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dimanche 31 janvier 2021

Duel entre Moscou et Paris au cœur de l’Afrique

 

L’armée centrafricaine affirme être repassée à l’offensive pour desserrer l’étau autour de la capitale, Bangui, menacée d’asphyxie par une coalition rebelle qui s’est juré de faire tomber le président Faustin-Archange Touadéra. Les forces armées de Centrafrique disent avoir repris la ville de Boda, à 120 kilomètres de la capitale, et tué des dizaines de rebelles. «Les Russes sont avec nous», a déclaré lundi un porte-parole de l’armée.

La présence de militaires russes est de plus en plus visible dans ce traditionnel pré carré français délaissé au cœur de l’Afrique. Paris intervenait en effet régulièrement dans cet Etat instable. La dernière fois, c’était en 2013 pour empêcher des massacres intercommunautaires. Une mission de l’ONU a ensuite pris le relais. Mais, malgré la présence de 12 000 Casques bleus, l’Etat centrafricain n’a jamais réussi à regagner le contrôle d'un territoire grand comme la France et riche en ressources minières.

Le président Touadéra, réélu pour un second mandat le 27 décembre dernier, alors que la moitié de la population n’a pas pu voter à cause de l’offensive des rebelles, est dans une position critique. Il compte plus que jamais sur les Casques bleus de l’ONU, des militaires rwandais appelés en renfort avant l’élection et, bien sûr, les militaires russes.

«La Russie a investi dans des activités à forte visibilité», analyse Paul-Simon Handy, conseiller à l’Institut d’études de sécurité à Dakar. Officiellement, il y aurait des centaines d’instructeurs militaires russes en Centrafrique. Ils occupent une place stratégique, en assurant, par exemple, la sécurité du président Touadéra, ce qui offre à Moscou un accès privilégié au chef de l’Etat. A contrario, la mission européenne de formation de l’armée centrafricaine, avec des centaines d’instructeurs, passe inaperçue.

L’opportunisme russe

La France voit d’un très mauvais œil cette omniprésence russe. Le 19 janvier, Paris a pris «note» de la réélection du président Touadéra contestée par l’opposition. On a connu des messages plus chaleureux. «La France a été prise de court par l’implication russe, qui ne découlait pas d’une stratégie mûrement réfléchie. Moscou a plutôt agi par opportunité», continue Paul-Simon Handy. La Centrafrique est un laboratoire sur le continent pour Moscou, qui est également présent au Soudan, en République démocratique du Congo, en Guinée ou en Egypte.

L’opportunité, c’était le désengagement français et le dénuement du gouvernement centrafricain recherchant désespérément des soutiens militaires. Moscou a d’abord envoyé des mercenaires de la compagnie de sécurité privée Wagner, proche du Kremlin, pour tâter le terrain. Le modèle a été éprouvé en Syrie ou en Libye. Trois journalistes russes enquêtant sur les activités de Wagner en Centrafrique ont été tués en juillet 2018. L’organisation de l’opposition russe qui les avait mandatés soupçonne un crime commandité, mais l’enquête est au point mort.

L’ombre du Tchad

Des sociétés russes dépendant du groupe Wagner ont obtenu du gouvernement des permis d’extraction dans les mines de diamants et d’or. Moscou fournit de l’armement à la Centrafrique et milite pour une levée de l’embargo de l’ONU auquel le pays est soumis depuis 2013. Jeudi dernier, Bangui a essuyé un nouveau refus au Conseil de sécurité de l’ONU pour lever les restrictions sur le commerce des armes, malgré le soutien de la Russie et de la Chine. Les Occidentaux craignent qu’un afflux d’armes tombe entre de mauvaises mains. Ils font valoir qu’avec les exceptions prévues par l’ONU, l’armée régulière a toute latitude pour s’approvisionner.

Paris et Moscou se livrent aussi une guerre de l’information en Centrafrique, comme en témoigne la suspension en décembre de plusieurs comptes Facebook accusés de diffuser de fausses informations pendant la campagne électorale. Certains étaient liés aux services de renseignement russes, d’autres à l’armée française, selon le réseau social.

La France irait-elle jusqu’à soutenir les groupes rebelles pour donner une leçon aux Russes? Les autorités centrafricaines accusent en tout cas le voisin tchadien, un proche allié de Paris, de déstabiliser leur pays. «Le fait qu’il y ait des mercenaires tchadiens en Centrafrique n’est pas une preuve de l’implication du gouvernement tchadien», répond Paul-Simon Handy.

En revanche, selon l’analyste camerounais, l’offensive des rebelles visant à empêcher la présidentielle n’a pas pu se faire sans soutien extérieur, même si les rebelles peuvent se financer avec les ressources minières ou la taxation des voies de transhumance du bétail. «Mais l’offensive des rebelles est un échec, car elle n’a pas de soutien populaire, conclut Paul-Simon Handy. Les Centrafricains sont fatigués de la guerre.»

 Simon Petite

letemps.ch