L'homme arrêté en Allemagne est un Syrien de 26 ans dont la demande d'asile a été rejetée, mais qui a été admis provisoirement. Il est fortement soupçonné d'avoir tué trois personnes au couteau et d'en avoir blessé grièvement huit autres vendredi soir dans la ville allemande de Solingen. L'organisation terroriste «Etat islamique» (EI) a revendiqué l'attentat. Avant les faits, les autorités n'avaient pas connaissance des convictions extrémistes de cet homme.
Le cas s'inscrit dans une série d'attaques meurtrières perpétrées par des djihadistes en Europe de l'Ouest, et la Confédération n'est pas épargnée. En mars, un jeune Suisse de 15 ans d'origine tunisienne a gravement blessé un père de famille juif orthodoxe à Zurich avec un couteau acheté dans un magasin Migros. Par la suite, plusieurs adolescents ont été arrêtés pour des actes préparatoires en vue d'autres attaques.
La Suisse est-elle bien protégée contre le djihadisme violent? La semaine dernière, une interview du chef du service de renseignement Christian Dussey a attiré l'attention. Il s'est plaint du manque de personnel. Selon lui, la capacité de la Suisse à identifier et à prévenir les menaces s'est détériorée.
Quelle est la menace terroriste en Suisse?
Le service de renseignement de la Confédération considère depuis des années que le danger est élevé. Après l'incursion meurtrière en Israël par le Hamas en octobre dernier et les bombardements continus et indiscriminés sur la population civile palestinienne qui ont suivi, celui-ci s'est encore aggravé.
Une des raisons: l'«Etat islamique» (EI) a lancé au début de cette année une campagne de propagande internationale dans laquelle il appelle explicitement à des attentats en Europe. Le scénario le plus probable en Suisse est que des auteurs isolés ou des petits groupes inspirés par le djihadisme attaquent des cibles faiblement protégées avec des méthodes simples.
Combien de personnes sont considérées comme des menaces en Suisse?
Le service de renseignement a actuellement 47 personnes dites à risque sur son radar. Ce sont six de plus qu'en novembre dernier. Les personnes à risque sont celles qui présentent un risque terroriste élevé. En collaboration avec les cantons et d'autres autorités, le service de renseignement prend des mesures préventives, par exemple des entretiens avec des personnes considérées comme des menaces potentielles. Le SRC effectue ensuite un monitoring du djihad dans le cyberespace. Depuis 2012, il a enregistré 822 utilisateurs qui diffusaient des idées djihadistes ou se mettaient en réseau avec des personnes partageant les mêmes idées. En novembre dernier, ils étaient 43 de moins.
Comment la Suisse identifie-t-elle les menaces potentielles?
Les services de renseignement peuvent surveiller les lieux accessibles au public, y compris le cyberespace. Pour la prévention du terrorisme, ils ont la possibilité de mettre sur écoute les téléphones, de placer des micros dans des pièces ou d'accéder à des ordinateurs étrangers. Chaque année, ils échangent environ 20 000 informations avec des partenaires internationaux, ce qui leur a déjà permis de prévenir des attentats.
Les services partenaires utilisent des «agents virtuels». Le service de renseignement suisse développe actuellement un projet pour déployer ces agents virtuels afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de l'étranger. Ces agents seront chargés de collecter des données pertinentes sur les réseaux sociaux, selon une porte-parole des services de renseignement. Le nombre d'agents virtuels et le calendrier du projet n'ont pas été communiqués.
Une porte-parole précise qu'il ne réalise pas de surveillance exhaustive d'Internet:
«La couverture ne peut jamais être complète, et il y a toujours un risque qu'une menace ne soit pas détectée, en particulier pour les individus isolés.»
Par exemple, l'attentat de Zurich n'avait pas été repéré par les services de renseignement, bien que l'auteur ait attiré l'attention sur Instagram et X par ses sympathies envers l'Etat islamique.
Comment les jeunes se radicalisent-ils?
Un nombre particulièrement élevé de djihadistes arrêtés ces derniers mois sont des adolescents. Selon Frédéric Esposito, spécialiste de la lutte contre le terrorisme à l'Université de Genève, il n'existe pas de lieu unique de radicalisation. Chaque cas doit être examiné individuellement.
Les jeunes peuvent se radicaliser à travers les réseaux sociaux et/ou dans l'environnement des mosquées, mais il est généralement nécessaire d'avoir un contact dans le monde réel. Un phénomène nouveau est la radicalisation éclair. Selon Frédéric Esposito, les jeunes passent à l'acte après seulement quelques semaines de radicalisation, alors que ce processus prenait auparavant plus de temps. Souvent, les jeunes ne sont même pas véritablement membres de l'EI mais agissent symboliquement en son nom.
L'expert allemand en terrorisme, Peter R. Neumann, a déclaré dans une interview accordée à la NZZ qu'il s'agit souvent de personnes ayant des antécédents psychologiques. Il évoque les «terroristes TikTok» car de nombreux djihadistes arrêtés ces derniers mois en Europe de l'Ouest se seraient principalement radicalisés en ligne.
Les demandeurs d'asile à risque sont-ils expulsés?
Cette demande se fait régulièrement entendre en Allemagne. Le chancelier Olaf Scholz a même évoqué en juin dernier la possibilité de procéder à des expulsions vers l'Afghanistan et la Syrie, malgré la situation précaire en matière de droits de l'homme, après qu'un Afghan a tué un policier à Mannheim avec un couteau.
Et en Suisse? Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) indique que les demandeurs d'asile ayant commis des crimes graves (peine de prison d'au moins un an) ne reçoivent pas d'admission provisoire. Une décision d'expulsion est ordonnée dans de tels cas, y compris vers la Syrie et l'Afghanistan.
Cependant, les expulsions forcées vers ces deux pays ne sont actuellement pas possibles en raison de problèmes pratiques: il n'y a pas de compagnies aériennes disponibles garantissant la sécurité des policiers cantonaux suisses qui doivent accompagner les personnes expulsées. Le SEM précise qu'il réévalue constamment la situation et que les départs volontaires restent possibles à tout moment.
Noëline Flippe