Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 21 août 2020

«Philippe de Dieuleveult (agent de la GGSE) a été éliminé par l’armée zaïroise»


Philippe de Dieuleveult   © Christian Allardet


Le 6 août 1985, Philippe de Dieuleveult disparaissait mystérieusement, en tentant de franchir les monstrueux rapides d’Inga, sur le fleuve Zaïre. Officiellement, selon les autorités françaises, l’animateur du jeu télévisé à succès «La chasse aux trésors» s’est noyé avec ses six camarades d’expédition, lorsque leurs deux catarafts, pris dans les flots déchaînés, se sont retournés. Mais très vite, un homme subodore qu’il s’est passé autre chose.

Cet homme, c’est Jean de Dieuleveult, militaire de carrière et frère du disparu. Durant trente ans, de 1985 jusqu’à 2015, année de son décès, il n’aura de cesse de mener l’enquête à propos de la mort de Philippe. Son fils, Alexis, sur la base des documents réunis par son papa mais aussi celle de sa propre enquête, publie un nouveau livre, «Noyade d’Etat, la mort de Philippe de Dieuleveult» où il dénonce un énorme mensonge.

Alexis de Dieuleveult, votre père, Jean, était totalement convaincu que Philippe n’est pas mort noyé. Selon lui, et selon vous, que s’est-il réellement passé ce funeste 6 août 1985, au matin?

Peu après le passage des rapides d’Inga, les deux catarafts où avaient pris place les sept membres de l’expédition Africa-Raft ont probablement été pris pour cibles par des militaires zaïrois. Ces derniers ont fait feu. Philippe a survécu à ces tirs. Il a été capturé, interrogé et finalement exécuté. Quand les autorités se sont rendues compte de leur erreur, tout a été fait pour effacer cette bavure politiquement très gênante en faisant croire à un accident, à une noyade.

Pourquoi l’armée zaïroise aurait-elle tiré sur les membres de l’expédition?

Ses responsables croyaient avoir affaire à des terroristes venus s’attaquer aux imposants barrages hydroélectriques situés au bord du fleuve.

Qu’est-ce qui a pu leur faire croire ça?

Parce que les services français avaient envoyé, peu avant, un télégramme aux autorités zaïroises les informant d’une possible attaque des barrages d’Inga, par un commando cubain en provenance d’Angola se déplaçant en rafts sur le fleuve. En faisant cela, ils ont mis sciemment en danger les membres de l’expédition. Dans les heures qui ont précédé l’arrivée de Philippe et de ses camarades, plusieurs camions militaires ont déposé des soldats qui ont pris position au bord de l’eau. Il s’agissait sans doute de stopper Africa-Raft. Mais la situation a dégénéré.

Mais pourquoi les autorités françaises ont-elles envoyé ce message trompeur?

Difficile à dire. Philippe avait sans doute un projet dans la région qui dérangeait les dirigeants français… Ils ont voulu l’empêcher de le réaliser et ça a dérapé.Rappelez-vous qu’à l’époque, il y avait des tensions entre l’Angola et le Zaïre. Mon oncle avait-il un projet de reportage, par exemple aller à la rencontre des opposants de Mobutu dans la région? Quoiqu’il avait à faire, cela n’a pas été cautionné par les autorités françaises et zaïroises.

Vous expliquez que lors de son dernier passage à Paris, peu avant de rejoindre l’expédition pour sa phase finale, Philippe était inhabituellement nerveux.

Oui, mon père lui avait parlé au téléphone et l’avait trouvé très nerveux, angoissé. Mon oncle ne «sentait» pas bien cette expédition. Plus tard, au Zaïre, un pilote qui avait effectué un vol de reconnaissance au-dessus des rapides avec Philippe l’avait trouvé, lui aussi, inquiet. Comme absent…

On a soupçonné Philippe de Dieuleveult de profiter de l’expédition Africa-Raft pour se livrer à des activités d’espionnage dans la région. Qu’en pensez-vous?

Philippe était bien capitaine de réserve au Service action de la DGSE. Mais selon le ministère des Armées, il n’était absolument pas en mission au Zaïre. Il n’a d’ailleurs jamais effectué de mission opérationnelle, selon ce même ministère.

Dans votre livre, on découvre comment les autorités françaises ont voulu, à tout prix, faire croire à la théorie de la noyade. Et comment elles ont fait pression sur votre famille.

Heureusement, mon père était un homme courageux. Il n’a rien lâché, pendant trente ans. Comme lorsqu’on nous a présenté un cadavre très abîmé retrouvé prétendûment dans le fleuve Zaïre et identifié, après une autopsie menée là-bas, comme étant Philippe. Or ce corps était mutilé au point qu’il n’avait plus de tête, plus de mains ni de pieds. Pas même de sexe. Autrement dit, sans signe d’identification possible! Heureusement, mon père a fait pratiquer une seconde autopsie, en France. Philippe avait une spécificité osseuse qui a finalement permis de déterminer que ce fameux cadavre n’était pas le sien. C’était celui d’un Noir!

Un autre corps a été repêché, présenté comme étant celui d’un autre membres de l’expédition, Guy Collette.

Oui, mais le rapport d’analyse ADN qui a prouvé scientifiquement son identité (16 ans plus tard en 2001) ne collait pas avec les rapports de dentitions de Guy Collette… Aucun autre corps des membres d’Africa-Raft n’a jamais été retrouvé. Il y a pourtant eu sept morts, dans cette pseudo affaire de noyade.



Pourquoi cette thèse de la noyade s’est-elle imposée?

Parce que personne n’a tapé du poing sur la table pour dire stop à ce mensonge. Pour dire: «Non, ce n’est pas une noyade, c’est une bavure militaire zaïroise!»

D’ailleurs, vous dites qu’au Zaïre, devenu la République démocratique du Congo, dans la région du drame, tout le monde semble connaître cette histoire de bavure.

En effet, ça n’est pas un secret. On sait là-bas qu’il y a eu bavure militaire. Mais on se tait. La loi du silence…

En France aussi, l’hypothèse de la bavure ne fait aucun doute.

L’amiral Lacoste, ancien patron de la DGSE, tient lui-même la noyade comme n’étant pas crédible et dit que la réalité est tout autre…

Deux membres d’Africa-Raft n’avaient pas embarqués pour la descente fatale des rapides. A l’époque, les militaires zaïrois les avaient questionnés et isolés pendant de nombreuses heures.

Oui, ils ont eu clairement l’impression qu’on voulait les empêcher de retrouver leurs amis, d’enquêter. Et, curieusement, on leur a fait signer un papier sur lequel, notamment, ils devaient reconnaître n’avoir entendu... aucun coups de feu! Ce qui pour une supposée noyade est un peu étrange. Des coups de feu!

On découvre en vous lisant qu’il y a eu beaucoup de morts dans le sillage de cette affaire.

Sans tomber dans le complotisme, il y a eu effectivement des témoins qui ont disparus ou qui sont décédés…

Vous faites référence dans votre livre aux déclarations de OKito Bene-Bene, un ex-officier des services secrets zaïrois décédé aujourd’hui, qui affirmait en 1994 avoir assisté à l’exécution de Philippe de Dieuleveult. Mais les propos de cet homme avaient été mis en doute à l’époque.

Oui, on avait cherché à le décrédibiliser. Mais mon père l’avait rencontré plusieurs fois. Il était absolument certain qu’il disait vrai, sur certains points. Pourquoi? Okito Bene-Bene, qui a pris des risques, lui avait confié des informations qu’il n’avait pu entendre que de la bouche de Philippe. Ce qui démontrait, pour mon père, que son frère avait bel et bien été capturé vivant.

Ce livre, c’est d’abord un hommage à Jean de Dieuleveult, votre père.

Absolument. Ecrire ce livre est pour moi donner un sens à son combat durant trente ans.A son décès, j’ai consulté tous ses documents. Si je n’avais pas été totalement convaincu par les preuves s’y trouvant, je n’aurais pas écrit cet ouvrage. Vous savez, mon père n’en voulait pas à l’armée zaïroise. En revanche, il en voulait énormément aux autorités françaises de l’époque qui ont trahi son frère.

Vous terminez votre ouvrage par une lettre ouverte au président de la République, lui demandant de faire éclater la vérité.

C’est le bon moment. Il ne peut pas cautionner ce mensonge d’Etat, ça n’est plus possible, c’est intenable! Les choses ont changé. Emmanuel Macron n’étant pas un partisan de la politique françafriquaine, il est temps de dire la vérité. Le moment est venu de rendre justice à mon oncle, Philippe de Dieuleveult.

Les bénéfices de la vente du livre d’Alexis de Dieuleveult iront à une association caritative.


Laurent Siebenmann