Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 22 août 2020

Earthcube, vigie des données des services de renseignement français


Rencontre avec une startup française, Earthcube, qui commence à concurrencer les géants du renseignement américains, comme Palantir, sous-traitant favori de la CIA. La France s'est vue obligée de recourir au secteur privé pour ses missions de défense devant l'exigence technologique des big data.

Après les armées privées, les hackers à la demande et les Top guns à louer, notre série Les Nouveaux Corsaires s'aventure aujourd'hui sur les dernières bornes du pouvoir des Etats, la dernière frontière : le traitement de masse des données, notamment celles issues de l'espace, aujourd'hui parsemé de satellites espions. Une activité que, faute d'espace de stockage et de puissance de calcul, tous les Etats disposant d'une flotte de satellite se voient contraints de déléguer au privé.

Car aucune des grandes puissances de renseignement n'a anticipé la croissance exponentielle des données que les espions allaient devoir traiter. A force de lancer à tour de bras des satellites d'observation, de déployer des flottes d'avions espions et de siphonner les réseaux de communication, les services de renseignement se sont retrouvés face à des Himalaya de téraoctets à traiter, corréler, classer et stocker. Une tâche souvent bien au-delà de leur savoir-faire technologique et de leurs capacités de stockage et pour laquelle, très tôt, tous les maîtres-espions de la planète ont été contraints de solliciter les génies de la Tech de la Silicon Valley.

Même la puissante CIA s'est retrouvée, en 2011, obligée d'aller frapper à la porte d'Amazon, pour lui louer en catastrophe des espaces de stockage dans le cloud, ces mégacentres de données mis en réseau à travers le monde. Un peu avant, l'agence de renseignement américaine, de concert avec son homologue NSA, avait fait la fortune d'une startup spécialisée dans le traitement des données, Palantir, devenu en dix ans l'indispensable auxiliaire des services américains.

A Paris, les maîtres-espions ont tardé à prendre la mesure du défi qu'allait bientôt représenter le traitement des données de masse. Et, comme ce fut le cas pour d'autres bouleversements technologiques, les drones ou le cyber, les services français payent aujourd'hui le prix de ce retard et mettent les bouchées doubles… en se tournant vers le secteur privé.

En 2015, notre lettre d'information Intelligence Online avait causé un certain émoi en révélant que, pressé par l'urgence de l'enquête sur les attentats, le service français de renseignement intérieur DGSI avait dû passer un contrat avec le groupe américain Palantir, sous-traitant favori de la CIA. Cette association avait suscité un tollé, certains dénonçant une intolérable atteinte à la souveraineté française. Mais la DGSI, mise sous pression par un gouvernement prêt à tout pour prévenir de nouvelles attaques, et incapable d'extraire elle-même les détails pertinents de la masse de données qu'elle avait interceptées, avait dû se résoudre à faire appel à Palantir – et ce d'autant plus qu'aucune entreprise française n'a, à l'époque, été capable de prêter main-forte aux hommes de la DGSI.

Suite à ce réveil brutal, l'administration française du secret s'est retroussé les manches et a finalement trouvé la réponse à ses besoins en traitement de données, non chez les mastodontes traditionnels de la défense française, mais chez une startup : Earthcube.

De nouveaux corsaires lèvent les voiles sur les nouveaux océans de données. Fini les officiers de fortune et les diplomates patentés qui partent se réinventer en Afrique ou ailleurs. Le nouveau corsaire 2.0 a des Stan Smith aux pieds et un sweat-shirt à capuche, il est issu des meilleures écoles d'ingénieurs et travaille dans un open space avec table de ping-pong et machine Nespresso dans le IXe arrondissement de Paris. C'est dans cet environnement, loin des bars d'hôtel où s'est élaborée notre série, que nous sommes reçus un vendredi de juillet.