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mardi 18 juin 2024

Frontières d’Afrique : ces territoires sans maître

 



Si le Sahara occidental, en attente de reconnaissance depuis 1975, incarne un différend frontalier connu, nombre de territoires du continent africain restent conflictuels, voire partagés entre différents États, à l’instar du triangle d’Ilemi, à cheval entre le Kenya (qui le contrôle de facto), le Soudan du Sud et l’Éthiopie. De plus, des dyades établies sont remises en question par des mouvements armés violant la souveraineté des pays.

Afrique regroupe de nombreux territoires contestés : certaines frontières terrestres issues des indépendances sont source de réclamations sur fond d’intérêts stratégiques et/ou économiques. Les limites maritimes ou liées à la gestion des fleuves ne sont pas à oublier. Or les enjeux pour la stabilité du continent sont importants, d’autant que les soucis de démarcation maintiennent des tensions géographiques et alimentent les revendications.

Un héritage colonial 

La majorité des frontières du continent est issue du tracé des empires coloniaux acté par la conférence de Berlin (février 1884-novembre 1885). Leur artificialité est souvent dénoncée comme étant à l’origine d’instabilités : absence de prise en compte de la géographie physique, méconnaissance des ethnies et imposition d’un modèle westphalien expliquent cette fragilité. Près de la moitié des frontières dessinées suivent les méridiens ou les parallèles, dont 30 % en lignes droites ou courbes, divisant des régions historiques ou des groupes culturels. En 1963, au lendemain des indépendances, plus de 30 000 kilomètres de frontières n’avaient pas fait l’objet de démarcation, alors que naissait l’Organisation de l’unité africaine (devenue Union africaine en 2002). Mais le principe d’intangibilité des frontières a été accepté à la conférence des non-alignés au Caire en octobre 1964, privilégiant des résolutions bilatérales ou l’intervention d’un tiers neutre, comme une instance internationale.

Entre 1963 et 2022, la Cour internationale de justice (CIJ) a statué sur huit dossiers en Afrique, tels que la bande d’Aozou (Tchad) en 1994 ou la péninsule de Bakassi (Cameroun) en 2002. Déposée en mars 2021, une affaire divise le Gabon et la Guinée équatoriale au sujet de leurs délimitations terrestres et maritimes, notamment sur la souveraineté des îles Mbanié, Cocotiers et Conga.

Par ailleurs, les sécessions ont été rares : à l’exception de l’Érythrée (1993) et du Soudan du Sud (2011), ni le Katanga (République démocratique du Congo) ni le Biafra (Nigeria) n’ont par exemple obtenu leur indépendance. Enfin, lorsque la dispute n’est pas héritée du départ des forces coloniales – chose souvent montrée sur les cartes par des pointillés –, à l’instar du triangle de Halayeb (Égypte-­Soudan) ou le Sahara occidental, d’autres naissent plus tard, avec la découverte de richesses naturelles, comme les hydrocarbures entre la Guinée équatoriale et le Gabon ou les zones poissonneuses entre le Kenya et la Somalie (différend résolu par la CIJ en 2021).

Géopolitique des frontières

Quatre grands enjeux de contestations peuvent être distingués : la gestion d’eaux fluviales en Afrique centrale ; la revendication de territoire selon l’exercice de souveraineté en Afrique de l’Est – le Soudan regroupe à lui seul six contestations (le saillant de Wadi Halfa ; les régions d’Abiyé, de Kafia Kingi et d’Heglig, les triangles de Halayeb et d’Al-­Fashaga) – ; des différends sporadiques sur une partie de dyade en Afrique de l’Ouest. Au Maghreb, le Sahara recoupe enjeux géopolitiques et historiques. Les espaces frontaliers sont ainsi à l’origine d’incidents : dans les deux dernières régions citées, 60 % des victimes d’événements violents se trouvent à moins de 100 kilomètres d’une frontière, notamment en raison de la présence de groupes armés transnationaux, tels les djihadistes. Plus on s’éloigne de ces territoires, plus le nombre de morts baisse (1).

Administré de facto par le Kenya, le triangle d’Ilemi est un cas intéressant à plus d’un titre (2). Si la situation est la conséquence de traités ambigus laissés par l’empire britannique, elle reflète l’importance des coutumes locales, la majorité des populations présentes étant nomades, bougeant selon leurs besoins pastoraux, alors que le territoire disputé est aride et ne présente aucune richesse énergétique connue. En juin 2019, le Kenya et le Soudan du Sud se sont accordés pour régler leur différend pacifiquement et travailler à un tracé. Juba est aussi en désaccord avec le Soudan au sujet d’Abiyé, région qui regroupe des problèmes de mouvements d’éleveurs et d’exploitation de ressources pétrolières. Plus au nord, Khartoum est pour sa part également en tensions avec Le Caire autour du triangle de Halayeb, occupé depuis 2000 par les forces égyptiennes.

Certains conflits concernent les anciennes puissances coloniales, rappelant qu’ils sont autant liés à l’exercice d’une souveraineté qu’à un bornage géographique inadéquat. Ainsi, le Maroc est toujours aux prises avec l’Espagne au sujet des villes de Melilla et de Ceuta, marquées par des installations de contrôle et de nombreux drames migratoires. Le Royaume-Uni est partie prenante dans la revendication de Maurice sur l’archipel des Chagos. La France est confrontée à des contestations territoriales avec Madagascar et les Comores pour ses possessions dans les îles Éparses. 

Notes

(1) OCDE, Frontières et conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest, mars 2022. 

(2) PAX, « The Ilemi Triangle : Understanding a pastoralist border area », mars 2022.

Camille Braccini

Laura Margueritte

Gaëlle Sutton

areion24.news