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lundi 12 août 2024

Le chef d’état-major des forces russes a-t-il perdu la main sur les opérations menées à Koursk ?

 

Dans son ordre du jour n°13, publié en avril 2022, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, avait insisté sur l’importance de la « franchise » et de la « loyauté » avant de souligner que les « chefs militaires russes [avaient] menti à leurs dirigeants politiques en leur laissant croire que l’efficacité opérationnelle » de leurs troupes « permettrait de remporter une victoire rapide en Ukraine ». Plus de deux ans après, le commandement russe en a-t-il tiré la leçon ?

Le 7 août, alors que l’armée ukrainienne venait de lancer une offensive dans la région de Koursk, le chef d’état-major des forces armées russes, le général Valéri Guérassimov, avait assuré que « l’avancée de l’ennemi en profondeur dans le territoire » avait « été stoppée par des frappes de l’aviation et de l’artillerie ». Toutefois, il savait que des combats étaient « toujours en cours dans les zones immédiatement adjacentes à la frontière ».

Quant au ministère russe de la Défense, il affirma que les pertes « ennemies » s’élevaient à « 660 militaire, 8 chars, 12 véhicules blindés de transport de troupe, 6 véhicules de combat d’infanterie et 55 véhicules blindés ». Et d’ajouter : « L’opération de destruction des unités des forces armées ukrainiennes se poursuit ».

Cinq jours plus tard, l’offensive lancée par Kiev est toujours en cours… Le 11 août, l’armée russe a même indiqué qu’elle venait de frapper les troupes ukrainiennes avec des missiles et de l’artillerie, tout en empêchant des « tentatives de percées » de « groupes mobiles de blindés » vers les localités de Tolpino, de Jouravli et d’Obchtchi Kolodez, situées à une trentaine de kilomètres de la frontière. Et d’après les données du renseignement en sources ouvertes [OSINT – Open Source Intelligence], la Russie aurait perdu le contrôle d’environ 500 km² de son territoire.

Les buts de cette opération ont été précisés par un haut responsable ukrainien sollicité par l’AFP. « L’objectif est d’étirer les positions de l’ennemi, de lui infliger des pertes maximales, de déstabiliser la situation en Russie […] et de transférer la guerre sur le territoire russe », a-t-il dit. Mais telle n’était pas l’intention initiale puisqu’il s’agissait d’abord de détourner les forces russes de la région de Donetsk, où les troupes ukrainiennes sont en difficulté.

Si, « au bout d’un certain temps », l’armée russe n’arrive pas à reprendre les territoires qu’elle a perdus à Koursk, alors ces derniers « pourront être utilisés à des fins politiques », comme par exemple, lors de négociations de paix », a expliqué ce responsable.

Par ailleurs, citant une source proche du Kremlin, l’agence Bloomberg a rapporté que le général Guérassimov s’est fait « surprendre » pour ne pas avoir tenu compte des avertissements du renseignement militaire, lequel aurait détecté le mouvement des forces ukrainiennes aux abords de la frontière. A-t-il jugé que l’Ukraine ne se risquerait pas à attaquer une puissance dotée de l’arme nucléaire ?

Quoi qu’il en soit, il n’est pas certain que le chef d’état-major des forces russes ait désormais son mot à dire sur la conduite des opérations dans la région de Koursk étant donné que, comme celles de Briansk et de Belgorod, elle a été placée sous « régime antiterroriste »… et non sous celui de la loi martiale.

Or, l’article 13 de la loi fédérale russe sur la lutte contre le terrorisme, en vigueur depuis 2006, précise que la conduite d’une opération antiterroriste revient à celui qui a pris l’initiative de la lancer. En l’occurrence, il s’agit du Comité national antiterroriste, dont le président n’est autre qu’Alexandre Bortnikov, le directeur du FSB, le service de sécurité intérieure. Homme de confiance du chef du Kremlin, Vladimir Poutine, il a notamment tenu un rôle déterminant lors de la mutinerie d’Evguéni Prigojine, le chef du groupe paramilitaire Wagner, en juin 2023.

Par ailleurs, l’article 9 de cette loi stipule que les « unités et formations des forces armées russes sont impliquées dans la conduite d’une opération antiterroriste » si celui qui la dirige le décide.

Pour autant, cela veut-il dire que la disgrâce du général Guérassimov est consommée ? Rien n’est moins sûr… Si plusieurs responsables militaires russes ont été relevés de leurs fonctions au cours de ces derniers mois [comme Sergueï Choïgou], il a toujours su conserver le poste qu’il occupe maintenant depuis 12 ans…

En outre, si le Kremlin a décidé de placer les trois régions frontalières sous « régime antiterroriste » plutôt que de décréter l’état de guerre ou la loi martiale, c’est parce qu’il chercherait à minimiser l’ampleur de l’invasion de l’armée ukrainienne et éviter ainsi, souligne une note de l’Institute for the Study of War [ISW], une « panique ou une réaction violente à l’intérieur » de la Russie.

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