lundi 18 mai 2020
Le rapport selon lequel le Covid-19 vient d'un labo chinois ne résistent pas à l'examen des faits
Il y a quelques semaines, un rapport de trente pages rédigé par MACE, filiale du sous-traitant du Pentagone Sierra Nevada, affirmait que le SARS-CoV-2 s'était échappé de l'Institut de virologie de Wuhan, un laboratoire P4 créé en coopération avec la France. Mais selon le site d'information The Daily Beast, le document est bourré d'erreurs.
Il repose principalement sur le renseignement en sources ouvertes ou OSINT, pour open-source intelligence. Cela consiste à analyser des données librement disponibles sur internet pour en tirer des informations. MACE a notamment exploité l'imagerie des satellites Maxar de la société DigitalGlobe. Mais les interprétations laissent à désirer.
Ainsi, selon le rapport, des «barrages routiers» ont été mis en place autour du laboratoire et la circulation interrompue du 14 au 19 octobre, en raison d'un «incident». D'autres images du même satellite, récupérées par The Daily Beast, montrent qu'il s'agissait de simples travaux et que le trafic routier était normal.
Tout ce qu'il ne faut pas faire
«C'est un [véritable] guide illustré sur ce qu'il ne faut pas faire en analyse open source. Il est rempli de comparaisons entre des poires et des bananes, de [conclusions écrites à l'avance] et d'un refus total d'envisager des explications banales», accuse Jeffrey Lewis, chercheur au Center for Nonproliferation Studies, qui utilise l'OSINT pour surveiller les activités nucléaires militaires en Asie.
MACE relève aussi, comme preuve de «l'incident», que sur une période de plusieurs mois, sept téléphones portables ont cessé d'émettre autour du laboratoire, à raison d'un ou deux par mois. Selon Jeffrey Lewis, c'est un échantillon trop petit pour être significatif, et il est plus probable que les portables aient été perdus, volés ou soient tombés en panne.
Le rapport affirme également qu'une conférence sur la biosécurité des laboratoires qui devait se tenir à l'Institut a été annulée à la suite de «l'incident». Comment expliquer alors que Nick Waters, du site d'investigation en open source Bellingcat, ait retrouvé les selfies qu'un scientifique pakistanais avait postés sur Facebook depuis l'événement? NBC confirme que la conférence a bien eu lieu.
Une opération d'influence américaine?
«Les auteurs auraient peut-être dû passer plus de temps à vérifier leur analyse, plutôt que de chercher à recadrer l'œil de Sauron dans un logo copié-collé sur internet», ironise Nick Waters. Plusieurs sources proches des services de renseignement et du Sénat américain affichent le même scepticisme.
Il est clair que la Chine a menti sur plusieurs aspects de la pandémie de Covid-19. Mais des membres de l'administration Trump ont fait pression sur les agences de renseignement pour qu'elles démontrent une responsabilité directe de la Chine, selon le New York Times. Notamment en défendant la thèse de l'incident de laboratoire, globalement rejetée par la communauté scientifique. Le travail de MACE ressemble donc à un service commandé.
Un rapport similaire a fait les gros titres du quotidien australien Daily Telegraph, avant d'être sérieusement mis en doute par les autorités et d'autres médias. Ceux-ci pensent qu'il a été transmis par les services américains au journal afin d'appuyer les accusations de Donald Trump et de Mike Pompeo contre la Chine. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Pékin et Moscou ne sont pas les seuls à pratiquer l'art de la désinformation.