Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 18 octobre 2020

La communauté tchétchène dans le viseur des renseignements

 

Avant l'assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, plusieurs attentats ont été perpétrés par des individus d'origine tchétchène. De quoi pousser les services anti-terroristes à être "extrêmement vigilants sur le front de la radicalisation" de certains membres de la communauté.

L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, qui a coûté la vie à un professeur d’Histoire-géographie, Samuel Paty, secoue l’ensemble du pays. Les services de renseignement également. "On vient de passer un cran" souffle un policier d’un service de renseignement territorial (SRT), les anciens renseignements généraux, au lendemain des évènements. De nombreuses questions se posent aux enquêteurs de la Sdat (Sous-direction anti-terroriste), de la police judiciaire et de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), chargés de l’enquête. Le terroriste avait-il prémédité son geste ? A-t-il agi seul ? Était-il téléguidé par une organisation terroriste ? Avait-il montré des signes avant-coureurs de passage à l’acte ?

A ce stade des investigations, une dizaine de personnes ont été placées en garde à vue. "Parmi les gardés à vue, il y a un parent d’élève qui a été arrêté sur la base d’un signalement que nous avions effectué début octobre, à la suite de la mobilisation de certains parents d’élèves du collège du Bois-d'Aulne contre le professeur victime de l’attentat", confie l’ex RG. Le terroriste, lui, est né en 2002 à Moscou, et d'origine tchétchène. "Du point de vue de la radicalisation, les Tchétchènes constituent la communauté oubliée. Et pourtant, il y a eu des alertes", explique le policier.

Le samedi 12 mai 2018, vers 20h30 dans le quartier de l'Opéra à Paris un homme armé d'un couteau avait attaqué à l’aveugle des passants. Il a finalement été abattu par des policiers. Le bilan est lourd : un mort et plusieurs blessés. L’auteur, Khamzat Azimov, une jeune de 20 ans de nationalité française, était né en Tchétchénie. Sans antécédent judiciaire, il était fiché S (pour "sûreté de l'Etat") et inscrit au FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation depuis 2016. L'État islamique avait revendiqué l’attentat et diffusé une vidéo montrant le jeune homme lui prêter allégeance.

En 2019, quatre hommes, dont un mineur de 17 ans, un "lycéen d'origine tchétchène", étaient mis en examen et écroués le 30 avril pour un projet d’attentat déjoué. "Jusqu’à maintenant, lorsqu'on avait affaire à des Tchétchènes, c'était davantage sous l’angle de la violence urbaine, par exemple lors des évènements de Dijon et peu de la radicalisation", raconte l'agent du SRT. Une analyse que pondère une source proche de la DGSI : "Cette communauté est bien identifiée. Il y a aujourd’hui environ 300 individus tchétchènes fichés au FSPRT. Les services sont extrêmement vigilants sur le front de la radicalisation. En 2016, Patrick Calvar, alors directeur de la DGSI, déclarait devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, que ‘7% à 8% des personnes souhaitant quitter la France pour la Syrie ou en revenir sont des Tchétchènes.’"

L’ensemble de cette communauté regrouperait entre 15.000 et 20.000 personnes sur le territoire national, la grande majorité bénéficiant du statut de réfugié. Selon le rapport d’activité 2019 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), sur les 2906 demandes de personnes se disant de nationalité russe, "60 % (…) proviennent essentiellement de Tchétchènes et de Daghestanais revendiquant des liens, réels ou supposés, avec des combattants, ou, pour les Tchétchènes, une opposition au régime local en place." Les auteurs notent également que "les demandes fondées sur un motif politique, traditionnellement peu nombreuses, ont augmenté pour faire apparaître une tendance regroupant non seulement différents courants de la société civile, mais aussi des mouvements d’opposition écologistes ou non traditionnels."

Une communauté qui ne pèse qu’un faible poids dans le dispositif de protection des réfugiés. "Pour avoir travaillé sur cette communauté, ils sont peu mais très solidaires. Et un certain nombre est capable d’être très virulent et n’hésite pas à user de violence", analyse notre ex-RG. Une solidarité dont aurait pu bénéficier l’auteur de l'attentat de Conflans ? À l’enquête d’y répondre.

marianne.net