Emmanuel Macron peut être satisfait: sa réforme des retraites imposée aux forceps, et sans vote, par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, se retrouve au centre du jeu politique pour ces législatives. On connaît le pitch macroniste, répété par le président durant sa conférence de presse de campagne le 12 juin. Sans cette réforme promulguée le 14 avril 2023, qui reporte à 64 ans l’âge légal minimum de départ en retraite, les paiements des pensions ne seront plus assurés. Le déficit du système français est déjà programmé pour 2024: un trou de 5,8 milliards d’euros. Alors que le pays doit trouver 20 milliards d’euros d’économies dans le projet de loi de finances qui sera présenté à l’automne. Problème: cette équation est contestée. Et le grand slalom est à l’ordre du jour. Le Rassemblement national (RN), qui continue de promettre la retraite à 60 ans (pour ceux qui ont commencé leur carrière à 20 ans), jure qu’il le fera «plus tard». Le nouveau Front populaire, lui, y va au canon, proposant un retour à 62 ans immédiat.
Chômage, le déni
Les Français disposent du système d’indemnisation en cas de perte d’emploi le plus généreux au monde. Ils peuvent même, en cas de désaccord avec leur employeur, négocier une «rupture conventionnelle» qui leur permet d’empocher une indemnité acquittée par l’État, et de faire valoir leurs droits à l’assurance chômage. Problème: beaucoup ne comprennent pas pourquoi cette protection sociale est devenue insoutenable. Et pourquoi les entreprises, contraintes de payer des charges qui doublent dans les faits les salaires nominaux, n’augmentent pas les salaires. De nombreux experts soulignent aussi le fait qu’il s’agit d’un système d’assurance financé par des cotisations, pas d’une sortie nette d’argent des caisses de l’État. Ces législatives vont-elles conduire à l’abrogation de la réforme «d’activité et de prospérité» que l’actuel Premier ministre Gabriel Attal veut toujours faire adopter par décrets cet été (sans passer par un vote au parlement)? Le RN, comme l’union de la gauche, en fait une question prioritaire.
Impôt sur la fortune, le mirage
Cette proposition de rétablir un impôt sur la fortune est au cœur des programmes économiques du RN et du nouveau Front populaire. Les deux veulent remettre en cause son abrogation par Emmanuel Macron en 2018 (il existe toujours une taxe sur la rente immobilière), au nom de l’attractivité financière de la France. D’autres impôts «exceptionnels» sont évoqués, comme une taxe sur les superprofits, et des taxes spécifiques pour les «très riches». Au-delà du risque de voir ces deux formations politiques buter sur le «mur de l’argent», comme ce fut le cas pour l’union de la gauche en 1981 après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, la réalité des chiffres et des promesses passées est implacable. Lorsqu’il était en vigueur, l’impôt sur la fortune rapportait quatre milliards d’euros par an. Soit moins que le «trou» anticipé des caisses de retraite pour 2024, malgré la réforme. Un miracle? Non, un mirage.
Dette publique, la surenchère
La France est aujourd’hui endettée à hauteur de 112% de son produit intérieur brut (contre 60% pour l’Allemagne). Le montant de cette dette dépasse les 3100 milliards d’euros en 2024. Elle devra, ces quatre prochaines années, rembourser 245 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers. Lesquels continuent de lui prêter, malgré la dégradation récente de sa note par l’agence Standard and Poors, qui l’a ramené de AA à AA −, à l’instar de la République tchèque ou de l’Estonie. Or dans ce domaine, toutes les forces politiques en présence sont coupables. Emmanuel Macron d’abord, responsable de l’accroissement de 823 milliards d’euros de la dette entre 2017 et 2023, en sachant que cette période inclut la pandémie de Covid 19 et le «quoi qu’il en coûte» (240 milliards de fonds publics injectés dans l’économie). Le RN et l’union de la gauche ensuite, qui évitent toute mention de la dette et des risques qu’elle fait encourir au pays. Fait symbolique: c’est ce 19 juin que la Commission européenne doit lancer sa nouvelle procédure pour déficit excessif contre la France.
Euro, le flou
Le camp présidentiel français est, avec la droite traditionnelle et la gauche sociale démocrate, résolu à tout faire pour défendre la monnaie unique européenne. Aujourd’hui, le Rassemblement national et la France insoumise affirment aussi leur intention de ne pas remettre en cause l’euro. Soit. Mais que pensent-ils vraiment? Et que vont dire leurs candidats de cette devise que leurs électeurs rendent souvent responsables de tous leurs problèmes de pouvoir d’achat? Il est probable que la cheffe de la Banque centrale européenne, la française Christine Lagarde, se retrouvera sous pression si le Rassemblement national obtient une majorité de députés et désigne un Premier ministre. Emmanuel Macron restera le garant des Traités européens. Mais jusqu’à quand cette digue tiendra-t-elle?
Le penalty politique de Mbappé est-il raté ?
Et si les Bleus, engagés dans l’Euro de football en Allemagne (ils joueront leur premier match ce lundi contre l’Autriche), devenaient les ultimes remparts contre le chaos démocratique français? Trois d’entre eux ont, en tout cas, choisi de s’aventurer hors du stade, pour dribbler dans le champ politique. Ousmane Dembelé a appelé à voter. Markus Thuram, digne héritier de la fibre antiraciste de son père Lilian, a tiré un penalty contre le Rassemblement national (RN). Et Kylian Mbappé a fermé la marche d’un autre tir au but contre les «extrêmes». Bien joué? La partie est gagnée? Pas sûr du tout. La preuve est faite, par les sondages et les enquêtes d’opinion, que le vote radical est celui de la jeunesse. 34% des moins de trente ans votent Bardella. 20% jouent dans l’équipe de La France Insoumise (LFI). Le point à retenir: 35% des jeunes français se disent «anxieux» et «inquiets». Le match est tout, sauf terminé. Première prolongation: celle lancée par l'appel d'environ 200 sportifs contre l'extrême-droite ce lundi, dans le quotidien «L'Équipe».
François Hollande, la remontada
Il vient de rechausser les crampons. Et il aime ça. François Hollande, alias «Pépère» n’a pas seulement été président de la République entre 2012 et 2017, empêché de se représenter par le sprint électoral de son ministre nommé Macron. Il fut surtout député socialiste de la Corrèze de 1988 à 2012. Or voilà que le nouveau Front populaire lui offre une chance de retourner sur le terrain. L’intéressé ne s’est pas fait prier. A peine l’alliance des partis de gauche était-elle scellée que l’ex-locataire de l’Élysée a entamé ce qu’il espère être une «remontada». L’histoire a déjà parlé. Tous ceux qui prédisaient, jadis, la disparition pure et simple de l’ancien premier secrétaire du PS se sont trompés. Hollande joue en défense. Il est patient. Il garde le ballon. Serait-il le Didier Deschamps de la politique? Emmanuel Macron redoute en tout cas son jeu de jambes politique: l'actuelle majorité présidentielle a hésité à soutenir un candidat aux législatives contre ce président auquel il devait tout (jadis).
Jean-Luc Mélenchon, mauvais tacle
Mauvais tacle ou mauvais joueur? Les experts du football politique français apprécieront. Jean-Luc Mélenchon a choisi de rester en dehors de la pelouse. Mais il n’a pas renoncé à coacher son équipe et à faire tourner ses effectifs. Le voici mis en cause pour avoir écarté les députés sortants Alexis Corbière et Raquel Garrido, accusés d’avoir critiqué son management sportif. Le fondateur de LFI est, en plus, privé de son avant-centre préféré Adrien Quatennens, forcé de renoncer à se présenter dans sa circonscription du Nord, suite à sa condamnation pour violences conjugales en décembre 2022. Nombreux sont ceux qui portent, à gauche, la marque des crampons de Mélenchon, l’homme qui joue les tibias plutôt que le ballon.
Marine Le Pen, remplaçante
Elle n’est pas encore sur le banc de touche. Marine Le Pen est bien sûr en lice dans sa circonscription nordiste d’Hénin-Beaumont, l’une des mairies symboles du Rassemblement national, dans ces terres ouvrières jadis contrôlées par le PS et le PC. Sa réélection ne fait guère de doute. Et pourtant: une impression commence à s’installer. Et si la candidate déclarée à la présidentielle de 2027 (après trois candidatures en 2012, 2017 et 2022) décidait de laisser sa pole position à Jordan Bardella, auréolé de ses 32% aux élections européennes? Et si la capitaine de l’équipe nationale populiste décidait d’elle-même de migrer vers le banc des remplaçants? Il faut dire que l’arbitre la surveille de près. En septembre, son procès dans l’affaire des emplois fictifs du RN au Parlement européen pourrait se conclure par une peine d’inéligibilité.
Yaël Braun-Pivet, carton jaune
La présidente sortante de l’Assemblée nationale, de nouveau candidate pour le camp macroniste dans les Yvelines, ferait mieux de surveiller ses dribbles. Yaël Braun-Pivet sort en effet essorée de ses deux années à s’efforcer de présider l’hémicycle où la «bordellisation» de la vie politique a fini par s’imposer. L’intéressée, avocate de formation, est à la fois talentueuse et pugnace. Sa force est de s’être imposée à Emmanuel Macron, qui ne la voyait pas accéder au «perchoir». Elle sait toutefois qu’elle n’aura pas droit à la faute. Consultée par le président sur la dissolution de l’Assemblée, elle a dû exiger une entrevue en aparté. Preuve que pour ce dernier, sa sortie du terrain n’est pas exclue. «Jupiter» garde son carton rouge en poche.
Richard Werly