Sur quels éléments les experts se fondent-ils pour affirmer avec certitude qu'un document est authentique? Et jusqu'à quel niveau de détail vont les renseignements qu'ils peuvent glaner pendant leur analyse?
Quel est le vecteur de diffusion?
"Le canal de diffusion d'un enregistrement est important", explique Jean-Charles Brisard, spécialiste du terrorisme. "Est-ce un canal particulier ou classique? Quel est l'intermédiaire? Est-ce un forum connu utilisé de manière régulière par cette organisation? S'agit-il d'un compte Facebook ou Twitter connu?", telles sont les premières questions que les experts vont se poser.
Ensuite, explique Jean-Charles Brisard, le support lui-même, bien entendu, est analysé très finement. Des logiciels sont utilisés pour "voir si l'enregistrement a été altéré, s'il y a des coupes, s'il s'agit d'un montage, s'il y a des superpositions d'images", explique-t-il.
Que vaut la cohérence du contenu?
Puis intervient l'expertise du contenu, de sa cohérence. Les enquêteurs vont chercher à reconnaître un leader terroriste. S'il s'agit d'un dirigeant et qu'il est visible, ils vont "utiliser la reconnaissance vocale, et "s'attacher aux aspects physiques, au besoin à l'aide d'une reconnaissance faciale". Dans le cas de ces vidéos de décapitation, Alain Rodier, du Centre de recherche sur le renseignement (CF2R), explique avoir été marqué par la présence d'une "arme portée sous l'aisselle par le tueur" qui semble bien être la même.
Si Jean-Paul Rouiller, du Centre genevois d'analyse du terrorisme (GCTAT), s'accorde sur la présence d'une même arme, la gestuelle et la voix des deux "exécuteurs" lui paraissent totalement différentes. Il s'agirait donc selon lui de deux individus distincts. En revanche, l'expert explique que les deux vidéos sont construites de la même façon en "triptyque". Trois séquences déroulent une espèce de parodie de procès qui se détaille ainsi: "On dit tout d'abord, à qui la faute revient avec la séquence sur Obama, ensuite, avec le corps du message, la victime explique pourquoi elle est condamnée, puis vient la sentence, 'Nous l'EI condamnons cette personne à mort'".
Jean-Paul Rouiller remarque que la séquence même de l'exécution est différente selon les personnes visées. Ainsi, l'EI procède à l'exécution de traites à sa cause "par une balle dans la tête" ou "expose ces personnes dans un lieu public pour montrer l'ignominie de leur action", mais "la mise en scène, la manière de filmer" étaient très différentes pour le cas des deux journalistes américains. Selon l'expert, la volonté de l'EI serait de marquer "une communication d'Etat à Etat, voire à une coalition d'Etats".
Quels renseignements peut-on tirer de ces vidéos?
Jean-Charles Brisard explique que l'œil inexpérimenté a tendance "à se focaliser sur le premier plan". Mais le spécialiste explique "avoir vu des agrandissements de l'arrière-plan de la première vidéo (NDLR: celle qui montre James Foley) où l'on voit énormément de choses, de la végétation, des habitations. On peut constater que la scène est filmée vraisemblablement sur une colline, en surplomb d'une vallée, toutes choses qu'on ne voit pas forcément au premier visionnage".
En fonction du positionnement de la végétation, de l'escarpement, les enquêteurs ont pu en l'occurrence déterminer de manière très précise où a été tournée cette vidéo.
Quand vient enfin le moment de déterminer les dates, la position du soleil, l'intensité de la lumière, la position des caméras vont jouer un rôle important. Si l'on a une signature identique de la lumière, de la végétation, cela permet de déterminer au moins si les décapitations ont été effectuées à une date rapprochée
David NAMIAS