Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 8 février 2014

« Que l’UE aille se faire foutre » : Victoria Nuland


(il n'y a pas que les Etats-Unis qui écoutent !)





« Que l’UE aille se faire foutre », c’est donc l’opinion lapidaire de la secrétaire d’État américaine adjointe chargée de l’Europe, Mme Victoria Nuland, sur « l’indispensable partenaire » des Etats-Unis. Inutile de s’y attarder davantage, les propos divulgués sont suffisamment savoureux en eux-mêmes. En revanche, impossible de ne pas faire le lien entre cet incident et ce que Mme Nuland représente dans la phase actuelle de l’Europe de la défense.

C’était en février 2008, Mme Nuland, alors ambassadeur des Etats-Unis à l’OTAN, a prononcé deux discours très remarqués, l’un à Londres, l’autre à Paris. A l’époque, son intervention fut unanimement saluée comme le signe d’un revirement de la position US, dans le sens d’un réel soutien en faveur d’une véritable défense européenne. Nul besoin de préciser qu’en réalité, il n’en était rien.

N’empêche. Ses discours sont restés dans les annales comme le point de départ d’une nouvelle ère pour l’Europe de la défense où les Etats-Unis ne mettraient plus des bâtons dans les roues des Européens, mais, au contraire, les encourageraient sérieusement à mieux se prendre en main. Enfin. Sauf que c’était du vent. Primo, les propos de Mme Nuland ne se sont pas tellement écartés de la ligne traditionnelle de Washington en matière d’Europe de la défense.

L’Amérique fut bel et bien prête à soutenir le développement de « capacités européennes plus fortes et plus efficaces », dans la mesure où celles-ci lui seraient utiles. Mais sans céder un iota de son contrôle et de ses leviers d’influence effectifs. Secundo, si l’habillage a pu changer et la crispation US semblait diminuer sur la défense européenne, c’est parce que cette dernière avait déjà déviée de sa trajectoire initiale, et s’est révélée être, du point de vue du maintien de l’emprise US, totalement inoffensive.

D’où le « virage pro-UE » de la position américaine, relayée à l’époque par Mme Nuland en premier. L’administration Obama, arrivée au pouvoir peu de temps après, n’eut qu’à reprendre la même rhétorique. Au plus grand bonheur des dirigeants européens qui font mine d’y croire (ou y croient vraiment ; ce qui est sans doute encore pire). Et brusquement, la voilà, Mme Nuland, avec son « F…ck the EU » retentissant. Contexte ukrainien ou pas, difficile d’imaginer un démenti plus éloquent.




Vous trouverez ci-dessous la traduction d’une conversation téléphonique entre Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État des États-Unis, et Geoffrey R. Pyatt, ambassadeur US en Ukraine.

Cette conversation aurait été interceptée entre le 22 et le 25 janvier 2014. Elle est apparue mystérieusement sur YouTube, suscitant d’abord un démenti du département d’État. Puis, le scandale prenant de l’ampleur après la publication d’un article du Kyiv Post, Victoria Nuland a présenté ses excuses à l’Union européenne, tout en suggérant que l’interception aurait pu être le fait des services secrets russes qu’elle a accusé d’avoir violé une conversation privée une remarque distrayante de la part d’un État qui espionne la quasi-totalité des communications dans le monde.

Victoria Nuland est une diplomate néo-conservatrice, épouse de l’historien Robert Kagan. Elle fut la principale conseillère en politique étrangère du vice-président Dick Cheney, avant d’être nommée par George W. Bush, ambassadrice auprès de l’Otan. Hillary Clinton en fit sa porte-parole au secrétariat d’État, puis John Kerry son assistante pour l’Europe et l’Eurasie. C’est elle qui dirige les opérations de déstabilisation de l’Ukraine.

Dans cette conversation, elle donne, dans un anglais trivial, instruction pour répondre à la proposition faite par le président Ianoukovytch de laisser l’opposition constituer un gouvernement. Il faut, selon elle, placer Arseni Iatseniouk, maintenir Wladimir Klitschko hors jeu, et écarter le leader nazi Oleh Tyahnybok qui devient encombrant.

Au passage, on apprend que l’ancien diplomate états-unien, Jeffrey Feltman, aujourd’hui secrétaire général adjoint des Nations Unies, nomme qui il veut à l’Onu et utilise cette organisation pour donner un vernis légal aux actions secrètes des USA. En l’occurrence, il a pu nommer comme représentant de l’Onu, le Néerlandais Robert Serry, ancien responsable des « opérations » de l’Otan.

En définitive, les choses ne sont pas passées comme prévues et l’opposition n’a pas formé de gouvernement.




Victoria Nuland  : Que pensez-vous ?

Geoffrey R. Pyatt : Je pense que nous jouons. La pièce Klitchko est évidemment l’électron le plus compliqué ici, en particulier le fait qu’on l’ait annoncé comme vice-Premier ministre. Vous avez vu mes notes sur la difficulté du mariage en ce moment, nous essayons d’obtenir une lecture très rapide pour savoir s’il fait partie de l’équipe. Mais je pense que votre raisonnement à son sujet, que vous aurez besoin de lui dire —je pense que c’est le prochain coup de téléphone que vous souhaitez organiser— est exactement celui que vous avez fait à Yats [surnom de Iatseniouk]. Je suis heureux que vous l’ayez mis sur la sellette (...) Il s’inscrit dans ce scénario. Et je suis très heureux qu’il a dit ce qu’il a dit.

Victoria Nuland  : Bon. Je ne pense pas que Klitsch [surnom de Klitschko] devrait être dans le gouvernement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, je ne pense pas que ce soit une bonne idée .

Geoffrey R. Pyatt : Oui, je veux dire… je suppose… Pour ce qui est de sa non-participation au gouvernement, je serais d’avis de le laisser en dehors pour qu’il se consacre à ses obligations politiques. Je ne fais que réfléchir, pour trier les options pour avancer, nous voulons garder ensemble les démocrates modérés. Le problème sera avec Tyahnybok et ses gars. Et, vous savez, je suis sûr que cela fait partie du calcul de Ianoukovytch.

Victoria Nuland  : Je pense Yats, c’est le gars. Il a de l’expérience économique et de l’expérience de gouverner. C’est le gars. Vous savez, ce qu’il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. Nous aurons besoin de leur parler quatre fois par semaine. Vous savez, je pense juste que si Klitchko entre, il va devoir travailler à ce niveau avec Iatseniouk, c’est juste que ça ne va pas marcher…

Geoffrey R. Pyatt : Ouais, ouais , je pense que c’est vrai. Ok , bon. Souhaitez-vous que nous organisions un appel avec lui comme prochaine étape ?

Victoria Nuland  : Ma conception de l’appel dont vous parlez, c’est que les trois grands participent à leur propre réunion et que Yats leur propose dans ce contexte. Vous le savez, une conversation « trois plus un » ou « trois plus deux » si vous participez. C’est ainsi que vous le comprenez ?

Geoffrey R. Pyatt : Non, je pense que c’est ce qu’il a proposé, mais connaissant leur dynamique interne lorsque Klitchko était le chien dominant, il va prendre son temps avant de se pointer à une de leurs réunions et doit déjà être en train de parler à ses gars. Donc je pense que si vous vous adressiez directement à lui, cela aiderait à faire de la gestion de personnalités parmi les trois. Cela vous donne également une chance d’agir vite sur tout cela et nous permettra d’être derrière avant qu’ils s’assoient et qu’il explique pourquoi il n’est pas d’accord.

Victoria Nuland  : Ok. Bon. Je suis heureuse. Pourquoi ne le contacteriez-vous pas pour voir si il veut parler avant ou après.

Geoffrey R. Pyatt : Ok, je vais le faire. Merci.

Victoria Nuland  : Je ne me souviens pas si je vous ai dit ou si je n’en ai parlé qu’à Washington : quand j’ai parlé à Jeff Feltman ce matin, il avait un nouveau nom pour le type de l’ONU : Robert Serry. Je vous ai écrit à ce sujet ce matin.

Geoffrey R. Pyatt : Oui, j’ai vu cela.

Victoria Nuland  : Ok. Il a obtenu aujourd’hui, à la fois de Serry et de Ban Ki-moon, que Serry vienne lundi ou mardi. Ce serait formidable, je pense, ça aiderait à souder ce projet et d’avoir l’aide de l’ONU pour le souder et, vous savez quoi, d’enculer l’Union européenne.

Geoffrey R. Pyatt : Non, exactement. Et je pense que nous devons faire quelque chose pour le faire coller à nous, parce que vous pouvez être sûre que s’il commence à prendre de l’altitude, les Russes vont travailler dans les coulisses pour essayer de torpiller. Et encore une fois le fait que c’est sur la place publique en ce moment, dans ma tête, je suis encore à essayer de comprendre pourquoi Ianoukovytch (…) ça. En attendant, il y a actuellement une réunion d’un courant du Parti des Régions et je suis sûr qu’il y a un débat très animé dans ce groupe à ce sujet. Mais de toute façon , nous pourrions faire tomber la crêpe du bon côté si nous nous agissons rapidement. Alors laissez- moi travailler sur Klitschko et si vous pouvez juste conserver… Je pense que nous devrions juste chercher à trouver quelqu’un avec une personnalité internationale pour accoucher de notre projet. L’autre question concerne Ianoukovytch, mais nous en reparlerons demain, nous verrons comment les choses commencent à se mettre en place.

Victoria Nuland  : Donc, sur ce point, Jeff, quand j’ai écrit la note, Sullivan [1] m’a répondu d’une manière très formelle en disant que j’avais besoin de Biden et j’ai dit probablement demain pour les bravos et pour réussir à faire coller les détails. Donc, Biden est prêt.

Geoffrey R. Pyatt : Ok. Très bien, merci.