Aucune piste n'était encore écartée jeudi 19 mai après l'annonce de la disparition d'un A320 de la compagnie Egyptair en mer Méditerranée, au large de l'île grecque de Karpathos, dans l'espace aérien égyptien. Le vol MS804 devait relier l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, à Paris, à celui du Caire en Égypte avec 66 personnes à bord, dont 30 Égyptiens et 15 Français.
La compagnie aérienne égyptienne a dans un premier temps assuré qu'un message de détresse avait été envoyé avant que l'avion ne disparaisse des écrans radar, ce qui laissait penser qu'il pouvait s'agir d'une défaillance technique ou d'un accident lié aux conditions météorologiques. Mais l'aviation civile grecque assure qu'"aucun problème" n'a été signalé par le pilote dans son dernier contact avec eux. L'armée égyptienne a ensuite elle aussi démenti cette information, ravivant l'hypothèse d'un événement violent et soudain... comme un attentat.
Cette piste n'est en tout cas pas évacuée par certains experts aéronautiques, comme Jean-Paul Troadec, président du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA), qui estime sur Europe 1 qu'il "peut s'agir d'un attentat".
Tout en écartant la possibilité d'un problème de radar, qui n'aurait pas empêché l'avion de se poser, le spécialiste n'exclut pas l'hypothèse "d’un accident technique" bien que "les conditions météo de vol étaient bonnes" ou encore celle d'un "missile, comme ce fut le cas pour l’avion MH17 de la Malaysia Airlines en juillet 2014".
Mais il remarque toutefois qu'un "accident de moteur ou un problème technique ne produit pas d’accident instantanément". "En plus, il s'agit d'un A320, un avion moderne donc la qualité de la maintenance et de l’avion n’est pas remise en cause", ajoute Jean-Paul Troadec. "On pense forcément à la possibilité d’un attentat à bord, avec une bombe ou un kamikaze".
Des systèmes de sécurité pas infaillibles
L'hypothèse est préoccupante. Pourtant, les spécialistes s'accordent sur le fait que les systèmes de sécurité des aéroports ne sont pas infaillibles. "Une personne pourrait introduire une bombe dans un avion à Roissy, je l’affirme", disait en novembre Gérard Arnoux, expert aéronautique interrogé par Libération.
À l'époque, il évoquait la possibilité d'une action organisée grâce à la complicité d'agents de sécurité de l'aéroport. "Le personnel est toujours contrôlé, à un moment ou à un autre. Mais à partir du moment où les aéroports ne sont pas des enceintes fortifiées, surveillés avec du gros matériel de type caméras thermiques, n’importe qui peut balancer un colis par-dessus une clôture", expliquait-il.
Même son de cloche chez Sébastien Caron, directeur général de ASCT International, une entreprise de conseil en sûreté aérienne. "Dans la majorité des cas (attentats ou tentatives, ndlr) on a affaire à la complicité des personnels d'aéroport. Un bagagiste pourrait très bien, une fois que les bagages ont été contrôlés, rajouter un bagage piégé dans la soute", explique-t-il à L'Orient le jour.
Et si les attentats qui ont touché la France en 2015 ont mobilisé de nouveaux personnels de sécurité dans les aéroports et renforcé la vigilance, ils ont aussi mis en avant un chiffre inquiétant: entre janvier 2015 et avril 2016, le préfet délégué à la sécurité de l'aéroport de Roissy a refusé à plus de 600 personnes l'attribution ou le renouvellement de leur badge d'accès à la zone réservée de l'aéroport, en raison de leurs antécédents judiciaires. 85 autres ont subi le même sort à cause de soupçons de radicalisation. En tout, 86.000 autorisations d'accès ont été réexaminées.
Le précédent égyptien
Le Figaro rapporte que des spécialistes américains s'intéresseraient également à la possibilité d'introduire des explosifs d'un nouveau genre dans les avions, des charges non métalliques capables de passer inaperçues au passage des portiques de sécurité. L'un d'eux évoque par exemple des explosifs liquides.
Le 31 octobre, l'État islamique avait revendiqué un attentat à la bombe dans un Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet, au départ de Charm el-Cheikh en Égypte, dans lequel 224 personnes avaient trouvé la mort. Dans son journal en ligne, le groupe jihadiste avait publié une photo d'une canette dans laquelle aurait été placé l'engin explosif. Le tout aurait été installé sous un siège à l'arrière de l'avion.
"Un petit explosif suffit pour faire sauter la cloison", expliquait alors Gérard Arnoux à Libération. "C’est l’endroit idéal, car toute la pressurisation va sortir d’un coup vers l’arrière et vous décuplez l’effet de la bombe." L'Américain Jeff Price, expert en sécurité aéronautique, confirme au Figaro: "Il suffit de toutes petites quantités pour faire un grand boum, en raison de la pressurisation de l'avion".
Le même expert incite toutefois à la prudence au sujet du vol MS804. "Il est trop tôt pour dire ce qui est arrivé au MS804 d'Egyptair", écrit-il sur Twitter. "Souvenez-vous du crash du Rio-Paris qui avait aussi 'disparu' pendant deux ans. L'accident n'était finalement pas dû à un acte terroriste".
Pour l'heure, rien n'indique encore qu'un attentat ait pu se préparer au départ de l'aéroport de Roissy, où quelque 180.000 passagers transitent chaque jour par l'un des huit terminaux. Seule l'analyse des boîtes noires pourra permettre de reconstituer le scénario du vol. L'opération pourrait prendre du temps, les débris de l'avion pouvant être éparpillés dans la Méditerranée.
Claire Digiacomi