Dix jours à peine après l’investiture de Joe Biden à la Maison Blanche, la Chine lance de multiples signaux dans l’espoir d’un retour à des relations plus apaisées avec les États-Unis. Mais la nouvelle administration américaine fait preuve de fermeté, en particulier sur la question épineuse de Taïwan à propos de laquelle Pékin a clairement réaffirmé ces derniers jours que l’indépendance de l’île signifierait « la guerre ».
Plusieurs responsables chinois ont pris la parole ces derniers jours pour inviter l’administration Biden à restaurer des liens de confiance avec Pékin. Ainsi l’ancien vice-premier ministre chinois Zeng Peiyan a-t-il profité de l’occasion d’une conférence virtuelle organisée par la China-United States Exchange Foundation à Hong Kong pour exhorter, ce mardi 26 janvier, les autorités américaines à « rencontrer la Chine à mi-chemin » dans le but de renouer le dialogue.
« Il était complètement erroné de concevoir les relations sino-américaines du point de vue d’une telle mentalité de guerre froide et d’un tel parti pris idéologique, a déclaré Zeng Peiyan. J’espère que les États-Unis saisiront l’opportunité de changer leur conduite et de rencontrer la Chine à mi-chemin, de manière à ce que nous puissions travailler ensemble plutôt que de nous livrer à la confrontation. […] Pour cela, nous avons d’abord besoin de construire la confiance mutuelle. La Chine n’a aucunement l’intention de changer les États-Unis, et encore moins de prendre sa place et les États-Unis ne pourront guère changer la Chine en fonction de leurs désirs. »
Le même jour, s’exprimant dans le cadre du forum de Davos qui était virtuel cette année pour cause de pandémie, le président chinois Xi Jinping a lui aussi lancé un message en direction de Washington : « Nous devons prôner une compétition honnête, telle une compétition entre nous visant à l’excellence, et non pas nous battre comme si nous étions sur un ring. »
Ce jeudi 28 janvier, à l’occasion d’un forum virtuel organisé par la Chinese People’s Association for Peace and Disarmament basée à Pékin et le Centre Carter basé à Atlanta, l’ambassadeur chinois à Washington Cui Tiankai a de nouveau insisté dans le même sens. Pour lui, ce serait une grave erreur de la part des États-Unis que de traiter la Chine en rival stratégique. Les deux pays doivent sans tarder revenir au dialogue après que Donald Trump a fait plonger les relations entre les deux géants « dans le précipice de la confrontation ». « Nous pouvons être des concurrents, mais nous ne sommes pas des rivaux. […] Considérer la Chine comme un rival stratégique et un ennemi imaginaire serait une énorme faute de jugement. »
Mais le message le plus virulent est venu du porte-parole du ministère chinois de la Défense, Wu Qian. « Nous le disons avec sérieux aux forces de l’indépendance de Taïwan : ceux qui jouent avec le feu se brûleront eux-mêmes et l’indépendance de Taïwan signifie la guerre, a-t-il prévenu ce jeudi également lors d’une conférence de presse à Pékin, cité par le South China Morning Post. L’Armée populaire de libération prendra toutes les mesures nécessaires pour tuer dans l’œuf toute tentative d’indépendance [à Taïwan] et défendra fermement la souveraineté et l’intégrité nationale. » Un avertissement clair à l’adresse de Joe Biden. Jamais, depuis des années, Pékin n’avait été aussi explicite.
Réponse américaine ce jeudi : « Nous trouvons ce commentaire malheureux et tout à fait disproportionné par rapport à nos intentions de respecter nos engagements liés au Taiwan Relation Act », a déclaré John Kirby, le responsable de la presse au Pentagone.
À Washington, la nouvelle administration a distillé ses messages avec fermeté, mais sans le ton belliqueux de Donald Trump. Joe Biden souhaite faire preuve de patience à l’égard de la Chine, malgré la concurrence qui l’oppose aux États-Unis, a ainsi déclaré lundi 25 janvier la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki. « Ce que nous avons vu au cours des dernières années, c’est que la Chine est de plus en plus autoritaire sur son territoire, plus assurée à l’étranger et que Pékin remet désormais en question notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs de manière significative qui nécessite une nouvelle approche. Nous voulons aborder cela avec une certaine patience stratégique. » Une référence à l’expression utilisée par Barack Obama lorsqu’il était président. Le gouvernement américain, a assuré Jen Psaki, va consulter le Congrès et ses partenaires internationaux sur ce sujet dans les semaines à venir.
Autre pièce maîtresse sur le goban de l’affrontement sino-américain, la nouvelle ambassadrice américaine à l’ONU Linda Thomas-Greenfield. Lors de son audition au Sénat mardi, elle n’a pas été tendre pour Pékin. « Nous savons que la Chine travaille à l’intérieur du système des Nations Unies pour imposer son agenda autoritaire qui s’oppose aux valeurs fondamentales de l’institution – les valeurs américaines. Leur succès dépend de notre retrait continu. Cela n’arrivera pas avec moi aux affaires. »
Dans le même temps, Pékin a soufflé le chaud et le froid, en particulier à propos de l’ancienne Formose. C’est ainsi que douze avions chinois, dont huit bombardiers à capacité nucléaire et quatre avions de chasse, ont pénétré samedi 23 janvier dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan, survolant la mer de Chine méridionnale, au sud de l’île. Deux jours plus tard, quinze avions chinois, dont douze avions de chasse, ont à nouveau pénétré dans cette zone. Une démonstration de force destinée, estiment les analystes, à tester la volonté de Joe Biden et celle son administration de porter assistance à Taïwan. Elle intervient quelques jours à peine après l’invitation faite à l’ambassadeur de facto de Taïwan à Washington, Hsiao Bi-khim, à la prestation de serment de Biden le 20 janvier, une première depuis 1979.
Ce jeudi, le ministère taïwanais de la défense a relevé une nouvelle incursion chinoise : six avions, dont 4 chasseurs J-10 ont pénétré dans la zone d’identification aérienne de l’îleT, près de l’archipel des Pratas contrôlé par Taïwan, en mer de de Chine du Sud.
Le porte-parole du département d’État, Ned Price, a indiqué dans un communiqué « noter avec inquiétude la tendance actuelle de la RPC [République populaire de Chine] à intimider ses voisins, dont Taïwan ». Il « exhorte Pékin à cesser ses pressions militaires, diplomatiques et économiques sur Taïwan ». Dès la première intrusion samedi, le département d’État américain avait haussé le ton, assurant que le soutien des États-Unis à Taïwan restait « solide comme un roc » malgré les « tentatives d’intimidation » de la Chine.
Quatre jours plus tard, le porte-avions américain Theodore Roosevelt entrait en mer de Chine du Sud, afin de promouvoir « la liberté de navigation ». Un premier exercice dans cette zone depuis l’arrivée à la Maison Blanche du président Joe Biden. Le groupe aéronaval conduit par le Theodore Roosevelt est arrivé le 23 janvier dans la région, a annoncé le commandement de la région indo-pacifique, le jour même où Taïwan a affirmé que des avions chinois avaient pénétré dans sa zone d’identification de défense aérienne.
Le 26 janvier, des avions de chasse taïwanais ont mené des exercices simulant des situations de guerre dans la zone autour de l’île. Un moyen pour l’armée taïwanaise de montrer que sa flotte est prête au combat. La base aérienne de Tainan, dans le sud de Taïwan, abrite des avions qui sont régulièrement déployés pour intercepter des appareils chinois dans l’espace aérien.
Le colonel Lee Ching-shi a déclaré à Reuters que les appareils de l’aviation taïwanaise étaient généralement munis d’armes et pouvaient répondre « à tout moment » en cas d’agression. « Nous sommes prêts, a-t-il affirmé lors d’une visite de la base de Tainan organisée par le gouvernement. Nous ne céderons pas un pouce de notre territoire. »
La partie de go entre Pékin et Washington est loin d’être terminée. Elle vient, en fait, tout juste de commencer avec à la barre le nouveau président Joe Biden. Pour le moment, le démocrate s’est abstenu de téléphoner à Xi Jinping alors qu’il a déjà appelé nombre de dirigeants étrangers, dont en particulier le président russe Vladimir Poutine.
Pierre-Antoine Donnet