Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 12 décembre 2016

Syrie : les vérités dérangeantes de Carla Del Ponte




C’était dimanche soir dans « Vox Pop », le magazine d’Arte. Après une enquête sur ces Européens qui, dans les pays du Nord, traquent les bourreaux planqués parmi les réfugiés qui arrivent en masse, John Paul Lepers s’entretenait avec Carla Del Ponte, ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.

Carla Del Ponte est, aujourd’hui, chargée par l’ONU d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises en Syrie depuis mars 2011. Vaste programme… Et si elle reconnaît travailler aujourd’hui pour « la postérité » puisqu’aucune action concrète n’est engagée, elle n’en tient pas moins un discours assez peu convenu, pour ne pas dire franchement à côté des clous… Un discours qui détonne, en tout cas, dans le concert de propos manichéens que nous servent quotidiennement politiques et médias.

Petit rappel historique, pour commencer, sur cette juridiction internationale mise en place après les terribles conflits du XXe siècle. Le conflit dans l’ex-Yougoslavie ayant occupé en continu les médias en montrant chaque jour les exactions commises sur le terrain, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé d’agir, fortement poussé alors par les Américains – à l’époque, la secrétaire d’État Madeleine Albright. Un an après intervenait le génocide du Rwanda et, là aussi, le Conseil de sécurité décidait d’un tribunal ad hoc.

De ces deux tribunaux d’exception est née, en 1998, la Cour pénale internationale, basée aujourd’hui à La Haye, reconnue par 128 pays, mais ni par la Chine, la Russie et… les USA. Lorsque Lepers demande à son interlocutrice pourquoi les États-Unis, demandeurs à l’origine, restent exclus du jeu, elle répond avec un petit sourire que « les Américains ne veulent pas qu’une cour pénale internationale juge des Américains. Ils pensent qu’ils peuvent le faire eux-mêmes… »

Pourtant, dit Lepers, « il y aurait des choses à dire… En Afghanistan, par exemple. » Elle acquiesce : « C’est vrai que ça n’est pas ce que ça devrait être, mais c’est un bon début… Il faut y croire… »

Le paradoxe, aujourd’hui, est que l’ONU a créé cette commission d’enquête sur la Syrie dont Carla Del Ponte est chargée, mais la Cour pénale qui en est issue demeure inopérante parce que le Conseil de sécurité, seul habilité à lui demander de se mettre en place, ne le fait pas. Neuf résolutions ont été prises, qui n’ont pu aboutir en raison du veto de la Russie et de la Chine.

Et dans vos enquêtes, « vous vous attaquez à qui ? » demande Lepers. Réponse : « Aux hauts responsables politiques et militaires de tous les camps… Car il n’y a aucun groupe, aucune entité qui participe à cette guerre qui n’ait pas commis des crimes… […] Alors on attend que le Conseil de sécurité se décide. »

Et en attendant, justement, une crise secoue la Cour pénale internationale : 34 pays africains menacent d’en sortir car, disent-ils, « il s’agit d’une chasse raciale », et accusent le TPI de « ne s’intéresse(r) qu’aux conflits africains ».

« Je comprends les Africains, répond Carla Del Ponte, parce qu’effectivement, c’est devenu un tribunal qui s’occupe presque exclusivement de l’Afrique », alors qu’il est évident qu’il faudrait « ouvrir des enquêtes dans d’autres pays »…

Lepers avance des noms : « Il y a la Géorgie, l’Afghanistan, l’Ukraine… d’autres ? » Elle sourit en coin : « J’ai toujours pensé qu’Israël devrait passer aussi sous enquête… mais je ne suis pas le procureur, donc je m’abstiens de m’exprimer. »

Pour finir, le journaliste relaie une critique l’accusant de jouer les « justicières » plus que les femmes de loi. On lui reproche d’avoir « accusé les rebelles syriens d’utiliser des armes chimiques comme l’a fait et continue à le faire Bachar el-Assad ».

Réponse sans ambages :

« Je peux vous dire que les deux parties ont utilisé des armes chimiques. Les deux.
– Vous avez des preuves là-dessus ?
– OUI ! »
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Et sans doute que si l’on penchait sur les fournisseurs des dites armes, on aurait aussi des surprises…

Marie Delarue