«Voyager en avion n’aura jamais été aussi étrange», témoigne Laurel Chor à son arrivée à l’aéroport de Hongkong métamorphosé en première ligne de défense contre le Covid-19. Elle a dû remplir divers formulaires, prendre sa température, installer un bracelet électronique et télécharger une application de traçage, puis écouter tout un tas de règles à respecter en vue de sa quarantaine.
Elle a ensuite réalisé un dépistage du Covid-19 et attendu sur place les résultats, sésame obligatoire depuis le 22 avril pour pouvoir sortir de la zone aéroportuaire. «Je savais que mon voyage de retour serait compliqué, mais je n’étais pas préparée à ce sentiment d’isolement, ni à devoir passer d’une scène dystopique à une autre», raconte la journaliste du Guardian dans les colonnes du quotidien anglais.
Une fois la douane passée, les passagers sont acheminés en bus jusqu’au parc des expositions distant de 3 kilomètres, et des robots autonomes dotés de stérilisateurs à lumière ultraviolet – l’un des outils high-tech déployés depuis la pandémie – désinfectent tout. Ensuite, «encore plus de paperasse, plus de questions, pas beaucoup d’explications, et l’heure du test arrive», résume une Américaine sur son blog.
Dans des petits isoloirs espacés les uns des autres, chacun crache dans tube, puis attend huit heures en moyenne dans une salle vertigineusement grande, installé à une petite table, à distance des autres passagers. Les plus chanceux sont envoyés dans un hôtel jusqu’à l’annonce des tests traités par le laboratoire de santé publique du département de la Santé. Si le test est positif, c’est l’hospitalisation. S’il est négatif, quatorze jours d’isolement strict chez soi, à l’hôtel ou dans un centre réquisitionné par le gouvernement.
Gigantesque fichier génétique
Sur les forums, l’inquiétude concerne la longueur du processus, mais pas le devenir des données personnelles livrées involontairement. «Les données biologiques sont très sensibles et énormément d’informations peuvent en être extraites», souligne pourtant Maya Wang, analyste au sein de l’ONG Human Rights Watch (HRW).
Les prélèvements salivaires fournissent des informations précieuses sur le patrimoine génétique dont peuvent être friands la police criminelle, les assureurs ou les gouvernements répressifs. HRW a par exemple alerté en 2017 sur un programme de santé gratuit proposé en Chine à la minorité ouïghoure et sous couvert duquel Pékin aurait collecté l’ADN de millions de membres de cette communauté musulmane et constitué un gigantesque fichier génétique à des fins de surveillance.
A Hongkong, la défiance est importante à l’égard de la reconnaissance faciale, installée dans l’aéroport et certaines rues. Avec le virus, les opposants craignent que les autorités n’utilisent la pandémie pour pérenniser des mesures de surveillance et interdire les rassemblements. «Le Covid-19 donne aux services de l’immigration, à travers le monde, l’autorité pour amasser énormément de données biologiques qui sont des informations particulièrement sensibles. Nous ne sommes pas opposés à la collecte de données par les gouvernements, mais elle doit être légale, proportionnée par rapport au but recherché. Il faudrait donc qu’il y ait un débat sur ces points et l’existence de mécanismes alternatifs», poursuit Maya Wang.
«Sujet de controverse»
Dans le cas présent, les prélèvements salivaires servent spécifiquement à la lutte contre le Covid-19. Dans les formulaires à remplir par les passagers, il est indiqué que «les données personnelles fournies seront utilisées par le département de la Santé afin d’empêcher l’apparition ou la propagation d’une maladie infectieuse ou d’une contamination».
Dans ce but, les données peuvent être divulguées à d’autres services gouvernementaux ou des parties compétentes. Ce transfert des données est un autre point noir soulevé par le député Charles Mok. «Il devrait y avoir beaucoup plus de transparence», estime l’élu d’opposition.
Hongkong possède une loi sur la protection des données depuis 1996, un texte à l’époque précurseur en Asie, adopté un an avant la rétrocession de la colonie britannique à la Chine. «En général, ce genre de données collectées pour un but précis est plutôt bien respecté à Hongkong, juge Maya Wang, mais avec le principe "un pays, deux systèmes" de plus en plus sous pression, la collecte de données devient un sujet de controverse et des questions doivent être posées sur la manière et la durée pendant laquelle ces données sont stockées.»
La loi indique pour l’instant que les données ne peuvent être «conservées plus que nécessaire». Or une commission réunie en janvier au Parlement local en vue d’une révision de la loi relevait que «plus les données sont conservées longtemps, plus le risque de violation de données est élevé et plus l’impact est grave».
Un certain flou semble encore régner, comme en témoigne Alice, filmée par la police sur WhatsApp pendant sa quarantaine. «Ils m’ont demandé de leur montrer mes enfants et mon appartement. Quand j’ai demandé combien de temps la vidéo serait conservée, on m’a répondu qu’ils la garderaient pour les besoins de la quarantaine et elle devrait supposément être détruite par la suite s’il n’y a pas d’irrégularités.» C’est pour mieux encadrer ces flous que certains poussent à moderniser la loi. Mais dans le contexte de pandémie et de troubles politiques, le sujet n’a pas encore été mis à l’ordre du jour.
Anne-Sophie Labadie