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samedi 14 novembre 2020

Terrorisme; les confidences des chefs du renseignement français

 

Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), à gauche, et Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), pratiquent l’«union sacrée» et l’affirment: «Nous n’avons plus de secret l’un pour l’autre .» Jean-Christophe Marmara/JC MARMARA / LE FIGARO


Moins d’un mois après l’assassinat du professeur Samuel Paty et cinq ans tout juste après l’attentat du Bataclan, les chefs du renseignement français, Nicolas Lerner, de la DGSI, et Bernard Émié, de la DGSE, ont accordé un long entretien au Figaro.

Les deux directeurs généraux de la sécurité intérieure et extérieure ont notamment explicité les récentes mutations de la menace terroriste, pouvant venir de cas isolés, plus difficiles à prévoir. « Il est vrai que les attentats de type « low-cost » sont quasiment indétectables car ils nécessitent une faible planification », admet Bernard Émié.

« La menace terroriste a changé en quelques années, explique Nicolas Lerner. Jusqu’en 2017, elle était le fait d’individus inscrits dans des filières ou en lien direct avec des combattants dans les zones de combats. Aujourd’hui, l’appui matériel et l’incitation directe de réseaux ne sont plus des conditions nécessaires à un passage à l’acte, devenu plus complexe à anticiper ».

Toutefois, prenant les exemples « d’attentats déjoués » ou de « projets inaboutis » comme l’attentat à la bombe à Lyon en mai 2019, Nicolas Lerner assure que « les terroristes n’ont pas renoncé à utiliser des moyens plus complexes ». Selon le directeur général de la sécurité intérieure, « le risque d’une attaque comme celle du 13 novembre, s’il a diminué, n’a pas disparu ».

« Un certain nombre de matériels récupérés au Sahel, en Syrie ou en Irak montrent que les organisations terroristes s’intéressent à tous les modes opératoires possibles », ajoute Bernard Émié. Ainsi, selon le patron de la DGSI, il n’y aurait plus de « profil type du combattant terroriste ».

Des moyens supplémentaires depuis le quinquennat Macron

Pour pallier ces récentes difficultés, Nicolas Lerner affirme que « 2 000 agents supplémentaires » viennent renforcer la DGSI, tandis que le budget affilié à ce service a été multiplié par deux en l’espace de seulement cinq ans.

« Le chef de l’État, les premiers ministres successifs et les ministres de l’Intérieur, aujourd’hui Gérald Darmanin, nous ont demandé de faire mieux et d’être plus efficaces ensemble », explique-t-il.

De « cousins éloignés » à « frères complices »

Afin d’être plus efficaces ensemble, les deux organisations ont resserré leurs liens. « En matière de lutte antiterroriste, nous n’avons plus aucun secret l’un pour l’autre », explique Nicolas Lerner.

« La DGSE informe la DGSI sans délai […] des informations dont elle a connaissance », de même sorte que « l’ensemble des services du ministère de l’Intérieur alimente la DGSE ». Cela a permis, depuis 2013, de déjouer 61 projets grâce à « l’action coordonnée des services antiterroristes », poursuit Nicolas Lerner.

« Les Français ne sont jamais tombés dans le double piège des terroristes »

Depuis le mois d’octobre, Bernard Émié relève « qu’il y a un climat de très fortes tensions dont certains profitent pour présenter la France comme l’ennemie des musulmans ». « C’est oublier nos liens historiques et profonds avec l’islam », ajoute-t-il.

Malgré le contexte de tensions, le chef du renseignement extérieur juge que « les Français ne sont jamais tombés dans ce qui me semble être le double piège tendu par les terroristes », un piège dont la première face est celle de la division et la seconde celle de l’amalgame, « qui pourraient amener certains à désigner comme coupables des groupes de personnes à raison de leur nationalité ou de leur religion ».

« Des appels à la haine en ligne et des manipulations »

Lors de l’intervention du président de la République sur Al-Jazeera, le chef de la DGSE a trouvé qu’Emmanuel Macron avait fait « de la pédagogie pour lever les malentendus, expliquer la laïcité à la française et les valeurs de la République dont la liberté d’expression ».

Selon lui, Emmanuel Macron a « caractérisé le fait que certains dirigeants politiques et religieux, en ne condamnant pas avec la plus grande clarté toute forme de haine à l’égard de notre pays, ont pris une responsabilité importante dans la possible flambée de violence à l’égard de nos compatriotes. »

En effet, il précise que chaque jour, la DGSE « intercepte des appels à la haine en ligne et des manipulations sur les réseaux sociaux ». Selon des informations de BFM TV , on ne décompterait pas moins de 237 enquêtes ouvertes pour apologie du terrorisme et menaces de mort depuis la mort de Samuel Paty.

« La bête bouge encore »

Le combat contre les organisations terroristes est loin d’être fini à l’extérieur des frontières. « La bête bouge encore pour essayer de se reconstituer. Nous devons poursuivre nos efforts pour identifier, traquer et entraver, là où ils se trouvent, les cadres expérimentés de l’organisation », estime Bernard Émié.

Selon lui, l’État islamique « essaie de se reconstituer, de regagner des points d’appui dans les zones du nord-ouest de l’Irak et sur une très grande partie de la Syrie ». Toutefois, leur nombre de combattants a fortement diminué. S’ils étaient environ 50 000 « au plus haut de la menace », ils ne seraient plus que « quelques milliers », explique l’ancien ambassadeur de France au Royaume-Uni.

ouest-france.fr