un attirail qui ne cesse de s’étendre et de se sophistiquer, soulignait récemment Paul Charon, directeur du domaine renseignement, anticipation et menaces hybrides à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire (IRSEM). L’empreinte de la Chine sur le monde, sa « puissance discursive » – pour reprendre un concept foucaldien dont le Parti s’est emparé –, sa capacité à bousculer l’ordre établi, à subvertir nos sociétés, nos valeurs, nos institutions l’érige sans doute en principal défi du monde occidental. »

Pour le sinologue britannique Bill Hayton, « le nationalisme est un hallucinogène à travers lequel les accrocs peuvent voir l’illusion d’une unicité, là où les autres ne voient que disjonctions et diversité. Avec un appui officiel à l’intérieur, et des soutiens inconditionnels à l’étranger, la version « chinoise » maintient sa domination sur les Tibétains, les Turcs, les Mongols, les Mandchous ou les Miaos à la fois dans l’historiographie et dans la politique. La question à laquelle le monde est confronté est de savoir si les dirigeants [de la Chine] ne vont pas dans la direction opposée à la chute en Occident des formes extrêmes de nationalismes : une descente le long de la voie sombre et familière qui conduit au fascisme. »

« Le système chinois de gouvernement à parti unique, et de plus en plus à un seul homme, se formule dans le jargon communiste ou nationaliste, mais s’enracine dans la théorie fasciste », écrivait le 14 janvier 2023 Ian Buruma, écrivain et journaliste néerlandais spécialiste de l’Asie, dans les colonnes du quotidien canadien La Presse.

« Xi Jinping, un dirigeant qui s’est lui-même hissé au rang de Mao Zedong, a édifié un culte de la personnalité autour de lui qui s’exhibe partout avec des portraits dans les espaces publics et privés, soulignait Melissa Chan, journaliste américaine d’origine chinoise, dans les colonnes du Washington Post le 31 janvier 2022. Cette propagande s’attache à vanter l‘histoire glorieuse de la Chine tout en diabolisant le traitement que lui ont réservé les puissances impériales occidentales, ceci pour permettre à Pékin de jouer la carte du nationalisme et de la victimisation. En tant qu’ancienne correspondante basée à Pékin maintenant en poste à Berlin, je trouve difficile d’ignorer à quel point la Chine d’aujourd’hui ressemble au passé de l’Allemagne. »

Comme ce fut le cas du Japon tout comme ailleurs dans le monde, un nationalisme exacerbé peut conduire à la guerre. Cette grave question se pose aujourd’hui dans le cas de la Chine et de ses relations de plus en plus explosives avec les États-Unis, avec en toile de fond Taïwan, le sujet au cœur de l’affrontement sino-américain.

Pour le sinologue Jean-Pierre Cabestan, « la dérive nationaliste est déjà à l’œuvre [en Chine] depuis 1989 et n’a fait que se renforcer depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Pour autant, je ne pense pas qu’elle va conduire jusqu’à une guerre, autour de Taïwan ou en mer de Chine du Sud, qui impliquerait les États-Unis. La société et le pouvoir chinois sont trop divisés sur cette question. »

Le risque d’un aventurisme militaire chinois

D’autre part, fait inédit depuis 1980 et donc à la fois singulier et inhabituel, la Chine a procédé mercredi 25 septembre au lancement d’un missile balistique intercontinental (ICBM) muni d’une ogive factice qui a parcouru plusieurs milliers de kilomètres au-dessus de l’océan Pacifique avant de tomber en mer à quelque 700 km de la Polynésie française. Ce missile, dont le lancement a été annoncé par les médias d’État chinois, « est tombé dans la zone prévue », s’est borné à expliquer le ministère chinois de la Défense pour qui il s’agissait d’un événement « de routine » dans le cadre d’activités « annuelles » et dont les pays concernés ont été informés à l’avance.

Ankit Panda, un expert des armes nucléaires au Carnegie Endowment for International Peace cité par la BBC, a décrit ce lancement comme sortant de l’ordinaire. « Sauf erreur de ma part, je pense que [ce lancement] est une première depuis longtemps […] et que [les Chinois] ne font pas cela de façon routinière ou annuelle », a-t-il souligné, précisant que cet événement avait, de ce fait, une signification particulière à destination tant de la population chinoise que du monde extérieur.

Pour Drew Thomson, chercheur associé de la Lee Kuan Yew School of Public Policy de Singapour, « le calendrier dit tout. L’annonce affirme que ce lancement ne vise aucun pays, mais il existe de fortes tensions entre la Chine et le Japon, les Philippines et à l’évidence des tensions constantes avec Taïwan. Ce lancement est un signal puissant pour intimider tout le monde. »

Le dernier lancement par la Chine d’un missile balistique intercontinental au-dessus des eaux internationales remonte à mai 1980. Il avait suivi une trajectoire de 9 070 km au-dessus du Pacifique. Généralement, ces essais se déroulent au-dessus du territoire chinois.

Si nombre d’experts militaires estiment que l’armée chinoise n’est pas encore prête pour une invasion de Taïwan qui serait de ce fait très risquée pour Pékin, tous les observateurs de la Chine ne partagent pas cet optimisme. D’autant que la « réunification » de Taïwan à la « mère-patrie » est ces dernières années régulièrement mise en avant par le Parti comme étant une « cause sacrée » pour le peuple chinois que personne dans le monde ne pourra empêcher.

Xi Jinping lui-même affirme régulièrement que Taïwan retournera sous la souveraineté de la Chine continentale tôt ou tard, par la force si besoin, précisant que cette « réunification » sera nécessairement réalisée au cours de la génération présente. Or si cette rhétorique est davantage un slogan politique utilisé à des fins de propagande qu’à des fins réellement d’ordre idéologique, les accents militaristes du régime chinois se sont nettement précisés depuis une décennie.

Le danger reste que Taïwan étant devenu dans la phraséologie officielle une question de légitimité indispensable pour un régime non élu qui en possède peu, un aventurisme militaire chinois en Asie de l’Est, y compris bien sûr à Taïwan, ne peut être exclu. Ce danger pourrait un jour devenir brutalement une réalité si la situation socio-politique en Chine devenue plus compliquée devait empirer et si la direction chinoise était tentée de trouver une fenêtre de tir pour passer à l’action à la faveur des conflits en cours au Moyen-Orient et en Ukraine, dans lesquels les États-Unis sont déjà fortement impliqués sur le plan militaire.

Pierre-Antoine Donnet