On le sait depuis longtemps, il faut l’effort de milliers de courageux pour mettre un peu de lumières au cœur des ténèbres alors que le comportement d’un seul suffit à compromettre toute une opération militaire. Un soldat porte sur lui de quoi tuer 200 personnes, qu’il défaille, par exemple face à une foule manipulée qui l’insulte et le provoque de mille manières, et c’est le désastre sur tous les écrans. Si l’acte terroriste est une action médiatique provoquée par un acte de violence, faire faire cet acte par l’adversaire est évidemment encore plus rentable. Pour autant, les occasions d’ouvrir le feu restent rares en opérations. L’immense majorité du temps du soldat en opération est en attente, en déplacement ou en surveillance et très souvent au contact de la population locale pour laquelle, il constitue un corps étranger. Là aussi, par son comportement, il peut à tout moment provoquer le désastre.
09 décembre 2013, 11h40, dans l’axe principal de BANGUI, lors de la mission de désarmement de la SELEKA, un soldat du 1er RCP de Pamiers effectue un soin sur un habitant qui a été percuté par un véhicule de la SELEKA.
Nous voici donc dans ce cas de figure, en attente des résultats d’une enquête pour savoir si nous, Français, allons rétrospectivement subir une défaite majeure sur le continent africain par l’action d’une poignée de salopards. Encore quelques jours et les médias auront de toute façon plus parlé de cela que des milliers de vies qui auront été sauvées par les soldats français plongés au cœur de ce chaos. Un grand mal est déjà fait.
Pour l’instant, comme tout autre citoyen, un soldat est innocent jusqu’à preuve du contraire et dans un contexte d’affrontement, avec notamment tous les groupes qui ne sont pas satisfaits de ne plus pouvoir massacrer en rond, il ne faut pas exclure la manipulation. On l’a vu sur d’autres théâtres, en Bosnie déjà avec le relais de journaux britanniques (tiens donc ?), en Iturie où cette fois l’intox était suédoise, au Rwanda, là les complicités y compris françaises étaient nombreuses, mais peut-être surtout en Côte d’Ivoire où les mensonges et montages les plus dramatiques se sont succédés. J’ai ainsi le souvenir de la photo d’un soldat français apparemment indifférent au-dessus du cadavre d’un enfant mort. Bien sûr, le cadavre avait été placé sciemment et la photo prise juste avant que le soldat ne le voit. Comme les preuves de manipulation sont toujours plus faibles que l’émotion des scandales, il en reste toujours quelque chose. Pourquoi se priver alors de cette arme ?
Mais de la même façon qu’un soldat est présumé innocent, il peut aussi être coupable. Il ne faut pas être naïf, les centaines de milliers de soldats français qui ont été envoyés sur les théâtres les plus divers depuis cinquante ans n’ont pas tous eu un comportement exemplaire, simplement parce qu’ils sont aussi humains. Les tentations sont nombreuses et les contextes souvent suffisamment sombres et ambigus pour inciter aux petites et grandes magouilles (de l’or pour les braves cons), et, bien plus grave, faciliter ce « décrochage du sens moral » dont parle remarquablement Patrick Clervoy. Quand le sordide devient apparemment la normalité, le sens moral devient un îlot qui peut parfois être submergé. On en vient alors à se confondre avec ce qu’on est censé combattre, comme lorsqu’on finit par se croire obligé d’étouffer une ordure après l’avoir fait prisonnier. Ces faits sont en réalité extrêmement rares et c’est cette rareté qui doit en fait surprendre plus que le fait que des soldats soient faillibles.
Le soldat français est un soldat nomade. Il est même sans doute celui qui voyage le plus au monde et, il faut le répéter, sans doute aussi le meilleur dans ce rôle. Par formation, préparation (nous sommes les seuls à avoir une école dédiée à l’intégration avec les milieux locaux), la réputation du soldat pas seulement par principe éthique d’abord, pour éviter le scandale ensuite, parce que c’est un impératif tactique enfin. La population locale est ce qui nous soutient, nous renseigne, nous nourrit parfois. Elle est, le plus souvent, ce pour quoi nous sommes-là. J’ai le souvenir d’une mission où on m’avait dit : « La population de ce secteur est sous ta responsabilité et quand tu pars dans six mois, tout le monde doit pleurer ». J’avais compris alors que ces pleurs devaient être de tristesse et non de rage.
Alors si les faits dont on parle actuellement pour l’opération Sangaris sont avérés, je vous dirais bravo les gars. Grace à vous, sordides salopards, toute l’action de vos camarades, les combats, les vies sauvées par milliers, l’aide, les soins, le tout dans un des contextes parmi les plus dégueulasses qu’on l’on ait connu depuis longtemps, tout cela sera sali. Grâce à vous, pauvres tordus, l’image de toute une armée et donc aussi de la nation sera engagée. J’espère, encore une fois si tout cela est vrai, que vous paierez très cher pour ce que vous avez fait d’abord, pour les autres dégâts que vous aurez causé ensuite.
Le 19 mars 2015, dans le cadre de l’opération Sangaris, le poste médical (ROLE 1) déployé sur la plateforme opérationnelle de Bambari en République centrafricaine, a réalisé une aide médicale à la population au sein de l’hôpital de Bambari. Crédit : EMA / Armée de Terre.
Michel GOYA