Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 9 février 2023

«Donnez-nous des ailes!»



 

Vêtu de son habituel pull et pantalon vert militaire, Volodymyr Zelensky arrive sur l’estrade de la halle de Westminster sous les applaudissements des parlementaires britanniques, qui se pressent debout sous les arches boisées de cette salle vieille de 900 ans. La voix rauque et les traits tirés, il oublie parfois de parler dans le micro, perd par moments le fil de sa pensée. Mais le ton est combatif. «Londres se tient aux côtés de Kiev depuis le tout premier jour de l’invasion russe, déclare-t-il. Vous nous avez tendu la main alors que le reste du monde ne savait pas encore comment réagir.»

S’adressant à l’ex-premier ministre Boris Johnson, il le remercie pour son soutien: «Vous êtes parvenu à unir les autres, alors que cela semblait absolument impossible, lui lance-t-il. Vous avez démontré votre force de caractère. Vous n’avez pas transigé sur vos idéaux.» Muni de son habituelle bonhomie, Boris Johnson, qui l’écoute dans l’assemblée, prend soudain un air solennel et ému.

Mais le président ukrainien n’en oublie pas pour autant son hôte, l’actuel premier ministre Rishi Sunak, saluant «le puissant régime de sanctions mis en place» qui empêche la Russie de financer son effort de guerre et la formation fournie à quelque 10 000 de ses troupes par l’armée britannique. Les soldats ukrainiens apprennent notamment à manier les tanks Challenger. Le Royaume-Uni en a promis 14 à Kiev.

Un casque en cadeau

Laissant de côté les louanges, il passe alors aux choses sérieuses. «La bataille continue de faire rage, rappelle-t-il. Chaque jour, nous en payons le prix avec les vies de nos gens.» Le pays a besoin de missiles de longue portée «pour détruire les têtes de pont russes qui se terrent au fond des territoires occupés».

Plus crucialement, il lui faut des avions de combat pour déloger les troupes russes de l’est du pays. Actuellement, les pilotes ukrainiens volent sur des MiG-29 et des Su-27 datant de l’ère soviétique. Pour appuyer son propos, le président ukrainien a offert aux Britanniques le casque de l’un de ses meilleurs pilotes, orné de la mention «Nous avons la liberté, donnez-nous des ailes pour la protéger».

Cette demande se trouve au cœur de la visite de Volodymyr Zelensky à Londres. Alors que sur le terrain aucune des deux parties n’a réalisé d’avancées significatives durant l’hiver, la Russie a commencé à masser des troupes dans le Donbass, en prévision d’une offensive de printemps. Si l’Ukraine n’obtient pas rapidement les tanks qui lui ont été promis, ainsi que des avions de combat modernes et des missiles de longue portée, elle n’a aucune chance de reprendre la main sur son agresseur.

Visite royale

Il ne s’agit que de la seconde visite à l’étranger du président ukrainien depuis le début de l’offensive russe il y a près d’un an, après les Etats-Unis en décembre. Après avoir délivré son discours devant les parlementaires, il a eu une audience avec le roi Charles III, au palais de Buckingham, puis s’est rendu en hélicoptère au sud-ouest du pays pour observer la formation des troupes ukrainiennes par l’armée britannique.

Infatigable, Volodymyr Zelensky a par ailleurs rencontré plus tard dans la soirée à Paris le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz pour un dîner de travail à l’Elysée. Il y a réitéré ses demandes d'«armement lourd de longue portée» et d'avions de chasse. Il est également attendu ce jeudi à Bruxelles, où il devrait s’adresser au Parlement européen et participer à un sommet des dirigeants de l’UE.

En choisissant de se rendre à Londres en premier, il risque de froisser quelques esprits sur le continent, mais il souligne surtout la bonne entente entre les deux pays. Le Royaume-Uni, qui forme des troupes ukrainiennes depuis l’offensive russe de 2014 déjà, a fourni 2,3 milliards de livres à l’effort de guerre et a été le premier pays a promettre des tanks à l’Ukraine mi-janvier, alors que l’Allemagne et les Etats-Unis ont passé des semaines à tergiverser avant de lui emboîter le pas.

Londres – autrefois surnommée «Londongrad» en raison des nombreux oligarques qui avaient un pied-à-terre dans la capitale britannique – a également gelé 18 milliards de livres de fonds russes et sanctionné des milliers d’individus. Mercredi, le Royaume-Uni a placé 14 autres entités sur sa liste de sanctions, dont des firmes qui fabriquent des drones et des pièces pour les hélicoptères de combat. Rishi Sunak a indiqué que les fonds saisis seraient placés dans une fondation pour financer la reconstruction de l’Ukraine.

Le premier ministre britannique, qui s’est rendu à Kiev en novembre, a également annoncé que son armée allait commencer à former des marines et des pilotes ukrainiens, dès ce printemps. Ils apprendront notamment à manier des avions de chasse sophistiqués tels que ceux utilisés par les forces de l’OTAN.

A l’issue de sa visite aux troupes ukrainiennes, Rishi Sunak a laissé la porte ouverte à une livraison d’avions de chasse britanniques à l’Ukraine, comme Volodymyr Zelensky le réclame, devenant le premier pays à s’avancer sur ce terrain. «Rien n’est exclu», a-t-il estimé. Le ministre de la Défense, Ben Wallace, étudie «activement» la question, a précisé un porte-parole. L’ambassade russe à Londres a aussitôt réagi en estimant qu’un tel geste génèrerait «une réponse» et une escalade avec de graves conséquences militaires et politiques à l’échelle mondiale.

Julie Zaugg

letemps.ch