Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 4 février 2017

Quand la démocratie cède la place à la médiacratie…




Il est commode de fustiger la théorie du complot sans même l’avoir examinée sur le fond, c’est en général par ce procédé que les dictatures bétonnent leur pouvoir (voir Robespierre et le complot aristocratique ou Staline et le complot des blouses blanches).

Y a-t-il matière à complot dans le programme de François Fillon, telle est la question. La réponse est oui. François Fillon était le seul candidat de la primaire à proposer une normalisation de nos relations avec la Russie. S’il a été abusivement présenté comme un intime de Vladimir Poutine, il n’en est pas moins vrai qu’il est l’un des rares hommes politiques français à entretenir de bonnes relations avec le maître du Kremlin. Est-ce un motif suffisant ? Dans le contexte actuel, je pense que oui.

Les Français ont en mémoire l’affaire DSK et, pour une bonne partie d’entre eux, l’ancien directeur général du FMI a été piégé. On ne connaîtra, vraisemblablement, jamais la vérité. Les Français ont, en revanche, totalement oublié comment Dominique de Villepin fut éjecté de la course à l’Élysée. Il est vrai que l’affaire Clearstream est très complexe, mais il convient de se souvenir que personne n’a jamais réussi à expliquer le point de départ de l’affaire et, surtout, personne n’a vraiment cherché à faire le rapprochement avec la déclaration publique de Paul Wolfowitz, le bras droit de Donald Rumsfeld et faucon parmi les faucons au sein des néoconservateurs, déclaration au terme de laquelle la France allait payer cher le prix de sa trahison.

Villepin, Strauss-Kahn et maintenant Fillon, trois fois de suite le favori dans la course à l’Élysée est mis hors course, le dernier in extremis, mais il est vrai que l’on ne l’attendait pas. Faut-il, encore une fois, éliminer d’emblée l’hypothèse du complot ?

Les journalistes du Monde, ceux de Mediapart, ceux du Canard Enchaîné se bombardent enquêteurs. Ils sont devenus, de fait, des délateurs, des relais de toutes les sources qui veulent briser un homme, des outils de vengeance de telle ou telle faction, de tel ou tel parti. Ils sont devenus les collabos de ceux qui les utilisent pour abattre leurs adversaires. Regardez le sourire béat et benêt du Canard-chef se félicitant, sans cacher son plaisir, d’avoir pu enquêter jusqu’à plus soif, sur le travail prétendument bidon de Mme Fillon.

Mais quel journaliste s’est donné la peine de connaître qui était le bénéficiaire du brouhaha qu’il a déclenché ? Quel commentateur politique s’est donné la peine de savoir qui avait bien pu fournir de telles informations au Canard, à la veille d’une campagne électorale décisive, sachant fort bien que ces infos étaient connues depuis des lustres par cet informateur ?

L’exemple de François Fillon restera historique dans l’histoire de la presse, de la justice et de la politique. Moins de 24 heures après la révélation du Canard enchaîné, la justice se saisissait, en effet, de l’information et la transformait en une bombe destinée, 80 jours avant une élection présidentielle capitale, à éliminer le candidat que la droite et le centre s’étaient choisi.

Méthode identique pour tenter de salir la candidature de Marine Le Pen : on sort une nouvelle affaire apportée aux médias sur un plateau d’argent par un certain Martin Schultz, son ennemi numéro un.

À l’heure ou ces lignes sont écrites, tout est détaillé par les chaînes et les journaux. Toutes les demi-heures, les chaînes d’information continue s’en donnent à cœur joie sans connaître la moindre preuve récoltée ou pas par la Brigade Financière, en sachant pertinemment que celle-ci n’aura pas, avant l’élection, le résultat de ces éventuelles indélicatesses de la famille Fillon. Mais l’hallali ne pourra pas attendre la fin des enquêtes financières. Les médias ont atteint leur but : déstabiliser à l’extrême le candidat de la droite, faisant la fortune d’Emmanuel Macron dont le sourire d’ange fait craquer les journalistes de tous bords. Et la politique, encore de gauche, a saisi la balle au bond, au grand bonheur du Président Hollande, ravi que ces révélations amènent, en pleine déroute socialiste, un candidat qui lui ressemble.

D’ailleurs quid des indélicatesses de M. Macron que j’estime être, comme l’a si bien démontré ici Maître Pichon, autant préjudiciables, sinon plus, car venant d’un ministre en exercice ? Ces fameux frais de bouche payés par Bercy pour que M. Macron puisse inviter à tour de bras ses amis financiers et politiques. Si Mme. Fillon doit montrer aux enquêteurs la liste détaillée de ses rendez-vous, M. Macron ne devrait-il pas livrer le nom de tous ses invités à ces repas ministériels, et l’objet de ces déjeuners et dîners.

Deux poids deux mesure sont depuis 2012 la règle d’or des gouvernements Hollande. Et l’affaire Fillon pourrait bien nous reconduire pour cinq ans dans un délire socialiste qui a déjà coûté si cher à la France. Alors si Fillon devait déclarer forfait, qu’il ait le courage d’inviter ses électeurs à un grand rassemblement de droite, de toutes les droites, seul moyen pour en finir avec les bobos et la médiacratie et renouveler ainsi avec la démocratie qui n’est rien d’autre qu’un pouvoir politique contrôlé par le peuple pour lequel l’idée d’un front républicain n’est pas acceptable.

L'affaire trouve-t-elle ses racines dans le scandale Bygmalion?

Un plat qui se mange froid. Et si le Penelope Gate n’était que la tardive riposte des victimes des semaines sanglantes qui ont ravagé la droite entre juin et juillet 2014 ? Ce qui est certain, c’est que Fillon s’était attiré, à l’époque, de très solides inimitiés.

Alors que l’UMP vient de subir un cuisant échec aux élections européennes de 2014, le scandale Bygmalion n’en finit pas de faire des ravages. Premier visé, Jean-François Copé a été poussé à la démission le 15 juin. A ce stade, l’affaire des 18 millions d’euros de fausses factures payées par l’UMP n’est pas encore clairement associée aux comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.

Les amis de l’ex-Président se mobilisent pour préparer son retour. Au plus haut dans les sondages, devant Juppé et Fillon, il apparaît comme l’homme providentiel, seul capable de sauver du naufrage une famille politique dévastée. François Fillon et Alain Juppé voient ce retour d’un très mauvais œil. Malgré les protestations des sarkozystes, ils s’imposent, avec Jean-Pierre Raffarin, à la présidence par intérim du parti.

Frais de déplacement et salaires mirobolants

Ce triumvirat d’ex-Premiers ministres gouvernera le parti jusqu’au retour de Sarkozy, fin 2014. Au début du mois de juillet, le Canard enchaîné, Mediapart et quelques autres titres seront abreuvés de révélations mettant en cause des amis de l’ancien chef de l’Etat et du député et maire de Meaux, alors associés dans une coalition sarko-copéiste. C’est ainsi que l’on apprenait que l’épouse de Jean-François Copé avait bénéficié de 24 000 euros de frais de déplacement et qu’elle était, par ailleurs, salariée de son mari en tant que collaboratrice parlementaire. Que l’ex-directeur général de l’UMP Eric Cesari touchait un salaire mirobolant de 12 500 euros mensuels brut tandis que Geoffroy Didier avait droit à 8 500 euros en tant que collaborateur de Brice Hortefeux. Les nouveaux maîtres du parti semblaient particulièrement intéressés par le cas Dati : on livrait le détail de ses frais de téléphone, ses billets de train et d’avion. Au total, plus de 20 000 euros pris en charge par l’UMP.

Sarkozy, le paratonnerre

Visant explicitement Fillon et son entourage, Copé avait attaqué «ceux qui balancent des boules puantes dans la presse». Dans son style inimitable, Rachida Dati avait dégainé une série de tweets assassins : «La délation et la calomnie ne sont pas nos valeurs. Que ceux qui prétendent aux plus hautes fonctions, qui les bafouent, y réfléchissent !», «Que ceux qui balancent fassent attention, qu’ils cessent de donner des leçons de morale ou d’exemplarité ! Il faut l’être soi-même !» ou encore, «que François Fillon soit transparent sur ses frais et ses collaborateurs».

La relecture de ce dernier message, étrangement prémonitoire, pose évidemment question. Un cadre du parti, contacté par Libération, fait remarquer que les interrogations de Dati n’avaient à l’époque intéressé personne. «Il est vrai que Fillon était alors protégé par son paratonnerre. Les affaires, c’était Sarkozy et personne d’autre.»

L'Élysée et Macron à la manœuvre ?

"Cette opération ne vient pas de chez nous, pas de notre camp. Cette affaire vient du pouvoir", a balancé François Fillon devant ses troupes. Le candidat LR à la présidentielle, a aussi dénoncé une "tentative de coup d'État institutionnel" venu de "la gauche". Ses soutiens partagent évidemment ce point de vue. Et les plus fervents balancent même ouvertement les noms de ceux qui font, selon eux, partie du complot.

Les députés LR Éric Ciotti et Bernard Debré qui citent, Jean-Pierre Jouyet, François Hollande, Emmanuel Macron ou encore l'ancien juge et président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique Jean-Louis Nadal comme grands organisateurs de cette "chasse à l'homme".

Éric Ciotti explique ainsi :

Les éléments qui sortent, les contrats, les chiffres, qu'ils soient dans le domaine privé ou dans celui de l'Assemblée nationale, du Sénat, il y a qu'un lieu où tous ces éléments sont recensés de façon exhaustive : c'est à Bercy. C'est à Bercy. Voilà. Donc après... [...] Il y a en tout cas les déclarations de revenus de façon exhaustive sur toutes les années, bien entendu. [...] Ça veut dire que le pouvoir en place a la capacité de disposer de ces éléments et on voit bien que c'est une possibilité. Si on converge, si on rapproche ces deux éléments à qui profite le crime et qui dispose des éléments pour commettre le crime vous avez déjà des indices pour mener l'enquête.

Jean-Pierre Jouyet
Il avait déjà annoncé lui-même la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon quelques heures avant l'officialisation en mai 2012, ou qui, à la tête de la banque publique d'investissements (BPI), avait qualifié le site ArcelorMittal de Florange de "canard boiteux"?
Secrétaire général de l'Elysée depuis le 16 avril, Jean-Pierre Jouyet, 60 ans, est un haut fonctionnaire appartenant au premier cercle de François Hollande, revenu en grâce à gauche après avoir brièvement rallié Nicolas Sarkozy en 2007. Malgré tout, cet homme au caractère cordial reste peu connu du grand public.
Propulsé à la tête de la Caisse des dépôts (CDC) puis de la Banque publique d'investissement dans la foulée de la victoire du candidat socialiste à l'élection présidentielle de 2012, Jean-Pierre Jouyet avait remplacé un autre proche du président à ce poste stratégique, Pierre-René Lemas.


[...] [Emmanuel Macron] est très proche de l'actuel président de la République, du secrétaire général de l'Élysée qui a fait monter Macron. Le secrétaire général de l'Élysée, c'est Jouyet. Moi je le dis très clairement, ce sont des faits. Monsieur Macron n'est pas éloigné de ce pouvoir, au contraire, il bénéficie, au sein de l'appareil d'État, d'un soutien très important. Nul n'ignore que Jouyet a été un acteur majeur dans la montée en puissance de Macron. Et nul n'ignore, aussi, l'opportunisme légendaire de monsieur Jouyet, qui a été jusqu'à être ministre de Nicolas Sarkozy avant d'être secrétaire général [de l'Élysée] de François Hollande et d'être un soutien de monsieur Macron.

Quant à Bernard Debré, il affirme qu'une "officine" est derrière tout ça, même s'il ne "sait pas laquelle". S'en suit cet échange :

- Bernard Debré : On n'a pas de preuve, mais on sait tr...

- Journaliste : Alors pourquoi avancer que c'est une officine ?

- Bernard Debré : Parce qu'on est en train de chercher et qu'on a des suspicions. Ces suspicions, c'est monsieur Nadal, qui a été nommé par le gouvernement, c'est monsieur... euh... un conseiller de François Hollande qui est là pour ça. On le sait bien ! Voilà.

Lui aussi cible-t-il Jouyet ? "Pas du tout, monsieur Jouyet n'est pas venu dans ma bouche, c'est vous...", se défend Bernard Debré. Et de reprendre sur le juge Nadal : "Bien entendu : il a été nommé pour ça ainsi que d'autres".

- Journaliste : Ça profite à qui ?

- Bernard Debré : Bah à la gauche, à qui voulez-vous que ça profite ? Ça profite à monsieur Macron, c'est évident. Quand l'affaire a commencé, on pouvait imaginer entre Hamon et Valls, l'un des deux. Alors ça profitera pas beaucoup à Hamon mais ça profitera à...

- Journaliste : Tout est monté depuis l'Élysée ?

- Bernard Debré : Ah bah j'en suis absolument persuadé, persuadé ! Qui voulez-vous qui monte ça, qui voulez vous qui ait ces informations ?

La vengeance d'une brune ?

Pour lancer ce que certains appellent « la boule puante », il faudrait donc être déjà hors course politiquement et en ruminer quelques rancunes. François Hollande aurait, dans ce cas, le profil adéquat, d’autant plus que son penchant pour les confidences aux journalistes est avéré depuis des décennies ; il lui a même coûté sa candidature après la publication d’Un Président ne devrait pas dire ça…

Nicolas Sarkozy, qui a été évincé de la primaire par ce « collaborateur » qu’il méprisait ouvertement, pourrait aussi tenir lieu de suspect, d’autant plus que Fillon s’était fendu de leçons de morale à son endroit en lançant le fameux « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Il y aurait, là, comme la réponse du berger à la bergère, mais compte tenu de la hauteur de vue, de la noblesse de caractère et du sens des responsabilités des deux derniers présidents de la République française, ces hypothèses ne sont pas des plus probables !

Reste, alors, la piste de la vengeance personnelle d’un membre des Républicains malmené par François Fillon.

Plusieurs noms de personnalités ayant des motifs de haine à son endroit ont circulé, mais le plus convaincant reste l’hypothèse Dati, même si elle a démenti être le corbeau.

On se souvient, en effet, que Rachida Dati a vu la 2e circonscription sur laquelle elle lorgnait dans le VIIe arrondissement de Paris être « donnée » à sa rivale de toujours, NKM, à la demande expresse de François Fillon. L’ex-garde des Sceaux avait alors menacé, le 18 janvier, de « se répandre dans la presse » ; une menace que les réseaux sociaux et, dans leur foulée, une partie de la presse mettent en lien avec deux autres indices. Le premier est une petite remarque de François Hollande au détour d’une de ses conversations avec les auteurs d’Un Président ne devrait pas dire ça… : « Il y en a une qui est prête à beaucoup parler, c’est Dati », assurait-il. Le deuxième indice est un tweet coupe-feu émis par Dati en 2014 alors qu’elle cherchait à s’extraire d’un scandale de factures téléphoniques pharaoniques. « L’habit ne fait pas le moine. Que François Fillon soit transparent sur ses frais [et] ses collaborateurs », lançait-elle, énigmatique.

Floris de Bonneville