Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 21 février 2016

21 février 1916, 7H15 : l’enfer de Verdun s’allume




En ce lundi 21 février 1916, au petit matin, c’est un déluge de feu et de sang, un Orage d’acier, comme l’a si bien décrit Ernst Jünger, qui s’abat sur la cour du palais épiscopal de Verdun. Après avoir pilonné l’artillerie française, les Allemands viennent d’envoyer un obus de 380 mm (entre 400 et 750 kg). Ces premiers tirs lancent l’une des plus grandes batailles et, surtout, l’un des plus inhumains affrontements de l’Histoire. Cette bataille n’aura pas usurpé le nom qui lui a été donné par Guillaume II : l’opération Gericht, c’est-à-dire Tribunal. Et c’est bien devant le tribunal de Dieu que plus de 300.000 soldats vont se retrouver : 163.000 Français et 143.000 Allemands. Pas moins de 400.000 autres (220.000 Français et 190.000 Allemands) seront blessés au cours de combats. Ils en garderont des séquelles à vie.

Mais pourquoi Verdun ? Les historiens s’accordent sur le fait qu’en ce début de 1916, les Allemands ont besoin d’une victoire militaire marquante. Verdun est à la fois un enjeu stratégique et une question d’honneur pour les Français. Par deux fois la ville a été assiégée et prise par les Prussiens, en 1792 et surtout 1870. Le saillant de Verdun est difficile à défendre : la Meuse coupe le champ de bataille en deux et la ville n’est pas ravitaillée par une ligne de chemin digne de ce nom. Le général allemand Erich von Falkenhayn, commandant en chef du front de l’Ouest, songe donc à frapper un grand coup. D’autant qu’il sait que ses ressources (hommes, matériels) ne sont pas inépuisables. Les Allemands ont besoin d’une victoire pour remonter le moral des troupes et de la population qui se lasse de cette guerre. Elle a aussi besoin d’un élément de négociation pour imposer sa paix.

Ce 21 février, 1.140.000 soldats français dotés de seulement 281 pièces d’artillerie font face à 1.250.000 soldats allemands qui possèdent 1.257 pièces d’artillerie (mortiers et canons), dont beaucoup de gros calibre, notamment des 76 mm, 150 mm, 305 mm, 380 mm et 420 mm. L’objectif affiché de l’Empire allemand est de « saigner à blanc l’armée française ». Guillaume II met les moyens : deux millions d’obus tombent sur les positions françaises les deux premiers jours de la bataille les 21 et 22 février. C’est sous ce déluge d’acier que meurt glorieusement le lieutenant-colonel Driant, député de la Meurthe-et-Moselle. Le 25 février, le général Joffre décide d’envoyer la IIe armée en renfort et le général Pétain est nommé commandant du secteur de Verdun. Ce dernier, sur une idée du capitaine Joseph-Aimé Doumenc (1880-1948), réorganise la défense et surtout la logistique en créant ce que Maurice Barrès appellera « la Voie sacrée ». Il circule, sur cette piste de 56 km qui relie Bar-le-Duc à Verdun, un camion toutes les quinze secondes. Chaque semaine, ce sont 90.000 hommes et 50.000 tonnes de munitions qui sont ainsi transportés. C’est une des clés de la résistance française aux assauts allemands, et qui permet aux Français de remporter cette sanglante bataille le 18 décembre 1916.

Henri Saint-Amand


Pour l’Heeresleitung Erich von Falkenhayn, le commandant en chef de l’armée allemande, l’affaire devait être rapidement pliée. En menant une « offensive industrielle » en direction de Verdun, c’est à dire en bombardant massivement les positions françaises, il n’y aurait plus qu’à « marcher sur des cadavres » et remporter ainsi une victoire éclatante.

Et cela d’autant plus que le généralissime Joffre, malgré les rapports sur les préparatifs allemands dans le secteur, ne croyait pas à une attaque massive sur Verdun. « Une manœuvre de diversion », pensait-il… tant l’intérêt militaire d’une attaque dans la région de la Meuse n’était pas évident.

Le 12 février, l’artillerie allemande, avec plus de 1.500  canons et obusiers, est prête. Tout comme les 90.000 soldats du Kaiser. Mais les mauvaises conditions météorologiques retardent le début des opérations.

Ce court répit permet, au dernier moment, à l’armée française de renforcer ses positions à Verdun, comme ne cessait de le réclamer le général Frédéric Herr. En tout, la garnison française compte 30.000 soldats français 630 canons…. Il faudra se battre à 3 contre 1.

Il est 7h15, ce 21 février, quand éclate un orage de feu et d’acier sur les positions françaises. Les canons allemands crachent tout ce qu’ils peuvent : un obus tombe toutes les 15 secondes. La terre tremble, abris et tranchées sont broyés, les corps sont déchiquetés. Les 56e et 59e bataillons de Chasseurs à pied du lieutenant-colonel Émile Driant, 61 ans, député et écrivain dans le civil, sont décimés au bois des Caures.

Le déluge s’arrête à 16h00. La 5e armée allemande, commandée par le Kronprinz Guillaume de Prusse, part à l’assaut des lignes françaises. Le terrain est tellement dévasté que sa progression s’en trouve gênée. Les Sturmtruppen, des unités d’élites chargées de « nettoyer » les poches de résistance éventuelles, marchent en effet sur des cadavres.

Et pourtant, des soldats français ont survécu à l’orage de feu. Mieux que ça : ils tiennent tête aux Allemands! Au bois des Caures, les 300 à 400 survivants des 56e et 59e bataillons de Chasseurs, qui ont reçu plus de 80.000 obus depuis le matin, opposent une résistance héroïque, à coups de baïonnette, voire de pioche. Cela permettra aux renforts d’arriver et de maintenir la ligne de front.

Au soir du 22 février, après deux jours de bombardement et de combat, encerclés par 6.000 soldats allemands, les Chasseurs, qui ne sont plus que 110, se replient sur Beaumont…. sans le lieutenant-colonel Driant, mortellement touché.

Les pertes sont terribles à l’issue de ces journées. La 72e division française a perdu plus de la moitié de ses effectifs tandis que la 51e division a eu quelques 6.300 tués. Mais ce ne sera qu’un début car la bataille de Verdun durera 300 jours, avec, pour les Français, un seul mot d’ordre : « Ils ne passeront pas! »