En 2013, le monde a découvert XKeyscore grâce aux informations fournies par Snowden. XKeyscore désigne un programme de surveillance de la NSA, mais également l’ensemble des logiciels que l’agence a utilisés pour lancer cette surveillance de masse opérée conjointement avec les services de renseignements britanniques, canadiens, australiens et néo-zélandais, services dont la coopération historique en matière de partage de l'information a entraîné le surnom des « Five Eyes ». Il permettrait une « collecte quasi systématique des activités de tout utilisateur sur Internet », grâce à plus de 700 serveurs localisés dans plusieurs dizaines de pays.
XKeyscore est capable d’examiner tout ce qu’un utilisateur fait sur la toile. Cela comprend les mails envoyés, les mots de passe de session, les accès aux réseaux sociaux, l’historique de navigation, les recherches effectuées sur la toile et bien plus encore. Presque aucune information sur la toile n’échappe à ce programme.
C’est avec ce programme que la NSA aurait même espionné le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon avant un entretien avec le président américain Barack Obama. Selon les publications internes de la NSA rendues publiques par The Intercept, la NSA s’est targuée d’avoir piraté les différents points d’entretien listés par Ban Ki-Moon avant la réunion avec le président américain. Cela a permis au président de se préparer en conséquence.
Lors de la publication des documents relatifs à XKeyscore, il a été indiqué que l'outil se servait de plus de 500 serveurs répartis sur près de 150 sites à travers le monde.
Les diapositives publiées par The Guardian ont montré comment l’outil permettait à la NSA d’accéder en temps réel aux données de navigation sur internet d’un utilisateur, aux emails, aux réseaux sociaux, aux recherches, etc. Bref, tout l’historique de navigation d’un utilisateur lambda était accessible. « La NSA peut recueillir tout ce qu’elle veut sur Internet […] leurs analystes peuvent lire vos mails, connaître les sites que vous avez visités, retrouver les termes de recherche sur Google que vous avez saisis et à peu près tout ce que vous faites sur Internet. C’est un outil qui n’a pas de limite », note The Guardian.
Le renseignement militaire danois s'appuie sur XKeyscore
En août dernier, un lanceur d'alerte (whistleblower) a accusé le service danois de renseignement militaire et électromagnétique (Forsvarets Efterretningstjeneste ou FE) d'activités illégales en plus d'accuser le service d'induire délibérément en erreur le conseil de surveillance du renseignement.
Pendant ce temps, la presse danoise a pu brosser un tableau étonnamment complet et détaillé de la manière dont la FE a coopéré avec la NSA dans le domaine de la mise sur écoute sur le sol danois. Il a en outre été révélé que les Américains avaient fourni au Danemark un nouveau système d'espionnage sophistiqué qui comprend le système de traitement de données de la NSA XKEYSCORE.
Un journal danois a également révélé que l'accusation de collecte illégale émanait d'un jeune employé de la FE qui rappelle les actions menées par Edward Snowden relative à son pays. Une commission d'enquête nouvellement créée doit maintenant déterminer s'il s'agit de collecte illégale de données.
Mise sur écoute des câbles de télécommunications
Dans un article détaillé du 13 septembre, le journal danois Berlingske décrit comment la FE, en coopération avec la NSA, a commencé à exploiter un câble de télécommunications international afin de recueillir des renseignements étrangers.
Au milieu des années 1990, la NSA avait découvert que quelque part sous Copenhague, il y avait un câble dorsal contenant des appels téléphoniques, des courriels et des messages texte de et vers des pays comme la Chine et la Russie, ce qui était d'un grand intérêt pour les Américains. Comme le suggère son nom dérivé de l’anatomie, le câble dorsal est la principale partie d’un réseau, à partir de laquelle dérivent les autres éléments. Le câblage dorsal est la partie du câblage réseau qui se connecte entre les différentes pièces et les panneaux de communication. Il est aussi appelé réseau fédérateur, backbone, épine dorsale, ou cœur de réseau. C’est cette partie qui transporte le plus grand nombre de fibres et qui possède – en principe - la plus grande longueur de câble.
Cependant, il était presque impossible d'exploiter ce câble sans l'aide des Danois. La NSA a donc demandé à la FE l'accès au câble, mais cette demande a été refusée, selon Berlingske.
Accord avec les États-Unis
Le gouvernement américain n'a pas abandonné et, dans une lettre envoyée directement au Premier ministre danois Poul Nyrup Rasmussen, le président américain Clinton a demandé à son collègue danois de reconsidérer sa décision. Et Nyrup, qui était un partisan d'une relation étroite avec les États-Unis, a accepté.
La coopération était inscrite dans un document que, selon Berlingske, tous les ministres danois de la défense devaient signer « pour que tout nouveau ministre puisse voir que son prédécesseur - et les prédécesseurs avant ses prédécesseurs - avec leurs signatures avaient fait partie de ce petit cercle exclusif de personnes qui connaissaient l'un des plus grands secrets du royaume. »
Le nom de code de cette coopération n'est pas connu, mais il fait probablement partie du programme RAMPART-A de la NSA. Dans le cadre de ce programme, qui a débuté en 1992, des partenaires étrangers donnent accès à des câbles internationaux à fibre optique de grande capacité, tandis que les États-Unis fournissent les équipements de transport, de traitement et d'analyse:
Accord avec un câblo-opérateur
Pour s'assurer que l'écoute du câble était aussi légale que possible, le gouvernement a demandé l'approbation de la société privée danoise qui exploitait le câble. La société a accepté, mais seulement lorsque l'accord a été approuvé au plus haut niveau, notamment après la signature par le Premier ministre Rasmussen, le ministre de la Défense Hækkerup et le chef du département Troldborg.
Comme le câble contenait des télécommunications internationales, il était considéré comme relevant du mandat de renseignement étranger de la FE. L'accord a été préparé en un seul exemplaire, qui a été montré à l'entreprise puis enfermé dans un coffre-fort au siège de la FE à la forteresse de Kastellet à Copenhague, selon Berlingske.
Cet accord danois est très similaire à l'accord de transit entre le service allemand de renseignement étranger BND et Deutsche Telekom, dans lequel ce dernier a accepté de fournir l'accès aux câbles de transit internationaux à son centre de commutation de Francfort-sur-le-Main. Le BND a ensuite exploité ces câbles avec l'aide de la NSA sous l'opération Eikonal (2004-2008).
Traitement chez Sandagergård
Berlingske a rapporté que les données de communication qui ont été extraites du câble dorsal à Copenhague ont été envoyées du centre technique de la société danoise au complexe Sandagergård de la FE sur l'île d'Amager. Les États-Unis avaient payé un câble entre les deux sites.
A Sandagergård, « la NSA s'est assurée d'installer la technologie qui permettait de saisir des mots-clés et de traduire l'énorme quantité d'informations, dites brutes issues de la prise de câble, en informations "lisibles"».
Le système de filtrage n'était pas seulement alimenté par des mots-clés de la FE, mais la NSA a également fourni « à la FE une série de mots-clés pertinents pour les États-Unis. La FE les a examiné ensuite (notamment pour vérifier qu'il n'y avait fondamentalement pas de Danois parmi eux) puis a entré les mots-clés », selon les sources citées par Berlingske.
Outre ce filtrage par mots-clés, la FE et la NSA auraient également utilisé les métadonnées pour du contact chaining, ce qui signifie en gros déterminer quels numéros de téléphone et adresses e-mail ont été en contact les uns avec les autres, afin de créer des graphiques de communications, une information sur laquelle les sources ne voulaient apparemment pas s'étendre avec Berlingske.
Partenaires de confiance
Une partie de l'accord entre les États-Unis et le Danemark était que « les États-Unis n'utilisent pas le système contre les citoyens et les entreprises danois. Et vice-versa ». Des mots similaires peuvent être trouvés dans une présentation de la NSA de 2011 : « No US collection by Partner and No Host Country collection by US » (bien que cela soit suivi de « il y a des exceptions! »)
Cette dernière remarque a peut-être inspiré Edward Snowden à accuser la NSA d'abuser de ces coopérations avec des agences partenaires étrangères pour espionner des citoyens européens, mais comme une source l'a déclaré à Berlingske:
« Je ne peux pas du tout m'imaginer que la NSA trahirait cette confiance. Je considère cet évènement comme étant totalement improbable. Si la NSA avait le désir d'obtenir des informations sur des citoyens ou des entreprises danois, les États-Unis se tourneraient simplement vers [la service de sécurité domestique] PET, qui fournirait alors la base juridique nécessaire. »
La source a également déclaré que « la NSA a fait tout ce que le Danemark demandait, sans discussion. La NSA a continuellement aidé le Danemark - en raison de cet accès par câble. [...] Le Danemark était un partenaire des plus proches et appréciés. »
Cette coopération étroite et fructueuse était apparemment l'une des raisons de la visite du président Bill Clinton au Danemark en juillet 1997, selon Berlingske.