Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 26 avril 2023

L'éthique, angle mort du renseignement français ?

 

La France va doubler le budget de ses services de renseignements, mais il y a un angle mort qui commence à attirer l’attention.

C’est un petit livre paru le mois dernier aux Presses Universitaires de France et qui n’est pas passé inaperçu chez les militaires : Pour une éthique du renseignement, c’est un manifeste rédigé par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, ex-directeur de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, ambassadeur et membre du comité d'éthique de la Défense. Quelqu’un de la Maison donc, qui se demande jusqu’où aller pour avoir une information?

Or la réponse donnée par les autorités à cette question est pour l’instant: “on y va franco”, c’est open-bar

Alors que les Jeux Olympiques de Paris verront l’installation dans la capitale de caméras au logiciel particulièrement intrusif, déjà testées en Chine ou en Arabie Saoudite, les limites légales et morales à cette collecte massive d’informations sont vagues, pour ne pas dire quasi-inexistantes.

Voici d’autres questions, recensées par l’auteur : Doit-on employer la torture si elle peut être efficace? Pourquoi enregistrer en masse des conversations téléphoniques de citoyens parfaitement innocents dans un vague but préemptif ? Est-il légitime d’exercer un chantage sexuel sur une source pour avoir des informations ? Questions sans réponse officielle… Par contre, à la grande question, “l’activité d’espionnage peut-elle être éthique”, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer répond que la question est fausse : dès lors qu’il s’agit d’un intérêt public financé par le public, son évaluation éthique est obligatoire.

Elle l’est en effet dans d’autres démocraties occidentales. Mais alors que la France va augmenter de 60 % le budget de ses services de renseignement dans le cadre de nouvelle loi de programmation militaire, on ne peut que constater que l'éthique reste son angle mort.

Quelle serait la raison de cette exception française ?

La réponse à cette question se cache dans un autre ouvrage, excellent aussi mais beaucoup moins court, comme il s’agit d’un effort éditorial de longue haleine du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, huit volumes retraçant l' “Histoire mondiale du renseignement”. Dirigés par Eric Denécé et rédigés par des dizaines de chercheurs, militaires et historiens français, les ouvrages déjà publiés, de La guerre des Gaules à l’affaire Dreyfus, documentent l’incompréhension des élites françaises face au rôle du renseignement dans leurs décisions.

La démarche du renseignement, après tout, est l’expression d’une volonté de maîtrise de son destin. Pour les élites françaises, tout ceci est un peu vulgaire, contraire à notre esprit chevaleresque. Il semblerait que même avec le double du budget, nous allons continuer à espionner à tort et à travers, il faut juste ne pas trop en parler.

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