dimanche 24 mai 2020
Les dessous de la diplomatie sanitaire au Moyen-Orient
L'épidémie de la COVID-19, bien qu’ayant mis à rude épreuve la planète, a aussi facilité des convergences que l’on aurait eu du mal à imaginer en temps normal. C’est le cas au Moyen-Orient, région d’instabilité chronique, où cette menace commune a permis de faire sauter certains verrous historiques avec la coopération médicale exemplaire entre palestiniens et israéliens, contrastant avec le régime iranien qui n’a rien fait pour protéger sa population et a, au contraire, facilité la propagation du coronavirus via ses supplétifs, de Téhéran à Beyrouth.
Israël, l’Autorité Palestinienne, Gaza et les autres
Malgré des désaccords politiques persistants, la coopération médicale et sécuritaire entre Ramallah et Jérusalem a été exemplaire et saluée comme telle par toutes les instances internationales. C’est le principe de réalité plutôt que l’idéologie qui a primé. Car si aucun accord n’avait été trouvé, l’exiguïté géographique (Israël correspondant à deux départements français) et l’intrication des populations, auraient fait courir un risque existentiel aux deux peuples. En effet, depuis les accords d’Oslo, les zones A et B de la Cisjordanie sont autonomes et sous contrôle de l’Autorité palestinienne, seule la zone C, regroupant la majorité des implantations juives, est sous administration israélienne.
Israël a très tôt mis en place des mesures drastiques et des solutions technologiques pour enrayer l’épidémie en partie liée à l’afflux de touristes venant du monde entier pour les fêtes religieuses. Outres les Universités et les Start-Ups tournant à plein régime dans la lutte contre la maladie, les services de renseignement ont été mis à contribution : le Mossad organisant l’importation de respirateurs et de médicaments pour les services de réanimation et le Shin Beth (service de renseignement intérieur), le traçage des personnes contaminées ainsi que leurs contacts pour une prise en charge ultrarapide. D’abord critiquées au niveau international, elles ont rapidement fait école et ont été partagées par les autorités avec tous ceux qui en faisaient la demande, en tout premier lieu avec leurs voisins. Ainsi, du matériel médical a rapidement été acheminé, et des formations dispensées par des médecins israéliens à leurs collègues palestiniens, y compris ceux de Gaza sous le contrôle du Hamas, reconnu comme une organisation terroriste par de nombreux pays. Un laboratoire de biologie médicale, fruit d’un partenariat israélo-chinois a pris en charge la réalisation des tests de dépistage pour la population de la bande côtière.
Plus spectaculaire encore, la coopération stratégique entre l’Etat Hébreu et les pays du Golfe arabo-persique, déjà très actif mais discret, a été considérablement renforcé par l’urgence de la crise sanitaire, afin de partager au plus vite le savoir-faire israélien. Selon certaines indiscrétions, le Qatar serait également du nombre. Le rapprochement est tel que pour la première fois un vol officiel direct a relié les Emirats Arabes Unis à Tel Aviv pour convoyer de l’aide médicale à destination des palestiniens.
Cette coopération étroite, ne doit cependant pas occulter certains discours de haine persistants. Citons le Premier Ministre palestinien, Maohammed Shtayyeh accusant, contre toutes les évidences, les israéliens d’être responsables de l’épidémie, ou encore certains imams de Gaza parlant de « punition divine ». Cette période n’a pas non plus été totalement exempte d’actions violentes avec des tirs de roquettes ou de tentatives d’attentats contre des civils israéliens. Le but manifeste étant de saper les efforts de rapprochement via la « diplomatie sanitaire ».
L’Iran et ses supplétifs
En ce qui concerne l’Iran, ce sont d’autres considérations qui ont prévalu. En mal de légitimité, et après avoir épuré drastiquement les candidatures jugées trop modérées, le régime des mollahs a caché la gravité de l’épidémie afin de maintenir les élections législatives de février. Mais, rien n’y a fait. Et devant le taux de participation historiquement faible, s’apparentant à une véritable déroute, le Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khameneï, a condamné « les ennemis de l'Iran » et « la propagande négative » autour de la pandémie de la Covid-19. Par la suite, la gestion de la crise sanitaire a été calamiteuse. Et malgré le déni du pouvoir, les images satellites ont révélé l’ampleur de la catastrophe avec des clichés d’immenses fosses communes. Les morts ne se comptant plus, et l’incurie des élites ont encore augmenté la défiance envers les dirigeants de la théocratie chiite.
Mais, le cynisme ne s’arrête pas là. Afin de maintenir leur emprise régionale et malgré les risques de contamination, les Pasdarans (les gardiens de la révolution islamique) ont poursuivi leurs déplacements sans aucun contrôle médical, et les livraisons d’armes sur tout l’axe chiite, de Téhéran à la Méditerranée. Pensant profiter du chaos généré par la situation sanitaire pour prendre l’avantage, c’est l’inverse qui s’est produit. Telles des empreintes, on a vu apparaître des foyers infectieux partout sur leur passage, touchant jusqu’au plus haut niveau les membres des milices chiites irakiennes pro-iraniennes, jusqu’au Hezbollah en Syrie et au Liban. Devant ce fiasco et par peur de voir décapiter les forces vives de leur programme nucléaire, les autorités ont ralenti temporairement son développement, sans pour autant mettre un terme à leur ambition de détenir l’arme atomique. La preuve en est, le récent test d’un missile balistique intercontinental, pourtant prohibé par les accords internationaux, sous couvert de programme spatial civil.
Outre les attaques, par proxys interposés, visant les membres de la coalition internationale, les USA, ou Israël, la politique hégémonique perse menace désormais directement les intérêts syriens et russes. Cette situation inédite a renforcé la coordination entre Washington, Moscou et Jérusalem. Surtout, avec la perspective très crédible d’actions contre le programme nucléaire militaire de Téhéran qui pourraient prendre la forme d’actions technologiques de grande ampleur. En effet, si l’Iran est coutumier de cyberharcèlement, la récente attaque contre le système vital de gestion des eaux israélien et la réponse immédiate et fulgurante de Tsahal, a fait basculer la région dans la guerre cybernétique. Après avoir rapidement neutralisé l’action malveillante, les informaticiens de l’Etat Hébreu ont totalement neutralisé la plus grande installation portuaire perse, essentielle à la survie économique du pays. Cette réponse calibrée, sans aucune perte humaine qui n’aurait pu être réalisée sans l’assentiment des deux superpuissances, laisse augurer de ce qu’il pourrait advenir si les Mollahs chiites voulaient concrétiser leur désir de « solution finale » comme le guide suprême vient de le promettre. Dépensant des milliards de dollars dans le domaine militaire, au détriment de sa population qui manque de l’essentiel, la République islamique adopte une posture de victime face aux « sanctions américaines injustifiées ». Et sans vergogne, elle exige de la communauté internationale une aide financière pour faire face à la pandémie.
L’Union Européenne, l’équilibre impossible entre l’Iran et Israël ?
Il est étonnant de constater que malgré les faits accablants, certains se laissent séduire par les sirènes perses. Ainsi, Josep Borrell, le Haut représentant de l'Union Européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a choisi pour l’un de ses tout premiers déplacements le chemin de Téhéran. A son retour, il s’est fendu d’une déclaration très critique… envers l’Etat Hébreu, alors qu’il n’avait reçu aucun mandat pour le faire. Pourtant, ce ne sont pas les dossiers de première importance qui manquent, tant la gestion de la crise sanitaire a fait apparaître les faiblesses de l’Union. On peut pointer le manque de solidarité envers les pays les plus touchés, comme l’Italie, les carences des systèmes de santé, les pénuries en produits essentiels liées aux délocalisations, la trop grande dépendance à la Chine, la relance de l’économie avec son corollaire, la gestion commune de la dette contractée pour passer le cap. Ou pourrait évoquer également le très oublié dossier chypriote qui hypothèque grandement la crédibilité européenne. Alors que le nord de l’île est sous occupation militaire turque, l’UE s’est peu mobilisée pour défendre l’un de ses membres.
Tous ces dossiers, et bien d’autres encore, vont conditionner l’avenir de près de 450 millions d’européens. Malgré cela, une autre priorité semble se dessiner. Les mauvais élèves de la pandémie, la France et l’Espagne en tête, ont décidé de lancer une initiative visant à sanctionner l’Etat Hébreu en cas d’application du plan de paix américain. N’attendant pas que le nouveau gouvernement israélien soit installé, après la plus longue crise politique qu’ait connu le pays, un large train de sanctions est déjà envisagé. Alors qu’il existe habituellement toute une gradation diplomatique avant d’en arriver là. Il est possible, en réalité, que soit visé le très impopulaire Donald Trump, apôtre de l’« America first » et fossoyeur du multilatéralisme cher à son prédécesseur. En renouant avec l’esprit Gaullien, l’idée pourrait être de redonner un semblant de dynamique autour d’un projet commun, l’opposition à l’Amérique, afin de bâtir une indépendance stratégique. Cependant une telle démarche ne résoudrait en rien les problèmes structurels de l’Europe. Pire encore, cela pourrait aggraver les dissensions existantes et en créer de nouvelles, tant l’unanimité n’est pas acquise sur ces sujets.
L’Union Européenne et sa vision du « monde d’après » pour le Moyen-Orient
Si l’Europe veut contribuer honnêtement à la résolution des conflits du Moyen-Orient, elle doit d’abord résoudre ses propres contradictions et faire une analyse factuelle des fruits de sa politique étrangère, de l’ère coloniale à nos jours. Car une partie des conflits actuels résulte des frontières qu’elle a contribué à forger pour son usage exclusif, guidée par ses intérêts économiques, énergétiques et stratégiques. Ensuite, il faudra s’abstenir de considérations de politique intérieure en même temps que la tentation d’ingérence extérieure, pour être utile à toutes les parties, au risque, dans le cas contraire, de se marginaliser en proposant des solutions inopérantes à des problèmes complexes.
A l’heure d’une recomposition politique sans précédent au Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique voyant converger les intérêts arabes et israéliens, les tenants d’une doctrine européenne héritée du XXème siècle ne sont plus audibles. Israël, ce petit pays enclavé, initialement sans ressource, s’est mué en « Start-Up nation ». Il a su devenir incontournable dans de nombreux domaines que ce soit sur le plan technologique, de la santé, militaire ou du renseignement, aboutissant à un partenariat unique avec les trois pays les plus puissants de la planète, les USA, la Russie et la Chine. Evitons de rééditer l’erreur fondamentale de la politique d’embargo mise en place par le Général de Gaulle. Avant 1967, le Mirage, fleuron de la technologie aérienne française avait bénéficié de la très large publicité faite par les pilotes israéliens. Aujourd’hui, les mêmes pilotes ont transformé l’échec industriel initial du F35 américain en success-story. Il y a définitivement plus a à gagner pour les peuples d’Europe et du Moyen-Orient en une politique internationale respectueuse et équilibrée.