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dimanche 23 juin 2024

En signant un pacte de défense mutuelle, la Russie et la Corée du Nord ressuscitent l’esprit de la Guerre froide

 

En 1961, l’Union soviétique et la Corée du Nord signèrent, selon les mots de Nikita Khrouchtchev, un « traité d’amitié, de collaboration et d’assistance mutuelle », comportant un volet militaire. Mais pas seulement puisqu’il permit l’installation d’un réacteur nucléaire à Yongbyon, dédiée à la recherche nucléaire.

Conclu pour une période initiale de dix ans, ce pacte devait être renouvelé par tacite reconduction tous les cinq ans. Finalement, il prit fin avec l’implosion de l’Union soviétique, en 1991. Durant les années suivantes, alors que la Chine et la Corée du Sud normalisaient leurs relations, la Corée du Nord fut plongée dans de graves difficultés économiques, au point qu’elle dut se résoudre à solliciter de l’aide alimentaire auprès de pays étrangers… et à accepter celle proposée par les États-Unis.

Puis, à la fin des années 1990, Séoul mit en œuvre la politique dite du « rayon de soleil », avec l’objectif d’adoucir l’attitude de Pyongyang à son égard en adoptant une approche conciliante. Les États-Unis s’étaient engagés dans une voie similaire, avec l’idée de geler le programme nucléaire nord-coréen à vocation militaire en échange de réacteurs civils à eau légère et de la livraison 500’000 tonnes de fioul par an.

Seulement, ces tentatives pour amadouer Pyongyang se révélèrent vaines. En 1998, sous couvert de mettre en orbite le satellite Kwangmyŏngsŏng-1, la Corée du Nord lança un missile Taepodong-1 qui survola le Japon. Et, huit ans plus tard, elle procéda à son premier essai nucléaire, dans le cadre d’un programme mené clandestinement. Cinq autres suivront, le dernier ayant été réalisé en septembre 2017.

Pour ses activités nucléaires et le développement de missiles balistiques intercontinentaux, la Corée du Nord fait encore l’objet de sanctions internationales votées à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies. Sanctions théoriques puisqu’elles sont allègrement contournées par Pyongyang…

Jusqu’en mars dernier, un groupe d’experts de l’ONU était chargé de publier un rapport sur l’application des sanctions visant la Corée du Nord. Mais il est désormais dissous après que la Russie a mis son veto à la poursuite de ses activités, la Chine ayant préféré s’abstenir. Cela étant, une telle issue était prévisible dans la mesure où Pyongyang aide Moscou dans son effort de guerre en Ukraine : elle lui aurait déjà livré entre 10’000 et 12’000 conteneurs de munitions, dont des obus d’artillerie et des missiles.

Cette coopération entre les deux pays avait été formalisée durant l’été 2023, le chef du régime nord-coréen, Kim Jong-un, s’étant rendu en Russie pour une visite officielle de cinq jours, après avoir évoqué, quelques semaines plus tôt, l’établissement d’une « relation stratégique ». Par la suite, les échanges entre Moscou et Pyongyang se sont intensifiés. Et, le 19 juin, ce que certains observateurs occidentaux craignaient a fini par se produire.

En effet, comme en 1961, à l’occasion d’une visite officielle de M. Poutine à Pyongyang, la Russie et la Corée du Nord ont signé un « traité pour un partenariat global » prévoyant, entre autres, une assistance mutuelle en cas « d’agression » de l’une ou l’autre des parties.

« La Russie et la [République populaire démocratique de] Corée mènent toutes deux une politique étrangère indépendante et n’acceptent pas le langage du chantage et du diktat », a commenté le chef du Kremlin, en qualifiant cet accord de « révolutionnaire ». Et d’ajouter que Moscou « n’excluait pas une coopération militaro-technique » avec Pyongyang.

De son côté, Kim Jong-un a salué une « nouvelle ère » dans les relations de son pays avec la Russie… et exprimé « son entier soutien et sa solidarité au gouvernement, à l’armée et au peuple russes dans la conduite de ‘l’opération militaire spéciale’ en Ukraine pour protéger la souveraineté, les intérêts de sécurité et l’intégrité territoriale ».

Ce pacte entre Moscou et Pyongyang marque effectivement une « nouvelle ère ». Ou, plutôt, un retour de soixante-trois ans en arrière. Quelles seront les conséquences ? Faut-il s’attendre à ce que l’armée nord-coréenne vienne en appui de son homologue russe pour l’aider à contrer les attaques ukrainiennes ? La Corée du Sud doit-elle redouter l’infiltration d’agents subversifs et de commandos sur son territoire, comme cela fut le cas après la signature du « traité d’amitié » avec l’URSS en 1961 ?

En attendant, les autorités sud-coréennes ont réagi sur le terrain diplomatique, en convoquant l’ambassadeur de Russie en Corée du Sud. Et elles ont demandé à Moscou de « cesser immédiatement toute coopération militaire avec Pyongyang et de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité ».

« Violer les résolutions du Conseil de sécurité et soutenir la Corée du Nord portera atteinte à notre sécurité et aura inévitablement un impact négatif sur les relations entre la Corée du Sud et la Russie », a prévenu Kim Hong-kyun, le vice-ministre sud-coréen des Affaires étrangères.

Par ailleurs, et comme cette demande n’a aucune chance d’être accueillie favorablement, le gouvernement sud-coréen a fait savoir qu’il allait « reconsidérer la question de la fourniture d’armes à l’Ukraine » alors que, jusqu’à présent, il s’interdit de vendre directement des armes susceptibles d’être employées dans un conflit en cours.

Chars K2 « Black Panther », obusiers K9 « Thunder », capacité de production d’obus de 155 mm élevée, etc. Étant donné que son industrie de l’armement est particulièrement performante, la Corée du Sud est susceptible de fournir une aide de qualité, qui plus est substantielle, à l’Ukraine. Aussi, la réaction de M. Poutine ne s’est pas fait attendre.

« La fourniture d’armes à la ‘zone de combat’ en Ukraine serait une très grave erreur. J’espère que cela n’arrivera pas. Si cela se produit, alors nous prendrons nous aussi des décisions appropriées qui ne plairont probablement pas aux dirigeants actuels de la Corée du Sud », a-t-il dit, en marge d’une visite d’État au Vietnam.

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