Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 9 février 2023

La DGSE recrute 1.000 personnes en 2023, et pas que des espions…

 

« Restez discret sur votre candidature. » Ici, il n'est pas question de crier sur les toits lorsque l'on envoie un CV, ou que l'on passe un entretien. Au contraire, la retenue est de mise. Autant le savoir tout de suite, car cette leçon sera vitale pour la suite. Le recruteur dont nous allons vous parler n'est pas tout à fait comme les autres : il s'agit de la Direction générale de la sécurité extérieure, plus connue sous le sigle « DGSE ».

Pour rencontrer nos interlocuteurs, nous devons montrer patte blanche. Rendez-vous au fameux boulevard Mortier, Paris 20e, locaux historiques de la sécurité extérieure, qui les quittera en 2028 pour rejoindre son futur siège à Vincennes. Téléphones, écouteurs Bluetooth et montres connectées sont interdits au-delà de l'accueil, tout est consigné. Une « digital detox » obligatoire, bien évidemment nécessaire compte tenu du lieu où nous nous trouvons.

1.000 postes en 2023

La DGSE, montrée notamment dans la célèbre série de Canal+ « Le Bureau des Légendes », est en effet le service secret français. « Nous agissons partout dans le monde pour vous protéger, mais pour notre sécurité à tous, vous n'en saurez jamais rien », écrit-elle en guise d'introduction sur son site. De quoi alimenter bien des fantasmes. Et surtout de quoi faire rêver certains candidats, attirés par cet employeur hors du commun.

Justement, bonne nouvelle pour ces derniers : la DGSE recrute ! L'an dernier, près de 900 nouveaux employés, dont 200 ingénieurs, ont rejoint ses rangs. « En 2023, nous prévoyons 1.000 recrutements, et ce rythme va se maintenir jusqu'à 2025 », relève Antoine, directeur de l'administration, précisant que la moitié de ces arrivées se fera par contrat. Il est ainsi possible de postuler en direct, comme n'importe quel autre poste. Autres options : être militaire, ou passer le concours, très sélectif, d'attaché. Il s'agit d'un concours de la fonction publique spécialement organisé et destiné à la DGSE. Attention, il faudra arriver préparé dans ce cas : l'an dernier, il comptait 1.000 candidats pour 36 postes…

Plus de 200 métiers divers et variés

Mais alors, quel type de profils la DGSE recherche-t-elle ? Dans les faits, les opportunités sont nombreuses. « Nous comptons plus de 200 métiers, avec une grande diversité. Comme tout le monde, nous observons une forte tension sur les métiers de l'informatique et notamment de la cybersécurité, mais nous cherchons aussi des linguistes et des professionnels pour nos services supports, de la maintenance aux ressources humaines, en passant par la logistique », détaille Antoine.

Parmi la soixantaine d'emplois actuellement ouverts sur LinkedIn (d'autres sont affichés sur son site), on retrouve ainsi un gestionnaire achats, un secrétaire de direction… L'an dernier, une offre d'emploi (très sérieuse) avait même été publiée pour un pâtissier ! On nous confie d'ailleurs que la personne recrutée fait de très bons gâteaux. Forcément, une large organisation comportant 7.000 travailleurs a besoin de profils aussi divers que variés pour fonctionner au quotidien, aussi spécifique soit-elle. Tous ces agents sont membres d'un service de renseignement, considérés ainsi comme des espions.

Pas que des « roulés-boulés dans le désert »

Les « espions » sur le terrain, alias les « officiers traitants » ne représentent qu'une partie de ces postes. Ils peuvent être au départ des analystes, venus d'un IEP ou d'un cursus universitaire, ou des militaires. De longues formations internes sont prévues, afin de préparer ceux qui iront « sur le terrain » à être fin prêts. « Les missions peuvent être variées, depuis la France ou en poste à l'étranger. Mais attention, la réalité n'est pas comme dans les films, où ils font systématiquement des roulés-boulés dans le désert », relève le directeur de l'administration en souriant.

Cependant, quel que soit le poste visé, il faut être prêt. Les conditions : d'abord, disposer de la nationalité française, ne pas avoir de casier judiciaire, puis accepter une évaluation psychologique. Et une enquête de sécurité. « Le but est avant tout la protection de la personne : nous devons connaître sa vie personnelle. Les informations sont strictement confidentielles, mais sur ces points, nous avons ‘besoin d'en connaître' », souligne Antoine. Objectif : anticiper toute possibilité de pression. Il est de plus demandé à chacun de demeurer discret sur sa vie professionnelle. En dehors du cercle le plus proche, les employés de la DGSE ne sont pas censés dire où ils travaillent.

Se tenir à « sa légende »

Justement, quand on lui demande en soirée, « et toi, tu fais quoi dans la vie ? », Julien ne peut évidemment pas dire la vérité. Cet ingénieur de 22 ans, recruté l'an dernier à la fin de ses études, est spécialisé dans la cryptographie, en investigation numérique. « Concrètement, si je reçois par exemple un disque dur, mon but est de récupérer et de déchiffrer ce qu'il contient, pour remettre son contenu aux analystes. Et c'est passionnant, car je suis tous les jours face à un nouveau défi technologique », nous explique-t-il. Problème : ce métier n'existe pas dans le privé. Du coup, Julien doit se tenir à « sa légende », il s'invente un poste dans une entreprise, dans le milieu de l'informatique. « Heureusement, les gens demandent souvent par politesse, ils creusent rarement ! »

À ses côtés, Paul, 27 ans, est lui aussi diplômé d'une école d'ingénieurs. Il est développeur, expert en solutions clandestines et offensives. « C'est assez parlant », convient-il volontiers. Ce passionné d'informatique a tout simplement postulé sur une offre LinkedIn, il y a quatre ans, poussé par une volonté de servir et une envie de travailler sur des technologies de pointe. Il a informé ses proches de son métier, pour les autres, il se contente de dire qu'il est développeur. Au pire qu'il travaille au ministère des Armées. « Sinon, on peut tout simplement dire que l'on est fonctionnaire, cela déclenche rarement beaucoup de questions », nous glisse la responsable de la communication, qui nous accompagne tout au long des entretiens.

Devenir analyste

L'un des métiers incontournables de la DGSE, qui fait rêver de nombreux étudiants en géopolitique et en relations internationales : analyste. Alors, de quoi s'agit-il ? « Nous recevons un dossier, regroupant des informations obtenues de différentes façons. À partir de ces éléments, un travail d'investigation commence. Nous pouvons ensuite réorienter nos capteurs, rédiger des notes, proposer des décisions… Il faut disposer d'un bon esprit de synthèse, mais aussi savoir se montrer créatif », estime Elodie, 29 ans, passée par Sciences po, puis par le si convoité concours d'attaché.

Le site de la DGSE précise qu'après plusieurs années en tant qu'analyste, il est possible d'évoluer « vers la recherche humaine », en devant officier traitant. « Vous pourrez alors être envoyé en mission et en affectation à l'étranger. » Comprendre : devenir espion sur le terrain. Une évolution qui plairait à Elodie, comme à bien des analystes, évidemment.

Une « immensité de métiers »

Marius, lui aussi, passera peut-être ce cap à terme. À 27 ans, ce diplômé d'un IAE se prédestinait plutôt au monde de l'entreprise, ayant fait des études d'audit et de contrôle financier en apprentissage. Pourtant, il décide d'envoyer une candidature spontanée à la DGSE. Sa « curiosité » de départ l'a mené au boulevard Mortier à l'issue de son master. Il est désormais analyste du renseignement, naturellement très à l'aise face aux pièces comptables. Il nous confie par ailleurs qu'il n'a dévoilé sa réelle activité qu'à sa compagne.

Défis technologiques, analyses poussées, contacts avec d'autres services… À la DGSE, dans cette ville dans la ville, chacun de nos jeunes interlocuteurs confie apprendre tous les jours, dans ce quotidien où la routine n'a pas de place. Paul acquiesce : « Avant d'arriver à ce poste, j'avais vu le ‘Bureau des Légendes', je n'avais qu'une vision très parcellaire de la DGSE. J'y ai découvert une immensité de métiers, de missions, avec énormément d'échanges entre les analystes, les officiers sur le terrain et les experts tech. C'est une véritable fourmilière… »

Des apprentis également recherchés... 

Les étudiants à la recherche d'un apprentissage sont également un vivier de recrutement pour la DGSE ! La sécurité extérieure recrute depuis peu des apprentis, du bac+2 au bac+5, que ce soit en cybersécurité, en sciences et technologies, en administration générale, en infrastructure et en soutien et logistique. Une cinquantaine d'étudiants vont être recrutés au printemps, pour la rentrée de septembre. Pour les intéressés, rendez-vous sur le site de la direction, d'ici le mois de mars

Laura Makary

start.lesechos.fr