Les relations entre les autorités iraniennes et al-Qaïda ont toujours été ambiguës. Pacte tacite de non-agression? Volonté de ménager une organisation qui, bien que sunnite, pourrait être utilisée contre ses adversaires, à l’image du Hamas ou même du mouvement taleb afghan?
Toujours est-il que, s’il a renvoyé de nombreux jihadiste fuyant l’Afghanistan, l’Iran a accueilli des membres de la famille d’Oussama ben Laden après 2001, voire des cadres importants du groupe terroriste, avant de les placer en résidence surveillée, avec l’idée de s’en servir comme monnaie d’échange ou comme moyen de pression sur la direction d’al-Qaïda.
Ainsi, par exemple, en 2015, Téhéran a relâché Abou al Kheir al Masri [alias Abdullah Muhammad Rajab Abd al-Rahman], le gendre de Ben Laden et numéro deux présumé d’al-Qaïda, Abou Khallad al-Muhandis, Saïf al-Adel, Abou Mohammed al-Masri et Khalid al-Arur pour obtenir la libération d’un diplomate iranien retenu en otage au Yémen. Un échange de même nature avait eu lieu en 2011, pour récupérer un autre diplomate enlevé au Pakistan.
La déclassification, en novembre 2017, de documents saisis à Abottabad, lors du raid des Navy Seals mené six ans plus tôt contre Ben Laden, apporta d’autres détails sur la relation entre Téhéran et al-Qaïda. Ainsi, l’un d’eux indiquait que l’Iran aurait été prêt à fournir « de l’argent, des armes et tout ce dont ils avaient besoin » aux sympathisants de l’organisation terroriste, à la condition qu’ils « frappent l’Arabie saoudite et les États du Golfe. »
« Ces relations existent bel et bien. L’Iran a coopéré et coopère encore avec al-Qaïda. Certaines connexions équivalent pour le moins à des pactes de non-agression », avait alors résumé Mike Pompeo, qui dirigeait la CIA à l’époque.
Dans le même temps, le rapport annuel du département d’État sur le terrorisme avait souligné que l’Iran restait « peu disposé à traduire en justice les membres de haut rang d’al-Qaïda résidant » sur son territoire, tout en refusant « d’identifier publiquement les membres sous sa garde. » Et d’insister sur le fait que des « ‘facilitateurs’ de l’organisation terroriste n’avaient nullement été inquiétés par les autorités iraniennes », ce qui leur permit de « transférer des fonds et des combattants en Asie du Sud et en Syrie. »
Cela étant, les autorités iraniennes ont toujours démenti la moindre collusion avec al-Qaïda et rejeté avec vigueur les affirmations américaines. Comme elles viennent encore de le faire après les révélations que vient de publier le New York Times.
Le 7 août, l’agence de presse iranienne Mehr rapporta la mort d’un certain « Habid Daoud », un professeur d’histoire âgé de 58 ans, et de sa fille Maryam, 27 ans, « assassinés par un motard à Pasdaran », un quartier huppé de Téhéran. Selon la même source, les deux victimes se trouvaient à bord d’une voiture quand un individu leur tira dessus à quatre reprises, du côté du conducteur.
Le mode opératoire ne manquait pas de faire penser à celui suivi par les agents du Mossad [service de renseignement israélien] pour éliminer les responsables du programme nucléaire iranien. Qu’un professeur d’histoire ait pu en être la victime était alors intriguant. Il fut alors avancé que ce « Habib Daoud » était un membre du Hezbollah libanais…
Seulement, s’appuyant sur des confidences faites par des responsables du renseignement américain, le New York Times affirme que ce professeur d’histoire assassiné n’en était pas un puisqu’il s’agissait en réalité de l’égyptien Abdullah Ahmed Abdullah [alias Abou Mohamed Al-Masri], recherché par les États-Unis pour son implication dans les attentats commis le 7 août 1998 contre leurs ambassades au Kenya et en Tanzanie ainsi que pour avoir donné une formation militaire à des membres d’un groupe somalien ayant combattu les forces américaines à Mogadiscio en 1993. Sa tête était mise à prix pour 10 millions de dollars. Quant à la femme qui se trouvait à ses côtés, ce serait la veuve de Hamza ben Laden, l’un des fils du fondateur d’al-Qaïda.
Cette opération « homo », poursuit le quotidien américain, a été sous-traitée aux services de renseignement israéliens, et exécutée par deux agents à moto. « On ne sait pas quel rôle, le cas échéant, ont joué les États-Unis, qui suivaient les mouvements de M. al-Masri [alias Abdullah, donc] et d’autres membres de Qaïda en Iran depuis des années », écrit-il.
Cela étant, si l’information du New York Times est avérée, alors une question se pose : pourquoi d’Abdullah Ahmed Abdullah est-il resté en Iran, avec un nom d’emprunt, et a priori avec la bienveillance des autorités iraniennes, alors qu’il fit partie de l’échange ayant permis la libération d’un diplomate iranien retenu au Yémen en 2015? Et cela, sachant que plusieurs cadres d’al-Qaïda remis dans la nature à cette occasion ont depuis été tués lors d’opérations américaines, comme Abou al Kheir al Masri, en février 2017, en Syrie.
Quoi qu’il en soit, selon Washington, Abdullah aurait entretenu des relations avec l’Iran depuis longtemps. « Après les attentats contre les ambassades [en 1998], Abdullah s’est installé en Iran sous la protection du Corps des gardes de la révolution islamique iranienne », est-il en effet affirmé dans sa courte biographie publiée par le site « Rewards for Justice ».
En attendant, la mort d’Abdullah n’a pas toujours pas été confirmée par al-Qaïda, plus de trois mois après les faits. Et le ministère iranien des Affaires étrangères a parlé d’une « information fabriquée » pour évoquer la révélation faite par le New York Times.