Bien qu’elles ne donnent pas le sentiment d’avancer très vite, malgré les indices recueillis, les différentes enquêtes sur le sabotage qui a endommagé, en septembre dernier, les gazoducs NordStream1 et NordStream 2, ont connu cependant plusieurs rebondissements… Au point de brouiller les pistes.
D’abord, mise sur le banc des accusés, la Russie, qui exploitait alors ses conduites pour acheminer son gaz vers l’Allemagne via la mer Baltique, réfuta toute responsabilité… avant de pointer le rôle des forces spéciales britanniques, sans avancer la moindre preuve de ses allégations.
Puis, en décembre, s’appuyant sur les confidences de responsables occidentaux, le Washington Post rapporta que rien ne permettait de lier de « manière concluante » Moscou au sabotage de ces gazoducs. Et le quotidien d’ajouter : « Les analystes n’ont pas entendu ou lu de déclarations de la partie russe s’attribuant le mérite ou suggérant qu’ils essayaient de dissimuler leur implication ».
Ce que confirmera Peter Frank, le procureur général chargé de l’enquête allemande, dans les colonnes du Welt am Sonntag, en février dernier. » Les enquêteurs [allemands] n’ont actuellement aucune preuve que la Russie soit derrière les explosions des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Cela ne peut pas être prouvé pour le moment, les enquêtes continuent », avait-il alors confié. « Nous évaluons actuellement tout cela de manière médico-légale. La Suède et le Danemark mènent leurs propres investigations, mais nous sommes en contact, avait-il assuré.
Auparavant, l’agence Reuters avait évoqué une mission réalisée par un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon de l’US Navy le jour où les explosions ont endommagé les deux gazoducs. Et cet appareil aurait coupé son transpondeur pendant près de trois heures, avant de le rallumer alors qu’il survolait de nouveau l’endroit où fut signalé la première fuite de gaz. Sollicitée, la marine américaine confirma ce vol… mais refusa d’en dire plus.
Dans le même temps, le magazine Wired se fit l’écho de recherches menées par l’entreprise américaine SpaceKnow, spécialiste de l’analyse des données satellitaires.
Ainsi, en étudiant les images prises par différents satellites au-dessus de la Baltique pendant les 90 jours ayant précédés le sabotage, celle-ci détermina que 25 navires étaient présents dans le secteur au moment des faits, dont deux avaient désactivés leur système d’identification automatique [AIS], pourtant obligatoire pour les bateaux civils. « Ils avaient leurs balises éteintes, ce qui signifie qu’il n’y avait aucune information sur leur présence et qu’ils essayaient de dissimuler leurs informations de localisation », commenta Jerry Javornicky, Pdg et cofondateur de SpaceKnow. Le résultat de cette recherche fut transmis à l’Otan.
En février, le journaliste d’investigation Seymour Hersh accusé les États-Unis et la Norvège d’être à l’origine du sabotage des deux gazoducs. Et d’affirmer que les explosifs auraient été fixés sur ces conduites à la faveur d’un exercice de l’Otan. Ces thèses fit le miel de Moscou, qui demanda la création d’une commission d’enquête internationale au Conseil de sécurité des Nations unies… Ce qui lui fut refusé.
Un mois plus tard, l’affaire prit un nouveau tournant avec les « révélations » du New York Times. Ainsi, selon des « renseignements » obtenus par les autorités américaines, le quotidien avança qu’un groupe « pro-Ukraine » était probablement l’auteur du sabotage. Celui-ci, composé de six personnes, aurait utilisé un yacht – l’Andromeda – pour déposer des explosifs sur les gazoducs. Seulement, beaucoup d’aspects dans ce récit n’étaient pas crédible, à commencer par celui concernant le navire utilisé, visiblement pas de taille pour mener une telle opération.
D’ailleurs, début avril, la Suède écarta cette hypothèse en affirmant qu’un État était derrière le sabotage de NordStream 1 et NordStream 2. Mais « c’est une affaire complexe », estima le parquet suédois.
En outre, quelques jours plus tôt, le Danemark avait dit avoir invité l’opérateur russe des gazoducs à participer à une opération consistant à récupérer et à identifier un « objet tubulaire d’environ 40 cm de long et de 10 cm de diamètre » retrouvé intact près de l’une des conduites lors d’une inspection.
On en était donc là quand, ce 28 avril, le quoditien danois « Information » a révélé que le navire SS-750, utilisé comme comme ravitailleur de sous-marins par la marine russe, était présent non loin des lieux où les gazoducs furent sabotés, peu avant les explosions.
Les forces danoises ont « confirmé que 26 images du navire russe avaient été prises à partir d’un patrouilleur danois dans la zone située à l’est de Bornholm le 22 septembre 2022 », soit quatre jours avant les explosions, avance en effet le journal.
Plus précisément, la défense danoise disposerait de 112 photographies de navires russes présents dans la région en septembre dernier. Et 26 permettraient d’identifier le SS-750, lequel est équipé d’un mini-sous-marin AS-26. Selon « Information », ces clichés n’ont pas vocation à être publiés, car « classés top secret ».
Sollicité par l’AFP, le procureur suédois chargé de l’enquête, Mats Ljungqvist, a dit avoir eu « connaissance de cette information ». Cependant, a-t-il ajouté, « sur son importance concernant les investigations, je ne peux pas faire de commentaire car l’enquête préliminaire est conditionnelle ».
Quoi qu’il en soit, si elle est confirmée, la présence du SS-750 près des deux gazoducs peu avant leur sabotage constitue un élément intéressant. Pour autant, et selon les experts cités par le Washigton Post en décembre dernier, « différents acteurs auraient pu réussir l’attaque » étant donné la profondeur relativement faible des deux conduites endommagées.