Depuis des siècles, les Russes veulent sécuriser l'accès à la mer Noire et aux détroits qui verrouillent la route de la Méditerranée.
Un tank russe à Sébastopol. © Francesca Volpi/Sipa
Qui se souvient encore de la guerre de Crimée ? Hormis quelques rues, boulevards et stations de métro qui jalonnent Paris (Crimée, Sébastopol, Alma...), ce conflit oublié du XIXe siècle n'évoque pas grand-chose pour nos contemporains. Il offre pourtant de troublantes similitudes avec la crise actuelle. Vers 1850, le tsar Nicolas Ier est soucieux, comme ses prédécesseurs, de sécuriser l'accès de la flotte russe à la Méditerranée. Il fait pression sur l'Empire ottoman, "l'homme malade de l'Europe", pour contrôler les détroits du Bosphore (qui relie la mer Noire à la mer de Marmara) et des Dardanelles (qui relie la mer de Marmara à la mer Égée). Sous prétexte de protection des orthodoxes d'Europe, il s'empare en 1853 de la Moldavie et de la Valachie (aujourd'hui en Roumanie) et coule la flotte de la Sublime Porte. Les Anglais, inquiets de cette montée en puissance de la Russie, déclarent la guerre et embarquent dans cette incertaine aventure Napoléon III, soucieux d'effacer l'humiliation du congrès de Vienne de 1815.
L'accès aux mers chaudes
Il s'ensuit une guerre brouillonne, mal conduite, très coûteuse en hommes (240 000 morts), dont l'épisode marquant est le siège de Sébastopol qui dure deux ans, et les épidémies de typhus qui déciment les troupes. La Russie doit - momentanément - renoncer à ses ambitions.
Cette guerre de Crimée est emblématique d'une donnée stratégique permanente de la Russie : le souci de ne pas se laisser enfermer dans le statut d'une puissance strictement continentale et d'accéder aux "mers chaudes". La Crimée a été annexée par la Russie en 1783. Catherine II avait des visées sur Constantinople et rêvait de faire renaître sous son égide l'Empire byzantin. Pierre le Grand, lui, en fondant Saint-Pétersbourg, ouvrait une fenêtre sur la Baltique et l'Europe. Toujours cette obsession du grand large chez les dirigeants russes.
Il ne faut entretenir aucune illusion : Moscou ne lâchera jamais la Crimée.
Pierre Beylau