Né à Moscou en avril 1961, Sergueï Jirnov est un ancien élève de l’Institut du drapeau rouge, une école secrète du KGB. Il s’est exilé en France après avoir divulgué des secrets d’État en Russie. Bien loin des clichés à la James Bond, le Moscovite raconte, au micro de Jean-Marc Panis dans Un Jour dans l’Histoire, sa vie d’ex-espion soviétique, tout en analysant la psychologie de Poutine, avec qui il a travaillé au KGB.
Aujourd’hui installé en France, journaliste et auteur, Sergueï Olegovitch Jirnov évoque dans ce premier épisode, sa jeunesse dans l’ex-Union soviétique : "Je suis né à Moscou en 1961, en pleine guerre froide, sous Khrouchtchev qui était secrétaire général. À 5000 km de là, des complotistes sont envoyés par la CIA à Cuba pour renverser Fidel Castro. C’est aussi l’année où le mur de Berlin a été construit. Mes parents, en tant qu’ingénieurs, ont été privilégiés et vivaient dans une cage dorée au sein du régime soviétique".
Une enfance heureuse et paisible pour le jeune Sergueï qui grandit dans une petite ville entre campagne et forêt, entre activités sportives et lectures interdites venues du monde entier.
Enfant, Sergueï Olegovitch Jirnov suit le cursus du "parfait petit soviétique"
A partir de sept ans jusqu’à l’âge adulte, Sergueï Olegovitch Jirnov va suivre le cursus du 'parfait soviétique' en entrant successivement dans trois organisations de la jeunesse : "De sept à neuf ans, j’étais le petit Enfant d’Octobre, une organisation politique où l’on vous donne une petite étoile rouge avec la photo de Lénine. Ensuite le Mouvement des Pionniers et enfin à quatorze ans, le Komsomol où l’on m’a choisi pour diriger la deuxième. Je suis devenu Colonel devant m’occuper de 1400 enfants et cela m’a ouvert la voie royale pour la suite".
Sergueï Olegovitch Jirnov apprend l’anglais à 12 ans et en tant que lauréat du concours, il entre directement dans la base de données du KGB : "Ils vous repèrent d’abord et mènent une enquête sur votre cursus depuis votre école primaire. Ils choisissent des gens qui résistent bien au stress ce qui était mon cas. Au KGB, ils n’aiment pas trop les gens qui se présentent d’eux-mêmes. C’est pourquoi Poutine a été refusé lorsqu’il s’est présenté à seize ans".
Deux rencontres avec Vladimir Poutine
En 1979, à 18 ans, Sergueï Olegovitch Jirnov entre dans le vivier où le KGB va puiser ses élites, le prestigieux MGIMO Institut de relations internationales pour le ministère des affaires étrangères et plus secrètement à la GRU, le service de renseignement de l’armée russe : "Je suis entré à l’école du KGB en 79, l’année où l’Union soviétique envahit l’Afghanistan. En 1980, boycott des Américains aux J.O. de Moscou, mais la France est présente. Au téléphone pour mon travail de guide, je converse avec un français durant deux heures, ce qui a paru suspect. Je suis alors emmené à un interrogatoire du KGB mené par… Vladimir Poutine, capitaine à l’époque. Quatre ans plus tard, on se retrouve pour une scène assez brève : on se reconnaît. Lui, cela fait neuf ans qu’il est au KGB, moi je sors du MGIMO. On entre ensemble à l’Institut du drapeau rouge ou Institut Andropov qui forme les futurs espions qui iront travailler à l’étranger. Je comprends dans son regard qu’il se dit qu’il a perdu neuf ans par rapport à moi".
Au QG de l’état-major du service de renseignements extérieurs
Après trois années d’études, Sergueï Jirnov se retrouve au QG de l’état-major du Service de Renseignements Extérieurs dans un bureau au dernier étage d’un bâtiment de 20 étages, Département géographique n°4 : "Vous croyez qu’après trois ans d’études d’espion, vous êtes envoyé en Europe avec des gadgets, pas du tout ! J’étais sous la direction Est, celle des illégaux, une sous-branche de la direction générale. C’est le service le plus petit et le plus secret car 98% des espions envoyés à l’étranger sont des légaux. L’Ambassade russe à Bruxelles ou la représentation russe auprès de l’OTAN, ce sont des organismes officiels russes que les espions utilisent comme couvertures légales car le panneau URSS est visible. Les illégaux parlent une langue étrangère et peuvent se faire passer pour des locaux. La division n°4 s’occupait de tout le continent américain, le principal vu que notre ennemi n°1, c’était les États-Unis".
Sergueï Jirnov avec d’autres, assure la logistique de tous les indics sur le terrain qui eux, envoient les informations recueillies.
L’espionnage n’est pas une Jamesbonderie
"Quand on est espion, on apprend à tirer et on fait un petit stage commando puis on passe au métier de recueil d’informations. Un peu comme d’être journaliste, mais l’information est secrète et je peux utiliser des méthodes de menaces, d’empoisonnement, voire la torture…" explique Sergueï Jirnov.
Lunettes caméra photographique, stylo scanner, pierre creuse où l’on cache des pellicules sont quelques-uns des gadgets employés non pas pour les espions en Russie, mais pour les sources présentes sur le terrain. Pour assurer le contrôle des opérations, Sergueï Jirnov, comme d’autres, passe son temps à écrire des papiers interminables. L’ennui le gagne. En 1988, il se fait détacher et revient à ses premières amours : le monde francophone.
"Ma plus grande mission a été d’infiltrer l’ENA à Paris. En 1991, je suis à Paris, boursier de l’ENA. Je suis réputé être un brillant journaliste soviétique. Tout est parfait mais tout s’écroule. Octobre 1991, Gorbatchev interdit le KGB puis Eltsine fait interdire le parti communiste. Décembre 1991, l’URSS disparaît. La Fédération de Russie devient la plus grosse partie de l’Union soviétique. Elle récupère ses armes nucléaires, son siège aux Nations Unies et le service d’espionnage. Le KGB qui travaillait pour le parti communiste ne sait plus pour qui il travaille et craint la débâcle. Je suis peut-être le seul à m’en réjouir car j’y vois la source d’être libéré de tous les contrats que j’ai signés avec eux".
Poutine le traître qui deviendra Président
À cette époque, Poutine est à Saint-Pétersbourg et selon Sergueï Jirnov, il aurait en tant qu’officier supérieur du KGB, dû prendre ses armes pour le défendre activement :
Lui et d’autres sont devenus des oligarques à la tête d’un État capitaliste, l’antithèse du parti communiste.
Grâce à ses études, Sergueï Jirnov commence à travailler en tant que conseiller international pour divers organismes entre la France, la Suisse et la Russie. "Je vis dans l’avion pendant quelques années et pour moi tout va bien. Le problème est que Primakov qui dirige le service d’espionnage, devient d’abord ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre. Il a le potentiel de devenir le numéro un de la Russie. Les oligarques n’en veulent pas et décident de prendre une marionnette à la place d’Eltsine : Poutine. Il a de la chance car il a raté complètement la première partie de sa vie. Mais à partir de 1990, il rentre d’abord comme porteur de valises au nouveau maire de Moscou, puis est propulsé dans l’administration présidentielle, devient directeur du FSB, le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie, puis Premier ministre et enfin Président".
En 96, Sergueï Jirnov est conseiller pour le service médical pour la Présidence de Russie et est au courant du plus grand secret d’État de l’époque à savoir qu’Eltsine est mourant et a besoin d’une opération du cœur en Suisse : "En tant qu’électron libre et étant sur le terrain, les Services essaient de me récupérer. Une lutte interne s’installe. Ils font pression sur moi et je décide 'd’entrer dans la lumière'. Je fais un procès pour récupérer mon diplôme ! Ça m’a brouillé avec mon ancien service et la Présidence. En 2001, je subis une tentative d’empoisonnement, je comprends le signal et décide de quitter la Russie et de fuir en France en demandant l’asile politique en 2002. C’est mon deuxième pays, celui où j’y ai plus d’amis qu’en Russie".
Le regard peu rassurant de Sergueï Jirnov sur l’irrationalité de Poutine
Selon Sergueï Jirnov, Poutine a perdu contact avec le réel et n’est plus rationnel du tout : "Il l’était, mais il joue les fous. C’est une façon qu’il a héritée des bas-fonds dans lesquels il a vécu quand il était petit enfant. Chétif, petit de taille, il a appris à s’imposer par des moyens psychologiques comme celui de passer pour un fou et d’être craint des gens qui sont rationnels. Il a dépassé une ligne rouge. Il est devenu vraiment irrationnel et s’est construit un monde virtuel où il est enfermé comme dans une bulle. Il vit dans un monde complètement imaginaire mais le bouton rouge, réel, est à sa portée. C’est là le principal danger".